Logement: la Russie soucieuse d'élargir ses marchés intérieurs

S'abonner
MOSCOU, 10 mars - par Iouri Filippov, commentateur de RIA Novosti.

Un nouveau Code du logement et une série de lois accessoires destinées à créer un marché massif du logement viennent d'entrer en vigueur.

En Russie, les réformes du marché sont réputées avoir démarré en 1992 avec la libéralisation du commerce extérieur et de la tarification. Pour la plupart des produits, les prix n'étaient plus fixés par les organismes de planification soviétiques, mais s'établissaient sous le simple effet de l'offre et de la demande, l'intervention de l'État étant relativement limitée.

Ces derniers temps, les Russes assistent à la croissance des marchés intérieurs des produits alimentaires et des vêtements, des appareils électroménagers, des ordinateurs, des automobiles, de la téléphonie cellulaire, etc. En refusant la répartition égalitaire, l'acheteur moyen a reçu une possibilité de choix et a élargi la gamme des produits achetés. Car le marché offre des biens et des services de meilleure qualité, à quelques exception près, par rapport à ce que pouvait offrir le système de répartition socialiste. Et presque tous les Russes s'y souscrivent aujourd'hui, indépendamment de leurs visions politiques. Le retour à l'ancien système de répartition ne figure même pas au programme du Parti communiste qui qualifie le socialisme de l'âge d'or du pays.

Tout le monde n'a pas le même accès au marché, tant s'en faut. Selon les estimations les plus optimistes, presque 20% de la population, soit un peu moins de 30 millions de personnes, vivent au-dessous du seuil de pauvreté, avec moins de 3 dollars par jour. Le revenu moyen par habitant s'élève, selon le Service fédéral des statistiques, à un peu plus de 200 dollars par mois. Avec cet argent, on peut faire ses provisions dans une épicerie du quartier ou aller au marché aux puces pour acheter bon marché des produits alimentaires russes ou de la camelote étrangère. Mais lorsqu'il s'agit de dépenses plus considérables, notamment pour acheter de l'immobilier ou investir dans l'enseignement de qualité, apanage des riches, on n'y pense même pas. Résultat: les rapports de marché existent, mais les marchés en tant que tels restent étroits et se développent de manière très disproportionnée. Or, comme dans les autres pays confrontés au même problème, cette situation fait diminuer la qualité de la croissance économique et multiplier les tensions sociales, en déstabilisant l'économie.

C'est la raison pour laquelle l'extension des marchés intérieurs est l'un des défis essentiels pour l'économie russe. C'est aussi un objectif politique à long terme pour l'administration de Vladimir Poutine, par rapport auquel les autres dossiers urgents, comme la lutte engagée par l'État contre les oligarques pétroliers de Yukos, semblent être moins importants.

Beaucoup d'observateurs étaient étonnés lorsque, l'an dernier, Poutine a inséré un marché massif et accessible du logement parmi les priorités de son message annuel adressé au parlement. Étonnés par le "prosaïsme" du problème, car on croyait jusqu'alors que les messages politiques annuels devaient évoquer principalement des problèmes dits globaux dont celui du logement ne faisait pas partie.

Toutefois, il ne s'est passé rien d'inattendu. Grâce à des prix mondiaux élevés du pétrole, la Russie vit ces dernières années dans l'aisance. Mais aucun pays n'est encore parvenu à occuper des positions réellement fortes dans l'environnement concurrentiel mondial sans disposer de marchés intérieurs volumineux et sans stimuler, par le biais de ceux-ci, la croissance économique. En outre, la prospérité de sa propre population est un objectif assez digne en soi qui n'est en rien moins important que beaucoup d'autres objectifs globaux. Le temps est venu donc pour la Russie, forte de son potentiel pétrolier, de s'occuper d'elle-même.

Poutine a chargé le gouvernement d'une mission politique: le marché du logement devrait être accessible à un Russe sur trois au moins. La nouvelle législation vise à élargir l'offre et à garantir une demande solvable. La Russie va donc construire plus et, grâce à la réduction des barrières administratives, à moins de frais. Et c'est la croissance du crédit hypothécaire qui devrait encourager l'achat massif de biens immobiliers rendus moins chers par la baisse des frais de construction.

Nul n'est certain cependant que les autorités réussiront à réaliser vite leurs projets. D'une part, les 15 à 20% annuels proposés aujourd'hui contre un crédit hypothécaire est un prix trop lourd pour la plupart des familles russes. D'autre part, on craint que l'extension de l'hypothèque, à savoir un massif afflux d'argent sur le marché du logement, ne provoque la hausse des tarifs et que le marché du logement ne reste élitiste non seulement dans les quartiers prestigieux de Moscou, mais aussi sur toute l'étendue du pays. Tant qu'il n'y a sur le marché que des clients riches ou du moins aisés, celui-ci reste étroit et les tarifs ne sont revus qu'à la hausse. Cela défavorise les clients aux revenus moyens et n'encourage pas le bâtiment. Qui plus est, l'étroitesse du marché du logement fait que les nouveaux appartements deviennent l'objet d'investissements spéculatifs. L'an dernier, la valeur moyenne de l'immobilier moscovite a grimpé de 20% à 25%. Selon des estimations, un tiers des nouveaux appartements ont été achetés dans le seul but de les céder à location.

La volonté ferme du gouvernement de faire du logement une marchandise accessible pousserait sans doute les spéculateurs à se camper dans le logement de standing et à quitter les autres secteurs. Car le nouveau Code du logement réunit les conditions pour rapprocher l'offre et la demande et ne laisse rien d'autre aux clients que d'entrer sur le marché du logement. Grâce aux nouvelles lois, la distribution gratuite des logements publics sera définitivement supprimée. Maintenant, une famille désireuse de prendre à location un appartement publicdevra prouver qu'elle fait partie des plus démunies. Les autres ne pourront se procurer un logement qu'en l'achetant et seront forcés d'aller au marché.

Si tout se passe ainsi, une autre mission politique assignée au gouvernement par Poutine pourrait être accomplie, celle de doubler le PIB en dix ans. Naturellement, la seule extension du marché du logement ne sera pas suffisante, mais ce n'est que le premier pas qui coûte. D'autres marchés vont lui emboîter le pas.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала