Les menaces réelles et imaginaires du Gazoduc nord-européen

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MOSCOU, 18 novembre - Tatiana Sinitsyna, commentatrice de RIA Novosti.

Le plus grand projet énergétique du continent eurasiatique, le Gazoduc nord-européen (GNE), entre dans sa phase de réalisation pratique. Gazprom a commencé les travaux de prospection sismique et de forage dans le gisement Ioujno-Rousskoïé, dans la péninsule de Yamal, principale source d'alimentation du futur pipeline dont les réserves prouvées sont évaluées à plus de 700 milliards de m3. Les travaux de reconnaissance du sol sur les tronçons terrestres dans les environs de Vologda et de Saint-Pétersbourg sont pratiquement achevés. Les spécialistes ont procédé récemment aux travaux sur la partie sous-marine du gazoduc.

Aux termes de l'accord intervenu entre Gazprom et ses partenaires allemands BASF et E.ON, le gazoduc comprendra deux canalisations posées sur le fond de la mer Baltique. Le tronçon sous-marin plongera à la sortie de la station de compression qui sera construite dans la baie Portovaïa, près de Vyborg (Russie), pour traverser 1189 km sous l'eau avant d'émerger sur la côte allemande dans le secteur du port de Greifswald. Une fois lancé à plein rendement, le GNE atteindra un débit de 55 milliards de m3 de combustible bleu par an.

En attendant, les discussions houleuses sur l'ambitieux projet russo-allemand ne faiblissent pas. Si l'objectif économique du projet n'est pas attaquable, son utilité est évidente pour tous. Pourtant, l'affaire n'est pas aussi simple lorsqu'on aborde son aspect politique et écologique.

Il est tout à fait évident que la Russie a voulu faire affaire avec l'Allemagne directement et, par son intermédiaire, avec d'autres pays d'Europe, sans transiter par la Lituanie, la Lettonie et la Pologne. Selon le plan initial, la canalisation devait être terrestre, traversant le territoire de ces derniers pays qui, naturellement, comptaient sur une taxe transit, sur des emplois nouveaux et sur des dividendes géopolitiques. Souvent, des motifs écologiques cachent les découragements politiques. Le premier ministre lituanien Algirdas Brazauskas se déclare sûr, par exemple, que "le Gazoduc nord-européen risque de provoquer une catastrophe écologique dans la région". Et d'évoquer à l'appui le fait que la mer Baltique, pratiquement fermée, est déjà très polluée.

"Les gens qui vivent au bord de la mer et consomment des ressources maritimes sont naturellement alarmés par une intrusion technique dans leur écosystème", consent le docteur en biologie Mikhaïl Flint, directeur adjoint de l'Institut océanologique de l'Académie des sciences de Russie. "La mer Baltique est, force est de le reconnaître, déficiente du fait qu'elle est peu profonde, 71 mètres en moyenne. Toute cette couche d'eau représente un espace vital biologique actif et le gazoduc devra s'implanter dans ce milieu", a-t-il ajouté.

La triste histoire des deux guerres mondiales vient tout de suite à l'esprit : sur le fond de la mer Baltique il y a des stocks d'armes chimiques et des champs de mines immenses dont la totalité n'a pas encore été reconnue ni reportée sur les cartes. En posant le tube, il est fort possible d'avoir des surprises désagréables. Il est vrai que dans ce cas, les connaissances actuelles et les technologies contemporaines permettent de neutraliser ou de contourner adroitement les endroits dangereux.

"A mon avis, le projet de gazoduc nord-européen peut être réalisé sans porter le moindre préjudice à la mer Baltique", estime Mikhaïl Flint. "Bien des gens ne se souviennent plus qu'il y a déjà un gazoduc opérationnel dans la mer. Il appartient à la Norvège. S'il est peu connu, c'est parce qu'il est très bien exploité", rappelle le biologiste qui a cité aussi un autre exemple, celui du gazoduc russo-turc Blue Steam qui traverse la mer Noire et qui est exploité avec succès.

Les conditions de la mer Baltique sont plus favorables à la construction d'une canalisation que celles de la mer Noire. Blue Stream passe par plus de 2000 mètres de profondeur à travers un versant continental penché à 45°-47°, une zone de haute sismicité. Cette contrainte n'existe pas dans la mer Baltique où, par conséquent, des situations d'urgence deviennent beaucoup moins probables.

"Le Gazoduc nord-européen ne présente pas de danger, à mon avis, si, naturellement, pour le construire, on fait appel au potentiel intellectuel disponible et aux technologies les plus sûres", estime Mikhaïl Flint. Toutes les éventuelles menaces résident plutôt dans des erreurs de calculs ou dans une mauvaise gestion capable de faire du tort à la canalisation. D'ailleurs, elles sont très peu probables, affirme l'océanologue.

Il y a d'autres choses à craindre, à son avis : toute hâte dans les travaux de construction, ainsi que tout lobbying qui, en quête d'économie de fonds, est susceptible de faire en sorte que les travaux de construction soient confiés à une organisation incompétente. "L'expertise écologique du Gazoduc nord-européen doit être effectuée de façon irréprochable, afin d'éviter notamment de s'attirer les foudres des voisins baltes de la Russie", estime Mikhaïl Flint.

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