22 juin: la mémoire contre l'oubli

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Par Maxime Krans, RIA Novosti
Par Maxime Krans, RIA Novosti

Le 22 juin, Journée de la mémoire et de l'affliction, est une des dates les plus tristes dans les annales de notre pays, car elle rappelle que des millions de personnes ont été tuées, torturées dans les geôles nazies et ont succombé à la faim ou au travail forcé. C'est un jour de reconnaissance envers ceux qui ont tenu bon et qui ont remporté la victoire dans la guerre la plus sanglante et dévastatrice de l'histoire de l'humanité. Il y a bien plusieurs décennies que le peuple commémore ses héros. Mais est-ce que tous les Russes éprouvent aujourd'hui les mêmes sentiments?

A vrai dire, je n'aime pas écrire sur la guerre, car il est difficile de trouver les mots qui conviennent. Le fait est que j'ai des comptes particuliers à lui présenter. Pour mes proches qui ont été fusillés à Daugavpils, qui ont subi le blocus de Leningrad et la captivité hitlérienne. Pour trois années et demie passées au front par ma mère, étudiante de la faculté de biologie de l'Université de Moscou qui a combattu pour défendre son pays à l'appel du Komsomol (Jeunesses communistes). Pour les gars aux jambes amputées qui se réunissent dans un square à côté de notre maison et, en fait, pour tous mes compatriotes qui ne sont pas rentrés chez eux.

A mon avis, de nombreux habitants de la Russie pourraient présenter les mêmes "griefs" à la guerre. En effet, selon les sondages d'opinion, 64% des Russes d'aujourd'hui ont des parents qui ont péri pendant la Grande Guerre patriotique de 1941-1945. Certains combattants ont été blessés et sont devenus invalides, d'autres ont été détenus dans les camps de concentration, faits prisonniers ou se sont retrouvés à l'étranger après la guerre. Le jour de l'affliction, on s'en souvient aussi.

66 ans se sont écoulés depuis le début de la guerre, mais, pour les vieilles générations, ce n'est pas un sujet historique, un chapitre de livre, une info parmi d'autres, mais une part de leur vie. Les chenilles des chars ont brisé les destins des gens, laissant pour toujours dans leur âme des plaies béantes et l'amertume des pertes. Le souvenir de la guerre aurait dû, semble-t-il, s'ancrer profondément dans le peuple au niveau génétique. Cependant, le brouillard de l'oubli estompe de plus en plus les terribles années 40. La jeunesse actuelle, en tout cas, pour une part considérable, se désintéresse des souvenirs de cette époque-là et des derniers témoins des exploits massifs accomplis sur les champs de bataille et à l'arrière.

Il y a sept ans, j'ai participé à un sondage effectué parmi les élèves des grandes classes de quatre villes russes. Les résultats sont affligeants. Seuls 34% des écoliers connaissaient la date du début de la guerre. 93% d'entre eux ont affirmé que les troupes américaines, britanniques et françaises avaient participé à la prise de Berlin, 81% n'ont rien pu dire à propos du procès de Nuremberg.

La situation n'a pas changé depuis sept ans, elle a même empiré. Au cours d'un sondage parmi les étudiants de Krasnoïarsk, seul un sur cinq a su répondre à la question "qu'est-ce qui est arrivé le 22 juin 1941?" Un sondage national effectué par la Fondation Opinion publique parmi les Russes âgés de 18 à 35 ans a donné pratiquement les mêmes résultats. Ont-ils la mémoire courte?

Certes, j'étais enfant à l'époque où les souvenirs de la guerre étaient encore vivaces. On en parlait sans cesse le soir. Il y avait des photographies jaunies de gens en vareuses, vivants et déjà morts, de maisons ruinées... Pour la jeunesse d'aujourd'hui, c'est de l'histoire lointaine, de même que les guerres hussites pour la vieille génération actuelle, un chapitre du manuel qu'il faut apprendre et oublier après l'examen.

Mais la raison de mon inquiétude est autre: dans l'esprit des jeunes d'aujourd'hui, les représentations de l'exploit de leurs grands-pères et du mal contre lequel ils avaient combattu subissent des changements. D'après les données de la Fondation Opinion publique, 15% des jeunes estiment que le fascisme, en tant que conception du monde, comporte des idées positives. Lorsqu'on a demandé aux étudiants de Moscou ce qu'il serait arrivé à notre pays en cas de victoire de l'Allemagne, un tiers a répondu "rien", un sur dix "on vivrait mieux" et 5% se sont, en fait, prononcés en faveur de la victoire hypothétique des Allemands.

Il s'avère que cela est aujourd'hui possible chez nous, tout comme le fait que les germes du nazisme se mettent à pousser sur notre terre imprégnée du sang de nos soldats. D'après les données du ministère de l'Intérieur, 150 groupements de jeunesse extrémistes agissent actuellement en Russie. Selon les militants des droits de l'homme, il y en a plus. Selon les statistiques du Centre d'analyse et d'information SOVA, rien qu'au cours des cinq premiers mois de cette année, 245 personnes ont été battues ou poignardées par des extrémistes, et 32 personnes en sont mortes.

En règle générale, les actions des néonazis et des skinheads sont qualifiées de hooliganisme. Ce n'est que depuis ces derniers temps qu'elles ont commencé à être parfois jugées d'après d'autres articles du code pénal. Mais ces cas restent rares. Le dernier exemple en a été fourni par des verdicts prononcés le 19 juin dans les deux capitales russes. Si le tribunal de Saint-Pétersbourg qui a condamné à des peines de prison les énergumènes qui avaient battu à mort un étudiant congolais ont relevé les motifs racistes du crime, les membres d'un groupe néonazi de Moscou accusés du meurtre d'un antifasciste et du passage à tabac de l'un de ses amis ont en revanche été condamnés pour hooliganisme et coups et blessures légères.

Bien entendu, il est dangereux de généraliser les faits. En réalité, notre jeunesse est hétéroclite. Quand les uns passent leurs vacances dans les détachements qui recherchent les restes des combattants pour rendre un dernier hommage aux soldats inconnus de la Grande Guerre patriotique, d'autres pillent les tombes de soldats et profanent les mémoriaux, d'autres encore ont effacé la guerre passée de leur mémoire et ne veulent en aucun cas en entendre parler.

Faut-il en accuser la vieille génération qui n'a pas appris aux enfants à vénérer les choses sacrées? Ou bien avons-nous trop glorifié la période de guerre en dissimulant longtemps sa terrible vérité? A vrai dire, est-ce que nous nous sommes souvenus des anciens combattants plus souvent qu'à l'occasion des grandes dates?..

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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