Le tandem doit choisir entre les promesses et les réformes

© RIA Novosti . Dmitriy Astakhov / Accéder à la base multimédiaAlexeï Koudrine et Dmitri Medvedev
Alexeï Koudrine et Dmitri Medvedev - Sputnik Afrique
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En réponse à la proposition du président russe Dmitri Medvedev de quitter le poste de ministre des Finances, Alexeï Koudrine a démissionné.

En réponse à la proposition du président russe Dmitri Medvedev de quitter le poste de ministre des Finances, Alexeï Koudrine a démissionné. La réaction brusque du chef de l’Etat aux propos du vice-premier ministre et ministre des Finances concernant son refus de travailler dans le gouvernement de Dmitri Medvedev et le départ même d’Alexeï Koudrine ne font que refléter les contradictions internes dans l’économie russe.

Avec ou sans Alexeï Koudrine, après les élections parlementaires et la présidentielle, les autorités seront confrontées au dilemme suivant: renoncer aux promesses préélectorales et mettre en œuvre des réformes impopulaires ou tenir les promesses sociales exagérées au risque de conduire l’économie dans une impasse.

Le prix du pétrole comme l’épée de Damoclès

Alexeï Koudrine a exprimé très clairement les raisons pour lesquelles il ne souhaitait pas travailler au sein du futur gouvernement de Dmitri Medvedev. "J’ai plusieurs différends avec Medvedev dans le domaine de la politique économique, avant tout cela concerne les dépenses militaires", a déclaré le ministre des Finances dimanche le 25 septembre. Il a rappelé que les nouvelles décisions concernant les commandes de matériel militaire, ainsi que les salaires et les retraites des militaires augmenteraient les dépenses budgétaires de 1,3 % du PIB, ce qui affectera négativement les indicateurs macroéconomiques.

"On peut croire Koudrine lorsqu’il dit qu’il a du mal à approuver les dépenses déraisonnables, avant tout militaires. Du point de vue du contrôle des dépenses il s’est avéré un bon professionnel, a déclaré à RIA Novosti Igor Nikolaïev, directeur du département d’analyse stratégique de la société FBK. Lorsque ces dépenses se chiffrent à plusieurs milliers de milliards, Alexeï Koudrine est conscient de l’ampleur des risques pour le système financier et budgétaire."


Le fait est que pour les trois prochaines années (cette période inclut les dépenses sociales et militaires mentionnées ci-dessus) le budget est établi en partant du prix annuel moyen de pétrole Urals d’environ 100 dollars le baril. Mais la situation au sein de l’économie mondiale se dégrade, et Alexeï Koudrine n’excluait pas que le prix du baril puisse descendre jusqu’à 60 dollars.

Toutefois, le ministre des Finances a fait remarquer que l’économie russe pourrait fonctionner pendant un an même si le prix était de 60 dollars le baril, mais cela signifierait une croissance zéro, la réduction des dépenses budgétaires et la nécessité des emprunts.

Les insinuations et la réalité

Alexeï Koudrine s'est présenté comme un opposant ferme à la politique d'augmentation des dépenses budgétaires que les autorités russes ont pris pour base dans leur programme anticrise. De plus, le ministre des Finances s’est fait remarquer en donnant en pleine crise des prévisions peu optimistes concernant l’avenir de l’économie russe et mondiale, ce qu’aucun autre fonctionnaire de son rang n’avait osé faire.

Ces prévisions ont irrité probablement le chef de l’Etat et, selon certains politologues, ont contribué à la dégradation des relations personnelles entre le président russe et le ministre des Finances.

En 2009, Dmitri Medvedev a fait une remarque adressée, selon les experts, à Alexeï Koudrine. "Lorsque certains de mes camarades, y compris au gouvernement, disent que la Russie ne sortira pas de la crise avant 50 ans, c’est inadmissible. Si on pense réellement de cette manière, il faut aller travailler ailleurs", a déclaré Dmitri Medvedev lors de la réunion avec les hommes d’affaires à Barvikha (près de Moscou) où il a critiqué le ministère des Finances.

Cet été le président a précisé ce qu’il entendait par "ailleurs" dans l’interview accordée au quotidien The Financial Times: "Je pense qu’Alexeï Koudrine ferait un parfait dirigeant pour un parti de droite, dommage qu’il refuse. Je pense que ce serait une bonne chose pour le pays."

Cela ressemble à un compliment, mais certains politologues ont décelé dans le discours du président russe une allusion désagréable. "Le parti libéral a peu de chances d’arriver au parlement, rappelle Alexeï Makarkine, directeur général du Centre des technologies politiques. En fait, Medvedev sous-entendait que si Koudrine entrait dans le parti, il pourrait prochainement quitter le gouvernement."

Otage de la situation

Le refus d’Alexeï  Koudrine de prendre part au futur gouvernement ramène à la principale intrigue de l’économie russe. Les experts ont déjà noté plusieurs contradictions entre le discours-programme prononcé par Vladimir Poutine au congrès du parti Russie Unie et les défis économiques auxquels la Russie devra faire face dans les années à venir.

Les fonctionnaires de haut rang initient des programmes sociaux à grande échelle basés sur les dépenses budgétaires, or les économistes parlent des réformes économiques inévitables. "Actuellement, la situation dans le pays, avant tout économique, est telle que les réformes sont incontournables. Et tout le monde a cette sensation", a déclaré Guerman Gref, président de Sberbank, lors du forum d’affaires Russie-Singapour.

Les experts supposent qu’Alexeï Koudrine était également conscient de la nécessité de la mise en œuvre de réformes impopulaires, mais doutait que le futur gouvernement le fasse. Ou il craignait qu’il le fasse dans une situation économique plus difficile, et le ministre des Finances pourrait être considéré comme responsable des conséquences néfastes des réformes. Telles sont les suppositions d’Alexeï Makarkine. "Il n’a pas voulu endosser la responsabilité d'une situation qu’il ne contrôlerait pas", a résumé l’expert.

Ironiquement, Alexeï Koudrine a lui même créé la situation dont il est devenu l’otage, car il était l’auteur de l’idée de la stérilisation des revenus pétroliers grâce à la création du Fonds de stabilisation (divisé en 2008 en Fonds de réserve et Fonds du bien-être national).

Dans une situation difficile, les autorités russes n’ont pas résisté à la tentation d’utiliser l’argent mis de côté pour les programmes sociaux populaires auprès de la population. "La politique d’épargne préconisée par Koudrine a provoqué la hausse des dépenses auxquelles il s’opposait", explique Igor Nikolaïev de FBK.

Certains experts sont convaincus que les milliards de dollars provenant des fonds mentionnés ci-dessus pouvaient être utilisés à meilleur escient. "[Il aurait fallu les] investir dans l’infrastructure qui donne le meilleur effet multiplicateur, déclare Igor Nikolaïev au sujet du sort des revenus pétroliers excédentaires. Ou la construction ferroviaire, qui conduit finalement à la croissance de la demande intérieure."

Mais cela ne s’est pas produit. Durant la crise le Fonds de réserve a été divisé par 6, et les autorités discutent toujours de la nécessité de construire une infrastructure routière à grande échelle.

Figurant ou politicien autonome?

Qui pourrait prendre la place d’Alexeï Koudrine? Ce n’est pas une question de personnalité, bien que ce genre de personnes existe, mais plutôt de savoir si le nouveau ministre des Finances sera un figurant ou un politicien autonome.

"Je ne pense pas qu’actuellement des décisions politiques importantes seront prises. Il faut simplement apaiser les marchés et montrer la continuité de la politique actuelle", a déclaré Alexeï Makarkine, directeur du Centre des technologies politiques. Selon l’expert, l’un des vice-ministres des Finances pourrait succéder à Koudrine.

Alexeï Koudrine n’est pas un figurant, et c’est bien là son importance, estiment certains experts. "Koudrine a une bonne réputation auprès de la communauté financière internationale où il a des contacts bien établis, rappelle Elena Matrossova, directrice du Centre d’études macroéconomique de BDO. C’est d’autant plus important que 45% du Fonds russe de réserve sont placés sous la forme de titres européens, dont la valeur pourrait diminuer. Il est nécessaire de défendre les intérêts de la Russie lors des rencontres des ministres des Finances dans les conditions du risque de nouvelle crise."

Selon Elena Matrossova, le conseiller du président, Arkadi Dvorkovitch, connu dans le monde et ayant une expérience et un certain statut international, pourrait prétendre à ce rôle.

Evgueni Iassine du Haut collège d’économie rejoint cet avis: "Dvorkovitch a de l’expérience, il travaille avec le président, et lorsque ce dernier deviendra premier ministre ils trouveront un terrain d’entente."

Selon Evgueni Iassine, le président de la banque VTB 24, Mikhaïl Zadornov, et Sergueï Aleksachenko, directeur d’études macroéconomiques au Haut collège d’économie, pourraient également succéder à Koudrine. "Zadornov a de l’expérience car il a déjà été ministre des Finances pendant plusieurs années, a expliqué l’expert. Et Aleksanchenko est un homme intelligent et sensé."

Cependant, Evgueni Iassine ne voit pas de remplaçant véritablement digne pour succéder à Koudrine: "Pendant des années il a été responsable du département qui était le mieux géré et qui a beaucoup contribué à améliorer la situation de l’économie russe."

Oksana Dmitrieva, membre du comité pour le budget et les impôts de la Douma (chambre basse du parlement russe), n’est pas de cet avis concernant le rôle d’Alexeï Koudrine. Selon elle, sa politique est la principale cause des problèmes de l’économie russe, y compris de la difficulté de la Russie à surmonter la crise économique. "C’est la conséquence de la politique financière et économique de Koudrine", a déclaré Oksana Dmitrieva à RIA Novosti.


L’opinion de l’auteur ne coïncide pas forcément avec la position de la rédaction

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