Russes et Américains ont besoin d'une Samantha Smith

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MOSCOU, 25 août - Piotr Romanov, RIA Novosti. Dans le paysage politique de nos jours, il manque une personnalité ordinaire au sourire charmant et sincère qui se mêlerait dans la cohue des femmes et des hommes qui ont perdu leur virginité politique pour leur poser des questions naïves mais justes.

À ma connaissance, cela n'est arrivé qu'une fois quand une fillette américaine a écrit une lettre au secrétaire général frais émoulu du Comité central du PCUS, Iouri Andropov, pour lui poser la question qui préoccupait tous les Américains: "Voulez-vous vraiment larguer une bombe atomique sur les États-Unis?"

La mère de la petite Samantha, Jane Smith, écrira dans ses mémoires: "Un numéro du Time est sorti avec le portrait d'Andropov en couverture. On pouvait lire dans l'éditorial que cet homme était très dangereux, qu'il ne manquerait pas d'aggraver les relations soviéto-américaines et que désormais tout pouvait arriver... Samantha s'approcha de moi et demanda: "Si le monde entier a peur de lui, pourquoi personne ne lui écrit pour lui demander carrément s'il veut la guerre ou non?" "Et pourquoi n'écrirais-tu pas toi-même", lui répondis-je avec une pointe de malice".

Alors que la mère s'amusait, Samantha Smith, 9 ans, originaire de la petite ville de Manchester, dans le Maine, était sérieuse et a fini par écrire sa lettre: "Cher Monsieur Andropov, je ne veux pas la guerre. Dites-moi si vous la voulez vraiment?" Cela se passait en automne 1982, au plus fort de la guerre froide entre l'URSS et les États-Unis, et Andropov, ex-patron du KGB, personnifiait alors le mal absolu pour l'élite américaine.

Il est difficile de dire aujourd'hui pourquoi Andropov a décidé de répondre à cette question naïve. Peut-être a-t-elle touché le secrétaire général jusqu'au plus profond de son âme? Peut-être s'agissait-il, comme on dirait aujourd'hui, d'un coup de pub? Et s'il en était ainsi, l'opération a été l'une des meilleures de l'époque soviétique. Jamais les relations soviéto-américaines n'avaient été aussi glaciales qu'au début des années 1980. Pendant la campagne électorale de 1982, Ronald Reagan parlait de la Russie comme de "l'empire du Mal". Bref, Samantha a écrit au Kremlin, et le Kremlin lui a répondu. Ensuite, Samantha a écrit une nouvelle lettre polie pour poser des questions sur la vie en URSS. La réponse fut brève: viens et tu verras tout de tes propres yeux.

Un miracle s'est produit. Une charmante fillette venant de l'État américain du Maine est arrivée chez les Russes et a séduit tout le monde. On la portait dans les bras, elle regardait autour d'elle d'un œil lucide et souriant. En rentrant dans son pays, elle a expliqué à ses compatriotes qu'il n'y aurait aucune guerre avec "l'empire du Mal" et que seuls des vieux gâteux de l'armée voulaient la guerre. Mais les miracles ne durent jamais longtemps: il y a tout juste vingt-cinq ans, le 25 août 1985, Samantha et son père trouvaient la mort dans un accident d'avion. On les a pleurés aussi bien aux États-Unis qu'en Union soviétique.

Des rêves naïfs... Allez, les garçons et les filles de l'Amérique, écrivez au Kremlin! Venez et regardez de vos propres yeux, et vous raconterez plus tard à vos parents comment vivent aujourd'hui les Russes, vous leur raconterez la vérité sans cacher quoi que ce soit.

Nous avons encore des sujets de honte, mais vous aussi. Vous avez de quoi être fiers, nous aussi. En lisant régulièrement la presse américaine, je suis persuadé que vos observations, naïves mais sincères, seront cent fois plus justes, honnêtes et profondes que ce qu'écrivent aujourd'hui les prétendus spécialistes américains de la Russie.

Après avoir lu toutes les bêtises qu'on écrit sur mon pays, je rêve d'accueillir en Russie une fillette ou un garçon ordinaire venant d'un État reculé de l'Amérique, qui appellerait un chat un chat et pourrait dénicher le mensonge avec sa simplicité d'enfant.

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