Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)

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Histoire et objectifs

Le 25 mai 1993, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté à l'unanimité la résolution n°827 instituant un tribunal international ad hoc pour l'ex-Yougoslavie. L'initiative d'élaborer la résolution n°827 émanait de la France. La Russie faisait partie des auteurs du projet de résolution. L'idée originelle, celle de créer un tribunal pénal international en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies et non pas sur la base d'un traité international, appartenait au secrétaire général de l'ONU, Boutros Boutros-Ghali.

En contournant la Charte

Il est admis qu'à cette époque il n'y avait pas d'autre choix, car la fondation d'un tribunal sur la base d'un traité, à l'instar des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, aurait pris beaucoup de temps. Sur le plan humain l'argument est compréhensible, mais il est faible sur le plan juridique. Car le chapitre VII de la Charte des Nations Unies stipule seulement que le Conseil de sécurité "constate l'existence d'une menace contre la paix" et "fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises" conformément aux articles 41 (n'impliquant pas l'emploi de la force) et 42 (impliquant l'emploi de la force). Mais il s'agit dans les deux cas de mesures prises à l'encontre d'Etats, alors que la juridiction du TPIY s'étend aux particuliers.

Les juristes du TPIY se réfèrent également à l'article 29 du chapitre V de la Charte des Nations Unies stipulant que "le Conseil de sécurité peut créer les organes subsidiaires qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions". Cependant, le Conseil de sécurité est dépourvu de compétences judiciaires (dans le système de l'ONU, seule la Cour internationale de justice en dispose), donc il n'est pas habilité à les transférer à un organe subsidiaire. Encore un point important: on sait que la Charte des Nations Unies ne peut créer d'obligations juridiques que pour ses pays signataires. Entre le 22 septembre 1992 et le 1er novembre 2000, la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) n'était pas de jure membre de l'ONU. Par voie de conséquence, la République fédérale de Yougoslavie peut ne pas reconnaître la juridiction d'un tribunal fondé (même légalement) sur la base de la Charte des Nations Unies.

Juridiction sans frontières

Le TPIY est habilité à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l'ordre de commettre des infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 (article 2 du Statut), qui commettent des violations des lois ou coutumes de la guerre (article 3), qui commettent un génocide (article 4) ou les actes énumérées dans l'alinéa 3 de l'article 4, qui sont responsables de crimes lorsque ceux-ci ont été commis au cours d'un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés contre une population civile quelle qu'elle soit (article 5). Ainsi, tous les actes énumérés, à l'exception de l'article 5, ne concernent au sens strict que les conflits internationaux.

L'article 8 du Statut définit le début de la période à laquelle s'étend la compétence ratione temporis du TPIY, soit le 1er janvier 1991, donc presque sept mois avant que la Slovénie et la Croatie, les premières républiques de la République fédérative socialiste de Yougoslavie, n'aient proclamé leur indépendance et n'aient été reconnues en tant qu'Etats souverains. La question inévitable est donc de savoir si l'application des normes du droit international humanitaire est justifiée en l'absence de conflit international. Certains cas sont considérés par le TPIY comme des conflits internationaux, que cela soit la réalité ou non. Dans d'autres cas, au contraire, le TPIY affirme que l'ampleur internationale d'un conflit n'est pas en soi une condition sine qua non de l'application des normes du droit international. On pourrait l'accepter, mais ces normes devraient alors être appliquées par les instances judiciaires nationales.

Un particulier peut être soustrait à la juridiction de son Etat si ledit Etat commet un crime international (c'est le cas des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo), ou encore si cet Etat y donne son accord en adhérant à un traité international (c'est le cas de la Cour internationale de justice). Car "tout Etat a le droit de juger ses propres ressortissants pour crimes de guerre ou pour crimes contre l'humanité" [Résolution 3074 (XXVIII) de l'Assemblée générale en date du 3 décembre 1973]. Après dix ans de travail, le TPIY a finalement décidé de partager son pouvoir judiciaire: en janvier, le procureur Carla del Ponte a évoqué la possibilité de transférer certains dossiers à la justice de Bosnie-Herzégovine, tout en estimant que les tribunaux de la Serbie-Monténégro n'y étaient pas encore prêts. Mais, le 19 mai dernier, lors de sa dernière visite à Belgrade, Mme del Ponte n'excluait pas que certaines auditions puissent avoir lieu en Serbie.

La date de la fin de la juridiction n'est pas fixée: la résolution n°827 parle vaguement d'une "date que déterminera le Conseil après la restauration de la paix". En septembre 2001, le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, a dit que le TPIY pourrait achever ses activités vers 2008. Plus tard, en janvier 2003, Carla del Ponte a promis que le tribunal fonctionnerait tant que les leaders des Serbes bosniaques Radovan Karadzic et Ratko Mladic resteraient en liberté, déclaration assez arbitraire pour un tribunal ad hoc.

Politique et droit

La dépendance évidente des poursuites engagées envers la conjoncture politique mine également la confiance envers le TPIY. Les exemples de ce type sont nombreux dans la pratique du Tribunal. Ainsi, le 6 juillet 1995, pendant le conflit en Bosnie-Herzégovine, les Serbes ont lancé une attaque contre Srebrenica. Le 24 juillet 1995, le premier accusateur du Tribunal, Richard Goldstone, a ouvert une enquête contre le président de la Republika Srpska, Radovan Karadzic, et le chef de son armée, Ratko Mladic. En avril-septembre 1995, l'OTAN a lancé des frappes aériennes contre des sites militaires serbes, ce qui a encouragé l'offensive des musulmans et des Croates. Le 16 novembre 1995, une deuxième action a été intentée contre Karadzic et Mladic.

Le 23 mars 1999, le parlement serbe a rejeté la demande de l'OTAN de déployer ses troupes au Kosovo-Metohija. Le 24 mars, l'OTAN a bombardé le pays. Le 31 mars 1999, le deuxième procureur Louise Arbour a rendu publique l'accusation contre Zeljko Raznatovic, plus connu sous le nom d'Arkan, inculpé le 30 septembre 1997. L'enquête n'ayant pas progressé, il a été alors décidé d'annoncer l'inculpation de ce chef paramilitaire incontrôlé pour démontrer la force du TPIY.

Le 27 mai 1999, au plus fort des frappes aériennes de l'OTAN, Louise Arbour a inculpé les dirigeants en exercice d'un Etat souverain: le président yougoslave Slobodan Milosevic, le président serbe Milan Milutinovic, etc. En septembre 1999, la fonction de procureur a été confiée à Carla del Ponte que ses détracteurs avaient baptisée "unguided missile" (missile non guidé). Un volumineux dossier sur les violations du droit international pendant les frappes otaniennes avait été rassemblé vers cette époque, et Mme del Ponte s'est engagée publiquement à enquêter sur ces violations, ce qu'elle n'a pas fait.

Au contraire, Carla del Ponte a intenté encore deux affaires contre Milosevic et a insisté énergiquement pour que les trois dossiers de l'ex-président yougoslave - sur le Kosovo (1999), la Croatie (1991-1992) et la Bosnie-Herzégovine (1991-1995) - soient regroupés en un seul. L'objectif de ce regroupement était de prouver que Milosevic participait à un complot criminel visant à créer une "Grande Serbie". Mais cela ressemble fortement au procès de Nuremberg dont les accusés voulaient à créer une "Grande Allemagne".

"Les crimes contre le droit international sont commis par des êtres humains, et non par des entités abstraites", stipulait le verdict de Nuremberg. La responsabilité des particuliers n'était donc pas détachée de la responsabilité de droit international d'un Etat: le verdict commence par la description des crimes de l'Allemagne, suivie par les crimes des accusés. Le TPIY, tout en accusant les hauts responsables yougoslaves de crimes internationaux, ne dit pas que ces crimes ont été commis par la Yougoslavie.

Déjà le traité de Versailles de 1919 répertoriait différents types de juridiction: la justice internationale ne frappait que l'empereur Guillaume II pour "offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités". De même, le tribunal de Nuremberg ne servait qu'à juger les grands criminels, les autres étant déférés aux tribunaux nationaux et d'occupation. Le TPIY ne fait pas la différence entre les accusés, ce qui renvoie à l'époque d'avant Versailles.

Le 2 mars dernier, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) a adopté une résolution proposant d'étudier la possibilité de créer un tribunal pour la Tchétchénie comparable au TPIY. Il est clair qu'un tel organisme ne pourra pas être créé par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, la Russie y disposant du droit de veto. Mais, en se souvenant de la façon dont a été fondé le TPIY, on ne peut pas exclure qu'un autre moyen soit trouvé pour créer un tribunal pour la Tchétchénie.

Information:

En dix ans d'activités, le TPIY a intenté 45 affaires contre des Serbes, 12 contre des Croates, 5 contre des musulmans et une contre des Albanais. 13 Serbes, 4 Croates et 3 musulmans ont été condamnés. 3 Croates et 2 musulmans ont été acquittés. La peine la plus longue (40 ans de prison) a été attribuée au Serbe Goran Jelisic, la peine la moins longue (2 ans et demi) au Croate Zlatko Aleksovski.

(D'après le quotidien Nezavissimaïa Gazeta, le 26 mai 2003).

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