La science spatiale russe : le temps des changements

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par Youri ZAITSEV

Le 17 novembre, le vice-premier ministre et ministre des Finances, Alexeï Koudrine, rapportait au président Vladimir Poutine que 1,5 milliard de roubles provenant des recettes budgétaires obtenues en sus des prévisions seraient virés pour le programme de la Station spatiale internationale (ISS). Dans une certaine mesure, cet argent doit faciliter la construction de nouveaux vaisseaux de transport Progrès qui assument, après la catastrophe de la navette américaine Columbia, le gros de la mission consistant à acheminer des charges sur orbite. Le Groupe Energuya (fusées et matériels spatiaux) construit aujourd'hui des vaisseaux spatiaux supplémentaires grâce à des crédits.

D'une manière générale, le budget fédéral prévoit un accroissement considérable du financement des activités spatiales en 2004. Des 13 687,6 millions de roubles affectés au Programme fédéral d'études de l'Espace, plus de la moitié, 6 378 millions de roubles, seront accordés pour l'ISS. Cela va de soi que dans les années à venir, la majeure partie des moyens affectés à l'Espace sera consacrée justement à l'ISS. Et c'est justifié, d'ailleurs. Car c'est l'unique moyen qui permettra à la Russie de remplir ses engagements dans le cadre de l'ISS : garantir la présence sur la Station de vaisseaux de sauvetage Soyouz, de stocks permanents de carburants et la rotation des équipages avant la reprise des vols des navettes américaines. La Russie s'est également engagée à achever son segment national sur la Station : deux modules doivent être créés en l'espace de 2 à 4 ans (ensemble d'arrimage et polyvalent) et une plate-forme énergétique, d'un coût de 300 millions de dollars.

Après l'annonce de cette augmentation pour le "budget Espace" en 2004, le directeur général de Rosaviakosmos (Agence aérospatiale de Russie), Youri Koptev, a déclaré que cela permettrait à la Russie de garantir l'exécution du programme de l'ISS et de poursuivre plusieurs autres projets.

En effet, Rosaviakosmos et l'Académie des sciences de Russie sont préoccupés par l'état des travaux concernant les appareils spatiaux pour la recherche spatiale fondamentale (la situation dans le domaine des appareils pour d'autres secteurs est relativement satisfaisante).

"Les problèmes sont efficacement réglés en matière de télécommunications, et dès aujourd'hui le pays pourrait mettre à bail jusqu'à 40% des capacités satellitaires disponibles, dit le premier adjoint au directeur général de Rosaviakosmos, Gueorgui Polichtchouk. "Les missions assignées en sondage à distance seront réglées, et à un bon niveau, dans un an et demi. Trois appareils nouveaux seront lancés qui permettront d'assurer le sondage à distance de la Terre depuis l'Espace", explique-t-il.

Il s'agit de l'appareil russo-ukrainien Sitch-1M, d'un pouvoir de résolution relativement peu élevé et muni d'un radar radio destiné avant tout à observer l'état des glaces en mer. C'est aussi le satellite Meteor qui, d'après le caractère des informations fournies et de son pouvoir de résolution (8 m), est proche des appareils français SPOT. Au IIIe ou au IVe trimestre de 2004, un premier appareil civil du monde d'un pouvoir de résolution élevé (1 m, et cette résolution n'est limitée que par la loi), Ressours-DK, pourrait être lancé. Un réseau de nouvelles stations de réception est actuellement mis en place car les stations existantes sont périmées moralement et physiquement.

"Quant à l'étude scientifique de l'Espace, des problèmes persisteront jusqu'à 2007 voire 2008, même au cas où le financement augmenterait", souligne Gueorgui Polichtchouk.

Les fonds affectés ne suffisent pas pour réaliser en parallèle tous les projets faisant partie du Programme fédéral spatial pour 2001-2005. De ce fait, l'an dernier, le Conseil pour l'Espace de l'Académie des sciences et Rosaviakosmos ont procédé à la répartition des projets existants entre trois axes essentiels de la recherche, en en faisant ressortir des projets prioritaires.

Dans le domaine des liens Soleil - Terre, c'est le projet Koronas-Foton. Ses objectifs : étudier le Soleil dans le rayonnement dur X et gamma. Dans une certaine mesure, ces objectifs s'inscriront dans les études déjà réalisées par l'observatoire russo-ukrainien Koronas-F qui a été lancé en juillet 2001. A ce jour, la ressource annoncée de ce satellite, d'un an, avait déjà été dépassée de 1,5 fois. L'engin spatial lui-même et ses 16 appareils continuent de fonctionner impeccablement. Il y a tout lieu d'espérer que les études seront poursuivies jusqu'à la fin de la phase active du cycle solaire actuel. Les résultats obtenus sont comparables aux résultats de niveau mondial ou sont, dans certains cas, absolument nouveaux.

Dans un premier temps, on estimait que l'appareil spatial destiné au projet Koronas-Photon, tout comme pour le projet précédent Koronas-F, serait fabriqué sur la base de la plate-forme universelle automatique AUOS-SM (Ukraine). Pourtant, après l'examen de toutes les propositions, la décision a été prise de l'installer sur la base du satellite russe Meteor-3M.

Dans l'étude des planètes, c'est le projet Phobos-Grunt qui a été désigné comme prioritaire. Dans ses traits les plus généraux, le projet prévoit la création d'une sonde interplanétaire, qui sera lancé en direction de Mars, se posera sur son satellite Phobos, y prélèvera un échantillon de sol et l'acheminera sur Terre. Compte tenu des difficultés de la mission (et donc d'un certain risque), et aussi "pour ne pas perdre de temps", il est prévu de procéder à des expériences scientifiques à tous les tronçons du vol, y compris sur la traversée interplanétaire et pendant le rapprochement avec Phobos.

Le tir de Phobos-Grunt est prévu pour 2009. Rosaviakosmos a invité à participer à cette mission la NASA (appareillages, navigation, mesurages à sol) et a assuré les Américains que les travaux préparatoires seraient financés dans leur intégralité, en conformité avec le calendrier. Au cours de leur rencontre en juillet 2003, les dirigeants de Rosaviakosmos et de la NASA ont débattu de la possibilité de la participation américaine au projet Phobos-Grunt sous forme d'un module à part d'une masse de 120 à 130 kg, réglant les problèmes scientifiques en supplément aux principales missions du projet.

L'un des résultats notables obtenus ces dernières années dans les études planétaires a été la détection par l'appareil russe HEND (détecteur de neutrons rapides), installé sur l'appareil spatial américain Mars-Odyssey, d'importantes réserves d'eau sur la planète rouge. Ces réserves sont concentrées surtout dans les zones subpolaires, mais elles existent aussi dans les régions équatoriales, plus convenables du point de vue d'une mise en valeur de Mars.

Les chercheurs russes ont aussi participé activement à l'équipement de la station interplanétaire européenne Mars Express, lancée, le 2 juin dernier, depuis le cosmodrome Baïkonour par une fusée russe Soyouz équipée d'un étage d'accélération Fregat. La mission a pour objectif de rechercher les eaux à une faible profondeur sur Mars depuis l'orbite de son satellite artificiel et de larguer une sonde sur la surface de la planète. Cette descente est prévue pour le 26 décembre prochain.

La participation des chercheurs russes aux études planétaires depuis le bord des appareils spatiaux étrangers se poursuivra. Cette coopération se développe avec les Européens. Pour ce qui est de la NASA, outre le succès éclatant de l'expérience russe HEND à bord de Mars-Odyssey, les perspectives de la coopération russo-américaine auraient pour l'instant des perspectives plus modestes. D'autre part, l'histoire de la coopération spatiale avec les Américains n'est pas aussi longue qu'avec les Européens. A signaler également que même dans les années de crise aiguë, les centres de recherche spatiale russes n'avaient pas arrêté de coopérer avec les Européens. Le projet européen le plus proche et auquel prendront part les chercheurs russes est Vénus Express. Pratiquement, c'est un analogue de la station européenne pour l'étude de Mars. Son départ est fixé pour novembre 2005 depuis le cosmodrome de Baïkonour. Et comme dans le cas de Mars Express, cette station sera mise sur la trajectoire vénusienne par un lanceur Soyouz muni d'un étage d'accélération Fregat.

A signaler que les études de Vénus entre 1967 et 1984 furent l'un des grands axes du programme soviétique de recherches fondamentales spatiales ayant régulièrement apporté des résultats de niveau mondial. Arrêtant ces projets, la Russie a renoncé à une "niche" dans les études planétaires mais aucun pays n'a pu l'occuper à son tour jusqu'à ces derniers temps. Rappelons qu'avec Mars, Vénus est une planète présentant beaucoup de similitudes avec la Terre et que son étude est nécessaire pour voir plus clair le passé et l'avenir de notre planète.

Les projets étrangers de missions vers Vénus - dont le projet européen Vénus Express - sont jusqu'à présent limités à des séances de mesurages depuis des appareils orbitaux. Mais la Russie sauvegarde l'expérience - d'ailleurs unique en son genre - de conception et de mise au point de sondes destinées à effectuer des études dans l'atmosphère et sur la surface de Vénus. Etudes qui devraient être menées dans le cadre du projet russe Venera-D. Selon des estimations préalables, la masse de la sonde qui se posera sur la surface vénusienne pourrait constituer jusqu'à 1 300 kg. Le mesurage de la composition et des caractéristiques chimiques de l'atmosphère de Vénus sera effectué à des altitudes allant de 60 km jusqu'à la surface de la planète, et les prises de vues à l'infrarouge, à des altitudes de 40 à 45 km. La possibilité d'un fonctionnement durable d'appareillages scientifiques sur la surface de la planète est également étudiée. Le lancement de cette sonde est prévu pour 2013, sa descente sur la surface vénusienne pour 2014. Le coût du projet est estimé à 55 millions de dollars.

Dans le cadre de la coopération internationale - toujours avec les Européens - on élabore le projet d'étude de Mercure, "Colombo", à l'aide d'un appareil orbital et d'une sonde largable qui seront emportés dans l'Espace par le lanceur russe Soyouz-Fregat. Si l'Agence spatiale européenne commande à la Russie la sonde et des appareillages scientifiques, les Russes accorderont à la mission des lanceurs pour deux départs distincts.

En matière d'astrophysique, la priorité a été accordée au projet Spektr-R (Radioastron). Objectif : observer de lointains objets hors-galactiques à l'aide d'un interféromètre à base superlongue, lorsqu'une antenne de réception se trouve à bord d'un engin spatial et les autres sur le sol terrestre. L'avancement des travaux est jugé satisfaisant et l'appareil doit être terminé dans deux ou trois années. Outre la Russie, 12 pays ont confirmé leur participation au projet Spektr-R après qu'il eut été proclamé prioritaire.

Mais pourquoi a été relégué au second plan un autre projet prioritaire, Spektr-RG, dont la mission consistait à mener des études astrophysiques dans les rayons X et gamma ?

"Cette décision est purement politique, explique Guéorgui Polichtchouk. Elle est liée au lancement de l'observatoire européen Intégral. La Russie a payé sa participation à ce projet en accordant son lanceur Proton muni d'un étage d'accélération, obtenant en échange 27% du temps d'observation. Les études dans le cadre du quota russe sont menées par les spécialistes qui devaient travailler avec Spektr-RG. Il ne peut y avoir de situation où une école scientifique ait des résultats provenant de deux appareils, russe et européen, et qu'une autre école n'ait rien. Ce n'est pas bon. Il est impossible que les uns aient des avantages au détriment des autres".

Le projet Spektr-RG sera toutefois réalisé après Spektr-R, mais avec des modifications notables. Deux variantes sont examinées : initiale, pour lequel des appareils sont déjà fabriqués, y compris à l'étranger, avec le lancement de la fusée lourde Proton, et de remplacement, sur la base de la plate-forme Yamal, à mettre sur orbite par une fusée de classe moyenne, moins chère. Dans ce dernier cas, il faudra renoncer à une partie des appareils. La décision définitive doit être prise cette année.

Conformément au Programme spatial fédéral, c'est Spektr-UF, destiné à mener des études dans la gamme ultraviolette, qui doit devenir un troisième laboratoire spatial. Le télescope de bord lui-même en est au stade avancé de conception, mais la plate-forme qui l'emportera n'est pas encore choisie. Des consultations sont en cours sur cette question avec l'ONU et l'Agence spatiale européenne.

Des projets comme Résonance et Interhélisonde sont prévus pour des perspectives plus lointaines. La mission de Résonance consistera à étudier l'interaction de vagues et de particules dans la magnétosphère intérieure de la Terre. La date possible de son lancement est 2007. Le projet, qui figure au Programme spatial fédéral est intégralement financé par l'Agence aérospatiale de Russie. Les travaux de conception et de développement sont activement préparés.

L'objectif de la sonde interplanétaire automatique Interhéliosonde sera une étude du Soleil à une distance rapprochée. L'appareil devrait être dirigé vers le Soleil avec recours à une manoeuvre gravitationnelle près de Vénus : d'abord, il sera mis sur orbite avec un périhélie de l'ordre de 60 rayons du Soleil (42 millions de km). Les manoeuvres gravitationnelles qui suivront baisseront le périhélie à 20 rayons (21 millions de km), ce qui permettra d'observer les mêmes détails sur la surface de l'astre diurne durant un temps prolongé (près de 7 jours). Une nouvelle baisse à 10-12 rayons est aussi possible et l'altitude minimale ne sera pas limitée que par l'évaporation, sous l'action du rayonnement solaire, de l'écran de protection. Résultat, l'appareil se dotera de sa propre "atmosphère", qui perturbera la pureté des mesurages. Au moyen de propulseurs de faible poussée, on pourrait modifier l'inclinaison de l'orbite de l'appareil, afin de pouvoir jeter un coup d'oeil sur les zones polaires du Soleil.

Des projets analogues sont développés par les Etats-Unis et EKA. Aucun de ces projets n'est encore pas accepté pour réalisation. Quant à Interhéliosonde, ce projet en est également au stade d'études, et les moyens financiers accordés ne suffisent encore pas pour passer à la conception et aux développements. Mais les tentatives sont lancées pour accélérer sa réalisation, afin que l'appareil puisse partir en mission en 2007 et s'approcher du Soleil en 2008 et 2009, époque où commencera une nouvelle période de son activité.

Parmi d'autres projets prometteurs, citons Roy, un projet multisatellites pour mener des mesurages fins dans la magnétosphère terrestre, PEP (Patrouille polaire écliptique), pour une observation globale du Soleil et du contrôle du temps spatial, et Ombre lunaire, pour les observations mensuelles d'éclipses depuis un appareil spatial.

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