Une nouvelle Turquie pour une nouvelle OTAN?

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ISANBUL, 30 juin. (Par Dmitri Kossyriev, envoyé spécial de RIA Novosti). La Turquie se remet encore du sommet de l'OTAN qui a paralysé le centre d'Istanbul peuplé de quinze millions d'âmes. Tout est terminé et le pays, pour reprendre les observateurs locaux, se découvre dans un nouveau rôle, celui du poisson pilote de la baleine (l'Europe, l'OTAN, l'ensemble de l'Occident), qui cherche la voie donnant accès au monde musulman.

Ankara se préparait de longue date à ce rôle. La Turquie n'est plus un Etat périphérique, c'est un allié déterminant (pour l'OTAN). Cette phrase prononcée par le ministre turc des Affaires étrangères, Abdullah Gul, la veille du sommet, reprise par de nombreuses publications et personnalités politiques, reflète la réalité. Si, comme il ressort des décisions prises à Istanbul, l'OTAN entend réellement s'occuper de l'Irak, de l'Afghanistan et du Proche-Orient, alors la Turquie apparaît comme un Etat clé, puisque limitrophe, dans ce nouveau rôle au sein de l'alliance.

Les rôles de nombreux autres Etats, jadis importants à l'époque où les seules cibles de l'OTAN étaient l'Union soviétique et les pays du Traité de Varsovie, changent en conséquence. Mais si ces nouvelles réalités ne sont pas encore comprises et exprimées jusqu'au bout, la Turquie, elle, est pleinement consciente du changement de sa situation et, de toute évidence, elle s'emploiera à en tirer un maximum d'avantages.

Maintenant il serait intéressant de savoir quelles conceptions et idées la Turquie est à même de proposer à l'OTAN sur l'axe "oriental" (dans le sens nouveau de ce terme).

Ici il faut prêter attention à ce que le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a répondu à Istanbul à une question posée par l'auteur de ces lignes. Les propos du ministre indiquent que l'OTAN et Moscou pourraient avoir bien plus de points de contact qu'il apparaît au premier abord et que la Turquie pourrait avoir un rôle à jouer ici. Et aussi que les conceptions de la Turquie sont proches des jugements de Moscou ou de certaines autres capitales européennes.

Avec la Turquie nous en sommes au stade du "partenariat à facettes multiples", a dit le ministre, notamment parce que nous sommes liés par des intérêts régionaux communs, tout particulièrement en Irak et en Afghanistan.

Après avoir évoqué les contacts de plus en plus actifs entre Moscou et Ankara, Sergueï Lavrov a indiqué qu'il souhaiterait que la Turquie joue un rôle encore plus actif dans le monde ainsi que dans les affaires régionales, en rappelant la communauté des vues, notamment sur le rôle des institutions plurielles et de l'ONU dans les affaires internationales.

Selon Sergueï Lavrov, la Turquie et la Russie se ressemblent encore parce que ce sont quasiment les seuls pays à se trouver à cheval sur l'Europe et l'Asie et à posséder une expérience heureuse en matière de cohabitation d'ethnies et de religions.

Cette expérience, de nombreux pays d'Europe en sont privés tout simplement en raison de la structure de leurs populations et de leur coordonnées géographiques. Ils sont étrangers dans le monde musulman, pas la Turquie.

C'est probablement pour cette raison que le même Abdallah Gul a élégamment formulé ses propositions concernant la matérialisation de l'"initiative proche-orientale" du président des Etats-Unis, George W.Bush: Quoique la Turquie soutienne l'idée de mutations dans le monde musulman, nous la subordonnons quand même à des conditions: non-ingérence, partenariat, pas d'imposition (des idées) et respect de l'identité nationale.

En ce qui concerne l'Irak, tout ce qui se passe dans ce pays est pour la Turquie d'une importance extrême. Premièrement en raison des Kurdes. Des Kurdes vivent dans le nord de l'Irak et dans le sud-est de la Turquie. Selon des estimations locales, le séparatisme kurde a déjà coûté quelque 30.000 vies à la Turquie. C'est pourquoi Ankara appréhendait surtout que les forces d'occupation ne puissent empêcher la partition de l'Irak, dont la formation d'enclaves kurdes, ce qui aurait mis en action les Kurdes turcs. Au demeurant, jusqu'à ces derniers temps beaucoup de ces derniers se cachaient en territoire irakien.

L'intérêt particulier porté par la Turquie à son voisin a aussi pour origine les innombrables liens qui se sont tissés entre les deux pays jusqu'au niveau le plus bas. Tout comme l'Inde est un pays particulier pour l'Afghanistan, la Turquie est un pays particulier pour l'Irak.

On peut également rappeler que la Turquie, bien qu'étant membre de l'OTAN, n'avait pas autorisé les troupes américaines à emprunter son territoire pour lancer l'opération militaire contre l'Irak. C'est une autre raison expliquant pourquoi les Turcs sont "des nôtres" pour leurs voisins.

On comprend aisément pourquoi Ankara manifeste ce regain d'activité précisément aujourd'hui, alors que débute le processus de remise de la souveraineté réelle de l'Irak entre les mains des Irakiens. Aujourd'hui les médiateurs, les pays qui, à l'exemple de la Turquie (et, dans un certain sens, de la Russie), appartiennent simultanément à l'Occident et à l'Orient, pourraient avancer des idées sur la voie à suivre au Proche- et au Moyen-Orient.

Et si l'on se souvient combien longtemps de nombreux pays européens, surtout petits, ont refusé de jouer un rôle quelconque en Afghanistan, pays lointain et insondable, et après en Irak, on saisit toute la portée du rôle particulier qui tombe littéralement entre les mains de la Turquie. Certes, on ignore encore ce que pourrait être la contribution turque dans le futur relèvement irakien et afghan, de même que dans le règlement proche-oriental et quelle incidence cela aura sur la physionomie de la Turquie, mais c'est une autre histoire. Pour le moment nous entendons pour l'essentiel des déclarations générales, du type de celle faite par le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, selon laquelle au XXI-e siècle son pays sera le symbole de l'harmonie entre les civilisations et se situera sur le tout devant de la scène géopolitique.

Au demeurant, une situation concrète est déjà évidente. L'épisode le plus marquant du sommet de l'OTAN a été l'intervention du président français, Jacques Chirac, au cours de laquelle il a recommandé à son homologue américain, George W.Bush, de ne pas s'immiscer dans le débat européen sur l'adhésion de la Turquie à l'UE. Cette question est sensible, bien évidemment. Mais d'ores et déjà il apparaît que ce pays pourrait y entrer sans problèmes si son rôle dans la politique irako-afghane de l'Europe était jugé irremplaçable.

Une dernière chose: cette actuelle "chance pour la Turquie" ressemble étonnamment à la "chance de la Russie" si l'on se permet d'appeler ainsi tout ce qui s'est passé dans les relations de la Russie et de l'Occident après le 11 septembre 2001, quand ils se sont découvert une foule d'intérêts vitaux communs.

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