Israël: l'échange à tout prix

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Par Maria Appakova, RIA Novosti
Par Maria Appakova, RIA Novosti

Deux ans après la fin officielle de la guerre libano-israélienne, on peut dire qu'elle s'est effectivement achevée. Les soldats israéliens Ehud Goldwasser et Eldad Regev, dont la capture en juin 2006 fut la raison formelle du début de la guerre libano-israélienne, sont rentrés chez eux... mais les pieds devant. La société israélienne est en état de choc. Au Liban, on fête la victoire.

L'hypothèse selon laquelle Goldwasser et Regev étaient probablement morts a été émise, quelques semaines avant l'échange, par des personnalités officielles israéliennes se référant à des renseignements des services secrets. Néanmoins, les parents des soldats ont espéré jusqu'au dernier moment, d'autant que des tests ADN étaient nécessaires pour assurer la fiabilité de l'identification. De nombreux Israéliens ont eux-aussi espéré, bien que dans l'Etat hébreu, on ait l'habitude de croire aux renseignements des services secrets. Les chefs militaires n'avaient pas par hasard ordonné à l'avance de se préparer aux funérailles. C'est pourquoi l'échange attendu a suscité tant de débats dans la société israélienne. "Nous sommes le seul pays à échanger des terroristes vivants contre des dépouilles": ces paroles amères continuent à retentir dans les médias israéliens. C'était l'une des raisons des objections à un tel échange formulées par Meir Dagan, chef du Mossad (renseignement israélien), et Yuval Diskin, chef du Shin Bet (Service de sécurité général, contre-espionnage). Pourtant, les dirigeants israéliens ont accepté cette "transaction", rendue possible grâce à la médiation de l'ONU et de l'Allemagne.

Conformément à l'entente intervenue, en échange des dépouilles des deux soldats israéliens, Israël remet au Liban quatre membres du Hezbollah et Samir Kantar, condamné à perpétuité pour avoir assassiné une famille israélienne (y compris une fillette de quatre ans), et qui a passé 29 ans dans une prison israélienne. Aux termes de l'accord, Israël remet également au Liban environ 200 dépouilles de membres du Hezbollah et de quelques Palestiniens, morts lors de tentatives de traverser les frontières.

La position d'Israël, répétée ces jours-ci en forme d'incantation par des hommes politiques haut placés, est la suivante: chaque soldat doit savoir que les dirigeants du pays ne l'abandonneront pas, chaque mère doit savoir que ses enfants reviendront dans n'importe quelles circonstances.

Cette approche n'est pas nouvelle pour Israël. Elle a toujours été pieusement respectée, autant que possible, par les dirigeants israéliens. Il ne s'agit pas du premier échange de ce type. Selon les médias, huit transactions avaient déjà eu lieu rien qu'avec le Hezbollah depuis 1991. L'échange précédent s'était déroulé en 2004, lorsqu'Israël avait remis au Liban 400 détenus en échange de la libération d'un homme d'affaires israélien et des dépouilles de trois soldats.

Chaque fois, ces transactions suscitent de vifs débats dans la société israélienne. Rares sont ceux qui doutent du fait que les citoyens du pays, vivants ou morts, doivent rentrer chez eux. Mais une question se pose: les transactions de ce genre n'incitent-elles pas les ennemis d'Israël à commettre de nouveaux agissements? Ce problème préoccupe aujourd'hui encore les Israéliens. Il n'y a rien de nouveau, semble-t-il. Mais le dernier échange a été l'un des plus douloureux pour Israël, et l'état d'esprit dans le pays rappelle les sentiments éprouvés par les Israéliens en août 2006, après l'annonce de la fin de la guerre. La société israélienne ne comprend toujours pas par quoi s'est terminée la dernière guerre: une victoire ou une défaite. Cet échange fait pencher la balance vers la défaite, d'autant qu'Israël n'avait jusque-là jamais libéré de détenus à l'instar de Samir Kantar.

Aussitôt après la guerre, certaines réalisations tactiques pouvaient être considérées comme une victoire pour Israël: le rétablissement du calme à la frontière libano-israélienne et le déploiement des forces de paix de l'ONU dans la zone contrôlée jadis par le Hezbollah. Mais les Israéliens n'ont pas réussi à obtenir l'essentiel: le désarmement de ce mouvement chiite, ainsi que sa démoralisation. C'est plutôt Israël qui s'est retrouvé démoralisé, alors que le Hezbollah ne cesse de renforcer ses positions politiques au Liban, à en juger par les derniers événements dans le pays. L'échange de prisonniers est un plus pour le mouvement aux yeux des Libanais. Le Hezbollah est le héros et organisateur principal des festivités libanaises à l'occasion du retour des détenus.

Le mouvement avait annoncé sa victoire sur Israël il y a deux ans déjà. Le fait que le Hezbollah ait pu combattre jusqu'au dernier jour de la guerre contre la plus forte armée du Proche-Orient peut certainement être considéré comme une victoire. Mais elle était alors assombrie par l'immense quantité de victimes civiles au Liban, ainsi que par d'importantes destructions. A présent, le Hezbollah célèbre une victoire incontestable. Si, il y a deux ans, les hommes politiques israéliens trouvaient encore des arguments en faveur de leurs thèses, à présent, ils ne peuvent rien répondre au Hezbollah. Bien plus, ils sont contraints de reconnaître que la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l'ONU qui avait déterminé les conditions de la fin de la guerre est un échec. "La résolution 1701 ne fonctionne pas", a déclaré ces jours-ci le ministre israélien de la Défense Ehud Barak, faisant avant tout allusion au fait que le Hezbollah n'avait toujours pas été désarmé.

D'après les renseignements des services secrets israéliens, depuis la fin de la guerre, le Hezbollah a triplé son arsenal de missiles. Le mouvement dispose de 40.000 missiles capables d'atteindre les régions densément peuplées du centre d'Israël. Il y a deux ans, les missiles du Hezbollah n'atteignaient pas le centre. A la lumière de ces informations, il est inutile d'évoquer les objectifs atteints par Israël au cours de la guerre. Le retour des dépouilles d'Ehud Goldwasser et d'Eldad Regev ressemble même à un coup définitif porté à l'Etat hébreu.

Les défaites morales sont en général plus lourdes que les défaites physiques.

Autre point: après la transaction avec le Hezbollah, Israël devra probablement payer un prix très élevé pour la libération du soldat Gilad Shalit, capturé peu avant Regev et Goldwasser à la lisière de la bande de Gaza, et toujours retenu par le mouvement palestinien Hamas. Si des dépouilles sont échangées contre un criminel des plus connus, que demandera-t-on à Israël pour Gilad Shalit vivant?

Une règle dit au Proche-Orient qu'en faisant preuve un jour de faiblesse, on est obligé de continuer à céder. Afin de remplir ses engagements moraux devant les familles des morts et pour respecter des principes auxquels l'Etat s'est toujours tenu, Israël a fait une concession. L'avenir nous dira le prix qu'il paiera pour cela. Mais au fond, pouvait-il agir autrement?

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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