Washington vénère ses héros de la guerre froide

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Le Congrès américain a récemment voté à l'unanimité l'institution d'une nouvelle médaille, dite "médaille de la victoire dans la guerre froide" (Cold War Victory Medal). Une initiative d'autant plus incongrue que les interrogations se multiplient sur l'origine de ce méchant prurit qui pousse les Américains à enrichir leur batterie de décorations. Pourquoi aujourd'hui? Il a coulé beaucoup d'eau sous les ponts depuis l'effondrement de l'URSS. En effet, c'est un peu comme si les Italiens avaient introduit une médaille de la victoire dans la guerre des Gaules, et encore ce serait plus logique, car ce fut bien une guerre "chaude".

Cet événement pourrait avoir plusieurs explications. Primo, Washington cherche ainsi à rappeler à la Russie, devenue trop indépendante, qui a gagné et qui a perdu dans la confrontation avec les Etats-Unis.

Secundo, il faut remonter le moral du peuple américain. Malgré les succès militaires évident des dernières années, les Etats-Unis ont essuyé une défaite humiliante sur les plans moral et politique dans la première guerre en Irak, en abandonnant à la merci du régime de Saddam Hussein ses nombreux adversaires politiques qui avaient naïvement espéré l'assistance américaine. Vint ensuite la deuxième guerre, encore plus humiliante, où les Américains ont occupé le pays (sous un prétexte fallacieux), mais se sont révélés incapables de le contrôler. Enfin, rien n'exclut une nouvelle guerre dans un proche avenir, cette fois avec l'Iran, qui serait encore plus sale et ferait encore plus de victimes innocentes parmi la population civile. Peut-il en être autrement si l'éventualité de frappes nucléaires contre l'Iran est sérieusement débattue à Washington?

La troisième explication, la plus plausible, repose sur la psychologie humaine: tout simplement, les membres du Congrès souhaitaient se pavaner avec une nouvelle médaille sur la poitrine.

Alors que la dernière version est plutôt burlesque, les deux premières ne prêtent pas à rire. Si les Etats-Unis pensent sérieusement faire pression, fût-ce indirectement, sur la Russie contemporaine, ils commettent, pour parler poliment, une erreur politique. Impossible de faire revenir les choses en arrière: la Russie a beaucoup changé depuis et, quoi qu'on dise à Washington, le Kremlin continuera à défendre ses intérêts et sa vision aussi bien des problèmes mondiaux que de la façon dont on bâtit la démocratie chez soi.

Si les Etats-Unis tentent de remonter le moral du peuple américain, c'est leur affaire, mais la tâche sera difficile, surtout si l'administration Bush déclenche une guerre contre l'Iran.

Enfin, il reste une chose fondamentale à préciser. Les Américains doivent comprendre une fois pour toutes que les Etats-Unis n'ont pas gagné la guerre froide contre l'Union soviétique, mais que l'Union soviétique l'a perdue. Et ce n'est pas la même chose.

La destruction et l'inefficacité étaient inhérentes au régime communiste. Les Soviets étant une forme originale de démocratie populaire, Lénine les a châtrés et les a placés sous l'autorité du parti des bolcheviks. Ils finiront leurs jours en 1921 après la répression de la fameuse révolte des marins de Cronstadt. Ainsi, pour être juste, c'est Lénine qui mériterait d'être le premier décoré, à titre posthume, de la nouvelle médaille américaine. Nikita Khrouchtchev, qui a démantelé le culte de Staline en détruisant ainsi les fondements idéologiques du régime en est tout aussi digne. Enfin, la médaille américaine devrait être attribuée à Mikhaïl Gorbatchev, même si ce dernier, au lieu d'écouter les radios étrangères, armes de la guerre froide, rêvait simplement d'un "socialisme à visage humain", sans s'intéresser à la démocratie occidentale. Mais une fois sorti de sa torpeur, le pays a échappé à tout contrôle. La Russie a fini par emprunter une autre voie.

Des héros de la guerre froide, il y en a bien sûr aux Etats-Unis mêmes, tel Zbigniew Brzezinski qui a raconté un jour à la presse française comment il avait entraîné l'URSS dans la guerre en Afghanistan qui fut suicidaire pour les "vieillards" du Kremlin. Toutefois, cette aventure a connu une triste fin non seulement pour l'Union soviétique, mais aussi pour les Etats-Unis. C'est Oussama Ben Laden, pupille de la CIA spécialement formé pour la lutte contre les Soviétiques en Afghanistan, qui est responsable de la tragédie du 11 septembre à New York. La médaille de Brzezinski paraît donc contestée.

Quoi qu'il en soit, puisque le Congrès américain a voté, les héros seront décorés.

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