Les Sommets anniversaires et le pragmatisme russe

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MOSCOU, 29 août. (par Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre des technologies politiques (Russie) - RIA-Novosti).

Le déroulement, à Kazan, des Sommets des pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) et des Etats membres de l'Espace économique commun (EEC) était facile à prévoir. Nul ne voulait que des scandales y éclatent et compromettent ainsi les célébrations parallèles du millénaire de la ville de Kazan.

Somme toute, nul n'avait besoin de scandales, quels qu'ils soient. Aussi, tous les leaders des pays de l'espace post-soviétique étaient-ils très réservés et diplomates. Au lieu d'insister sur leurs divergences actuelles, ils cherchaient manifestement à se concentrer sur ce qu'ils avaient en commun. Seule exception, sans doute, la décision de la Turkménie de modifier le format de sa participation à la Communauté des Etats indépendants. Désormais, elle ne sera plus membre à part entière de la CEI, mais seulement membre associé. Quoi qu'il en soit, cet événement n'a pas été une surprise en soi, car auparavant également la Turkménie prenait ses distances par rapport aux autres membres de la CEI.

Or, les belles apparences ne pouvaient évidemment pas dissimuler les divergences notables entre les Etats de la CEI résultant avant tout des rivalités entre deux centres d'influence: le centre russe (les structures telles que l'Organisation du Traité de sécurité collective, OTSC, la Communauté économique eurasiatique, CEEA, et l'Espace économique commun, EEC, ainsi que l'Organisation de coopération de Shanghai, OCS, où la Russie et la Chine jouent le rôle de leaders) et le centre pro-occidental Ukraine-Géorgie (la "Communauté du choix démocratique" en gestation).

Déjà avant le Sommet, il était évident que la Russie cherchait à consolider les relations avec ses alliés effectifs et non pas nominaux, à savoir les pays qui ont fait le "choix européen". Concernant ces derniers, Moscou a manifestement décidé de s'en tenir strictement aux normes du droit international et d'organiser ses rapports économiques sur une base pragmatique. Autrement dit, seuls les Etats prêts à intervenir en partenaires politiques de la Russie peuvent en obtenir des préférences et avantages économiques.

Par conséquent, on voit s'achever cette période d'"inertie nostalgique" dans l'existence de la Communauté des Etats indépendants où tous les Etats sans exception dans l'espace post-soviétique étaient considérés par la Russie comme ses alliés historiques qui "ne partiraient nulle part" et resteraient à jamais dans la sphère d'influence russe. C'est justement cette approche qui a eu pour effet que les milieux au pouvoir dans plusieurs pays de la CEI ont choisi un scénario rationnel, de leur point de vue: utiliser tous les avantages possibles du partenariat économique privilégié avec la Russie, tout en s'orientant géopolitiquement vers l'Occident (dans l'espoir de se retrouver tôt ou tard au sein d'une "Europe unifiée").

A cette occasion, on se souvient de l'anecdote des années 1970 dans laquelle un Allemand voulait gagner sa vie comme s'il habitait la RFA tout en continuant de profiter de tous les avantages sociaux de la RDA. Il va sans dire que la politique ainsi organisée au sein de la Communauté des Etats indépendants représentait une impasse historique pure et simple, et voilà que maintenant, les pays membres de la CEI et leurs leaders devront faire leur choix, une fois pour toutes.

Tout porte à croire que les actuelles autorités ukrainiennes l'ont d'ores et déjà fait. Ainsi, au Sommet de l'Espace économique commun à Kazan, il a été convenu que la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie signeraient 29 documents relatifs à la mise en place de l'EEC d'ici le 1-er décembre 2005 et prépareront d'ici le 1-er mars 2006 la signature de 15 autres documents. Pour ce qui est de l'Ukraine, elle n'y participe même pas. Qui plus est, elle a déclaré ne pas être prête pour la création de structures supranationales dans le cadre de l'Espace économique commun. Souvenons-nous à cette occasion des propos tenus récemment par le ministre ukrainien de l'Economie, Sergueï Terekhine (chargé, d'ailleurs, des négociations sur l'EEC), selon lequel l'Ukraine peut même se retirer de ce projet. Et bien que par la suite ces paroles aient été officiellement désavouées, il est tout à fait évident que le ministre n'a fait qu'anticiper sur les événements.

Est-ce que cela signifie donc que la CEI va cesser d'exister, comme le prétendent certains experts? Tout indique qu'une telle conclusion est prématurée. C'est que la fonction de la Communauté des Etats indépendants à titre d'arène de dialogue entre leaders et élites des pays post-soviétiques n'est toujours pas épuisée, loin de là! Où les leaders de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan pourraient-ils encore se rencontrer régulièrement? Où encore les Présidents de la Russie et de la Géorgie auraient-ils pu s'entretenir dans le calme et sans une longue concertation préalable, sinon à l'occasion du sommet de Kazan, où Vladimir Poutine et Mikhaïl Saakachvili ont discuté des problèmes liés au retrait des bases militaires russes du territoire géorgien? Cela n'est possible qu'aux forums de la Communauté des Etats indépendants, mécanisme qui demeure pour le moment irremplaçable et auquel on ne trouvera probablement pas d'alternative dans un avenir prévisible.

Il n'en est pas moins vrai cependant que les organes exécutifs de la CEI, formés encore dans les années 1990 et pratiquement "figés" au niveau de l'époque, doivent être modernisés. Et c'est justement cette question qui s'est trouvée au centre de la discussion au Sommet de la CEI à Kazan.

Par conséquent, la CEI continuera d'exister bien que les "règles du jeu" y deviennent plus réalistes, plus pragmatiques et plus strictes. D'autre part, la concurrence dans l'espace post-soviétique deviendra sans doute de plus en plus âpre. Dans l'immédiat, la lutte principale se déroulera sans doute en Biélorussie où les présidentielles auront lieu l'année prochaine, élections que l'opposition biélorusse voudrait assortir d'une "révolution colorée" (avec l'appui non-dissimulé de l'Occident qui se montre de plus en plus critique à l'égard du Président Alexandre Loukachenko). Dans le même temps, en Ukraine, les forces pro-russes ne manqueront certes pas de prendre leur revanche aux futures législatives pour la défaite aux présidentielles de l'année dernière. Qui plus est, ces futures élections au Parlement ukrainien sont en train de revêtir une signification particulière vu la réforme politique en Ukraine qui élargit considérablement les compétences du pouvoir législatif. Ainsi, tout porte à croire que dans les mois et même les années qui viennent, les centres d'influence russe et pro-occidental vont essayer de gagner à leur cause le maximum d'alliés possible parmi les pays membres de la Communauté des Etats indépendants.

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