Le Venezuela vu par un conférencier russe

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Les Vénézuéliens ne cherchent pas à reproduire le modèle soviétique, ni le modèle chinois, ni le modèle cubain: leur but est de construire un "socialisme bolivarien".
Par Alexandre Bouzgaline, professeur à l'Université de Moscou

Cet article ne prétend pas à une analyse minutieuse des problèmes qui se posent aujourd'hui au Venezuela. Ce sont tout juste des notes de voyage dont l'auteur n'est pas un spécialiste de l'Amérique latine, mais un chercheur économiste invité à Caracas pour une série de conférences sur les leçons (tant positives que négatives) de l'histoire soviétique. L'invitation m'a été adressée par l'école de planification récemment instituée au Venezuela, ainsi que par le ministère de la Planification et du Développement: les autorités vénézuéliennes sont fermement décidées à édifier une société et une économie socialistes. A cet effet, elles ont institué une commission spéciale de planification et de formation de l'économie socialiste dirigée par le vice-président du pays.

Nul ne sait pour le moment ce qu'il en résultera, mais leurs intentions sont très sérieuses!

Premièrement, on constate le désir des Vénézuéliens de se servir de l'expérience d'autrui pour apprendre et non pour la copier. Ils ne cherchent pas à reproduire le modèle soviétique, ni le modèle chinois, ni le modèle cubain: leur but est de construire un "socialisme bolivarien" (disons en passant que dans le Venezuela d'aujourd'hui, Bolivar est un personnage aussi vénéré que Lénine dans l'URSS des années 1970). Tout porte à croire que le caractère "bolivarien" du socialisme sera dicté par les particularités de l'Amérique latine et de ses révolutions de libération nationale, ainsi que par les origines spécifiques de ses peuples qui plongent leurs racines dans les communautés indiennes, communautés organisées dans une large mesure selon les principes socialistes.

Deuxièmement, ils considèrent le socialisme comme une solution aux multiples problèmes de l'Homme: depuis les problèmes éthiques jusqu'à la liquidation de la pauvreté, en passant par la satisfaction des besoins fondamentaux dans les divers domaines: emploi, sécurité sociale, éducation, assistance médicale, culture, sport, etc. Les programmes sociaux sont là pour combattre la pauvreté et offrir à chacun la possibilité de recevoir une instruction (depuis l'instruction primaire dispensée à tout le monde, y compris aux adultes, jusqu'à la formation universitaire), pour fournir à tous une assistance médicale élémentaire et une retraite garantie, pour régler le problème de l'emploi (le chômage se maintient au niveau de 6% à 8%, mais a tendance à se réduire).

Troisièmement, il s'agit d'édifier le socialisme par des moyens exclusivement pacifiques, sans recourir à la violence. Malgré des provocations monstrueuses et incessantes, dont une tentative de coup d'Etat, l'opposition, au Venezuela, n'est nullement muselée: vous n'y trouverez pas de detenus politiques, et les organisateurs du coup d'Etat armé ont été tout simplement expulsés du pays. Il est aussi à noter que l'Etat se garde d'utiliser la violence sous quelque forme que ce soit à l'encontre des journalistes et des patrons des médias, dont ceux qui cherchent à dénigrer le président Hugo Chavez.

Enfin, la nouvelle société est en formation au Venezuela avec la participation immédiate des citoyens, surtout des personnes issues des milieux les plus défavorisés. C'est aux conseils municipaux, créés par les gens du peuple, que Chavez accorde le plus grand soutien. Son idée maîtresse consiste à développer non seulement toutes les formes de la démocratie bourgeoise (Etat de droit, pluripartisme, respect des droits de l'homme, liberté d'expression, etc.), mais aussi la démocratie de base, dont l'autogestion économique et l'auto-administration régionale.

Lors des entretiens que j'ai eus avec mes collègues vénézuéliens, j'ai constaté que le pays était confronté à deux problèmes majeurs. Le premier réside dans la faible efficacité et la corruption du pouvoir exécutif; le second, dans les contradictions opposant les élites intellectuelles et professionnelles (qui, dans leur majorité, soutiennent l'opposition) aux personnes sans ressources qui ont accédé au pouvoir et aux avantages sociaux.

Le premier problème fait l'objet de vives discussions, on en parle beaucoup, sans rien cacher. Je me garderai d'être pessimiste sur les perspectives de sa solution. Les dirigeants que j'ai rencontrés, dont le ministre de l'Industrie des matières premières et le vice-ministre de la Planification et du Développement, ont tous été ouverts et démocratiques: gais et énergiques, ils portaient des blue-jeans et ne fermaient jamais leurs bureaux à clé. Tant les masses que les leaders étaient sérieusement disposés à promouvoir la transparence des administrations et le contrôle de leur travail par les citoyens.

Le second problème est beaucoup plus complexe. Les élites intellectuelles et professionnelles rejettent Chavez pour de nombreuses raisons. Le fait est que ses efforts principaux - et c'est parfaitement logique - sont axés sur les couches les plus pauvres. Quant à la "classe moyenne", elle a été privée de pouvoir et d'avantages économiques. Et bien que ces dernières années la situation matérielle des "cols blancs" se soit améliorée, ils ont néanmoins cessé d'être au centre de l'attention. La tendance à ne prendre en compte que les intérêts des pauvres - et ce, dans la vie sociale, politique, culturelle, dans l'éducation, etc. - n'a pas manqué d'engendrer des inégalités sociales.

Il est évident que les deux parties doivent engager un dialogue constructif sur un pied d'égalité, dialogue réunissant d'une part les organisations des pauvres ayant fait la preuve de leur capacité à déployer des actions solidaires, le président et son équipe, et d'autre part les intellectuels prêts à préparer la percée stratégique du Venezuela vers une économie moderne et une société hautement civilisée.

C'est seulement dans cette voie qu'il est possible de faire des milieux les plus démunis une force sociale capable d'une activité constructive solidaire et ayant un niveau de vie suffisamment élevé, une bonne formation et une riche culture.

Pour y arriver, il faudra modifier sensiblement le mode de vie, la mentalité et les traditions des pauvres et des intellectuels.

Pour les militants et les intellectuels de gauche russes, les processus qui s'opèrent au Venezuela sont très importants. C'est sans doute dans ce pays d'Amérique latine que se trouve actuellement le nerf principal des tendances socialistes.

Tiré du journal "Moskovskié novosti" n° 18 (11.05.2007)

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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