"Attends-moi" retrouve les personnes considérées comme disparues à jamais

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par Olga Sobolevskaïa, commentatrice de RIA Novosti

L'émission de télévision russe "Attends-moi" est le dernier espoir de ceux qui se sont perdus de vue sur cette terre. "Nous avons retrouvé des personnes considérées comme mortes pendant un séisme, durant les années de la Seconde guerre mondiale, nous avons rendu des enfants à leurs parents qui pensaient que leur fils ou leur fille ne faisaient plus partie du monde des vivants, nous avons fait recouvrer la liberté à des émigrés réduits à l'état d'esclaves par des employeurs sans scrupules", dit le célèbre acteur moscovite Igor Kvacha, animateur de l'émission "Attends-moi", diffusée par la Première chaîne de télévision russe. "Elle ne redonne pas seulement espoir aux personnes désespérées, elle enseigne aussi la compassion envers la douleur d'autrui, elle suscite un sentiment de commisération et le désir de venir en aide à des personnes totalement étrangères", ont écrit les journaux à l'occasion du cinquième anniversaire du lancement de l'émission.

La Russie du XX-ème siècle a connu bon nombre de bouleversements historiques: la révolution, les répressions politiques de l'époque stalinienne, la Seconde guerre mondiale, l'éclatement de l'URSS, les conflits interethniques. Pratiquement chaque foyer a éprouvé la douleur de la perte de proches, bien souvent renforcée par des recherches qui se sont avérées vaines. C'est le désir naturel des gens que de revoir leurs proches, et les gens de télévision ne sont pas restés indifférents à cette motivation et intitulèrent leur émission "Attends-moi". Le titre reprend la première phrase du célèbre poème de Konstantin Simonov datant de la Seconde guerre mondiale. Chaque Russe connaît ces vers, parce qu'ils sont une sorte de prière du soldat - "Attends-moi et je reviendrai..."

Les Russes ne sont pas les seuls à retrouver des proches et des amis disparus grâce à l'émission "Attends-moi", c'est également le cas de personnes vivant dans les pays de l'ex-Union Soviétique, mais aussi aux USA, en Chine, en Allemagne, en Israël, en Amérique latine, en Australie. Presque un tiers des demandes d'aide proviennent de l'étranger.

Il est rare de voir une émission de TV impulser la création de mouvements publics. Mais "Attends-moi" est justement à l'origine de la naissance du "Service national de recherche des personnes disparues". Cette organisation publique possède une importante base de données. Il existe même un journal baptisé "Attends-moi" publiant des petites annonces gratuites. A Moscou, à la Gare de Kazan, se trouve un kiosque, lui aussi appelé "Attends-moi", qui reçoit les avis de recherche.

"Nous avons aujourd'hui environ un demi-million de demandes d'aide à traiter, dit le producteur de l'émission, Serguéi Kouchnerev. Nous avons retrouvé à ce jour plus de 10 mille personnes. Des gens sont toujours recherchés depuis l'époque du lancement de l'émission. Nous avons retrouvé une jeune fille tchétchène que ses parents avaient perdue. Il est important pour nous d'avoir gagné des milliers d'aides bénévoles dans tout le pays - ils sont journalistes, policiers, enseignants, médecins, psychologues". Dans le nord de la Russie, dans la Région de Mourmansk, vit l'économiste Tatiana Gousseva. Elle a retrouvé à elle seule plus de 600 personnes - par la poste ou via Internet.

"L'émission de TV russe "Attends-moi" est la seule dont les Américains aient acheté la licence, ajoute Serguéi Kouchnerev. Et ce malgré l'existence aux USA d'émissions analogues. Il y en a en Europe, mais aussi en Chine. Certes, il est impossible de comparer, dans les différents pays la situation est différente de la notre, mais nous avons néanmoins retrouvé plus de 10 mille personnes. Ceci témoigne du professionnalisme des journalistes et du style de l'émission, qui rencontre chez les téléspectateurs une compassion active et le désir sincère de nous aider".

Les destinées des nombreux héros de "Attends-moi" sont des sujets idéaux de romans. Un ancien prisonnier de guerre allemand et une femme russe, tombés amoureux l'un de l'autre pendant la guerre, se retrouvent au bout de 60 ans. Une histoire semblable est arrivée à des époux qui s'étaient perdus de vue - un Français et une Russe. Le fils d'un Chinois, qui avait construit une voie de chemin de fer en Russie pour finalement se fixer dans le Caucase et épouser une Géorgienne, a pu faire la connaissance de ses parents chinois dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Nombreux sont les cas où le frère et la soeur - enfants de victimes des répressions à l'époque du stalinisme, et restés sans nouvelle l'un de l'autre - se sont finalement retrouvés. Une grand-mère a recherché son petit-fils que sa mère avait emmené dans une petite ville, le laissant pratiquement mourir de faim et l'empêchant d'aller à l'école.

Parfois, la recherche s'avère difficile. Voici un exemple. Il y a 20 ans, un garçon de quatre ans, qui ne connaissait ni son adresse ni le nom de sa ville natale, a décidé d'aller se promener. Il est monté par hasard dans un train qui l'a emporté à des kilomètres de sa maison. C'est ainsi qu'il a abouti dans un orphelinat. Deux dizaines d'années ont passé et il a eu l'idée de s'adresser à l'émission "Attends-moi" pour retrouver ses parents. "Nous avons mis au point une méthode de recherche fondée sur ses souvenirs: le jeune homme se rappelait une rivière à côté de sa maison, une boulangerie industrielle, des voies de tramway et un campement de tsiganes sur une colline. Avec ces données on s'est mis à rechercher la ville. Et finalement nous l'avons dénichée", raconte Serguéi Kouchnerev...

L'émission "Attends-mois" a beaucoup de fidèles partisans parmi les personnes âgées. Elles représentent environ 80% des spectateurs. Les jeunes sont plus critiques. Internet apporte les remarques des jeunes téléspectateurs: "Le public présent dans la salle pleure à chaudes larmes - c'est ridicule", "L'émission est utile, mais voir un retraité demander qu'on lui retrouve son amour de jardin d'enfants, c'est franchement crispant". Mais les larmes ne troublent pas les animateurs de l'émission. "Je suis certaine que si les gens qui regardent et qui font l'émission ne pleuraient pas où n'exprimaient pas leurs émotions avec autant de force, on ne retrouverait pas autant de personnes", dit Macha Choukchina, une des animatrices de "Attends-moi".

L'émission permet à tous ceux qui le désirent de parler. Ce qui provoque parfois des incidents. Il arrive que des gens annoncent urbi et orbi à l'antenne la disparition de leur compagnon préféré - leur chat, leur chien, leurs serins, leur tortue... Un jour, un des invités de "Attends-moi" a demandé, les larmes aux yeux, qu'on retrouve son accordéon. "Chacun à le droit à la compassion, et il est impensable de refuser de venir en aide à quiconque", telle est la position du principal animateur Igor Kvacha. C'est peut-être pourquoi l'émission a un audimat aussi élevé.

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