La face cachée de l'extrémisme religieux dans les régions russes

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MOSCOU, 6 janvier - Marianna Belenkaïa, RIA Novosti. Les procès pour extrémisme religieux et terrorisme ne sont plus une rareté en Russie.

Visant essentiellement l'activité des mouvements qui se veulent de l'islam, ces procès se multiplient un peu dans toutes les régions, du Caucase du Nord à l'Oural en passant par la Volga, mais le sens profond des débats n'est souvent pas entendu à Moscou, surtout lorsqu'on ne sait pas si les accusés sont extrémistes ou victimes de leur foi.

La capitale qui ne comprend pas toutes les nuances des litiges politiques et économiques locaux a du mal à s'orienter dans cette confrontation d'intérêts. Or, ces litiges, et non la foi, sont souvent à l'origine de ce que les juristes appellent "manifestations d'extrémisme religieux".

Originaire de la Kabardino-Balkarie, république russe voisine de la Tchétchénie, la sociologue Svetlana Akkieva estime que les facteurs sociaux sont prioritaires dans les conflits que connaissent certaines régions russes, en premier lieu celles du Caucase du Nord. Le facteur ethnique qui se mettait en vedette dans la confrontation entre la population et les autorités au début et au milieu des années 1990 a pratiquement quitté le devant de la scène. Même si la possibilité de conflits ethniques n'est jamais à exclure, puisque partout où cohabitent des gens de différentes ethnies la situation est potentiellement explosive, il se passe aujourd'hui quelque chose de différent.

"Le radicalisme religieux, c'est en premier lieu une lutte sociale et non une lutte religieuse, poursuit la chercheuse. Pour les jeunes, la religion est le seul moyen à pouvoir garantir l'égalité entre les gens et rétablir une quelconque justice sociale. Ils utilisent dans leur lutte des slogans religieux, mais ils revendiquent subconsciemment la justice sociale".

Les événements d'octobre dernier à Naltchik, chef-lieu de la Kabardino-Balkarie, en disent long sur les origines de l'extrémisme religieux, un cocktail de facteurs extérieurs (mouvements terroristes internationaux) et de règlements de comptes au sein de la communauté musulmane locale auxquels s'ajoutent la corruption des autorités, le chômage, les disparités de revenus de la population et la haine vis-à-vis des forces de l'ordre, etc. Bien entendu, il y a des forces qui ont intérêt à faire exploser les régions, mais les idées extrémistes venues de l'extérieur ne peuvent pas prendre racine sur un terrain stérile, constatent unanimement les experts.

Les recettes de lutte contre l'extrémisme sont nombreuses. Dernier exemple en date, les parlementaires de la Kabardino-Balkarie ont proposé de prolonger la peine d'emprisonnement pour excitation à la haine religieuse et organisation de communautés extrémistes. Les dignitaires religieux, indépendamment de leurs confessions, exhortent, eux, à renforcer le contrôle des activités déployées par les missionnaires étrangers.

Valioulla-Khazrat Iakoupov, premier adjoint du grand mufti du Tatarstan, sur la Volga, résume l'avis de nombreux de ces confrères: l'extrémisme islamique s'explique essentiellement par l'illettrisme de la population qui tombe facilement sous l'influence des missionnaires étrangers.

La montée extrémiste est également due au fait qu'en URSS les institutions religieuses ont été quasiment interdites pendant des décennies, alors qu'au début des années 1990 les associations religieuses, toutes jeunes, ne pouvaient pas encore maîtriser la situation et résister à l'influence des missionnaires.

Les jeunes musulmans de l'ex-URSS sont essentiellement des néophytes, poursuit M. Iakoupov. Comme tous les néophytes, ils sont maximalistes et dérogent souvent à la tradition islamique propre à leurs territoires d'origine, ce qui engendre des conflits entre les différentes générations de musulmans dans les régions.

Et ce conflit des générations n'est pas de loin inoffensif. Beaucoup de jeunes musulmans qui, au milieu et à la fin des années 1990, sont partis étudier l'islam dans les pays arabes en ont rapporté une nouvelle vision de la religion et de la vie. Il ne s'agit pas de ceux qui, recrutés par des mouvements terroristes, ont pris des armes de retour en Russie, mais de ceux qui ont décidé de respecter strictement les règles de l'islam, contrairement à la façon dont elles sont observées dans leurs régions d'origine.

Il n'est un secret pour personne que l'islam, comme tout autre religion, se mêle aux traditions locales des pays d'accueil. Mais ces traditions déplaisent aux jeunes musulmans qui perçoivent la vieille génération des imams qui ont grandi en URSS comme corrompue et théologiquement illettrée. La nouvelle génération des croyants veut avoir ses mosquées, ses imams, elle veut vivre sa vie et donc entre en conflit avec les directions spirituelles locales.

Toutefois, parmi les vieux dignitaires religieux, l'unité fait également défaut. Certains tentent souvent de mêler l'État dans leurs affaires intercommunautaires en accusant leurs adversaires de wahhabisme et d'extrémisme. Les forces de l'ordre russe ne sont pas en mesure de comprendre qui est wahhabite et qui ne l'est pas, ni ce qu'est le wahhabisme. La police réagit comme elle peut, et la situation s'aggrave à l'extrême.

Au lieu de dénoncer la menace de la propagation en Russie de structures telles que Hizb ut-Tahrir, le mufti Iakoupov a évoqué dans une interview récente la menace du wahhabisme. Si les choses sont claires avec Hizb ut-Tahrir dont les activités sont hors la loi, la notion de wahhabisme demeure floue, ce qui encourage l'influence des cellules wahhabites qui attirent dans leurs rangs des dignitaires musulmans traditionnels.

Dans le camp adverse, on appelle wahhabites tous les croyants qui s'opposent au pouvoir des directions spirituelles. Très souvent, il est impossible de trouver un arbitre impartial sur le terrain où chacun est partie prenante, alors que les arbitres extérieures n'ont ni temps ni possibilité de défaire l'écheveau.

Les contradictions opposent non seulement les directions spirituelles et les communautés non reconnues, elle peuvent naître aussi bien entre le pouvoir laïque et le pouvoir religieux, comme c'était le cas de l'Université islamique de Russie, au Tatarstan.

Le développement de la législation pourrait donner une définition plus précise des notions telles que l'extrémisme et le terrorisme. Mais comment distinguer un croyant fervent de l'extrémiste? Comment savoir, au milieu de ces disputes locales, si les sponsors internationaux financent la promotion de l'enseignement, y compris religieux, ou s'ils financent les activités de subversion? Les critères et les arbitres idéaux n'existent pas.

Bref, les régions n'ont qu'un choix, celui de se fier à la sagesse des autorités locales soucieuses de préserver la stabilité ou à l'intervention du centre fédéral.

Dans cette optique, les chercheurs et les experts du terrain semblent les moins partiaux. La plupart d'entre eux optent pour le dialogue avec les musulmans "suspects". Les méthodes de lutte musclées ne sont pas la panacée. Les forces de l'ordre devraient bien sûr développer leur réseau et améliorer la qualité des renseignements, mais elles ne devraient pas réduire leurs efforts aux contrôles massifs, à la fermeture de mosquées et aux arrestations.

Svetlana Akkieva cite l'exemple de plusieurs républiques caucasiennes où les jeunes musulmans, en adoptant la religion au milieu des années 1990, contestaient fortement les valeurs habituelles et s'isolaient de la société dans un premier temps. Mais, finalement, ils ont eu assez de sagesse pour s'ouvrir au dialogue et s'adapter aux conditions du terrain sans renoncer à la culture et aux coutumes locales.

Aujourd'hui, par contre, les jeunes sont à la merci des forces de l'ordre qui privilégient le bâton à la carotte. C'est l'une des causes qui expliquent les événements de Naltchik et la radicalisation des jeunes au Daghestan. Ces jeunes se retrouvent désormais de l'autre côté des barricades.

Iouri Sidakov qui dirige la commission des droits de l'homme auprès du président d'Ossétie du Nord confirme la nécessité des campagnes de sensibilisation. Les experts de sa commission qui travaillent avec les communautés musulmanes des coins les plus reculés de cette république russe ne reçoivent aucune aide de l'État. Leurs activités s'inscrivent dans le cadre de l'action Islam sans armes. "Nous allons sur le terrain, nous parlons avec la population, nous expliquons aux gens leurs droits et tentons de résoudre leurs problèmes dans le cadre de la loi", raconte M. Sidakov. À son avis, les événements meurtriers de Naltchik ne sont pas seulement la faute des terroristes qui ont recruté des jeunes pour leur laver les cerveaux, ils ont également dus aux erreurs - politiques, économiques et sociales - des autorités en place.

Les terroristes ont deux moyens d'influer sur les communautés religieuses, par le biais de réseaux scolaires d'enseignement de la langue arabe et des principes religieux (ce dont on a besoin) et par le biais de tribunaux de la charia, explique le responsable nord-ossète. La corruption et la vénalité des tribunaux laïques russes ajoutent à l'argumentation en faveur de la mise en place de tribunaux islamiques. En contrepoids à la charia, M. Sidakov propose d'intégrer dans la législation russe des traditions judiciaires locales caractéristiques pour le Caucase du Nord, notamment pour ce qui concerne la réconciliation entre les clans qui se livrent à une vengeance par le sang et le règlement des situations de conflit. "On peut tout régler à l'intérieur de la communauté en parlant aux gens sur un pied d'égalité. En règle générale, les communautés musulmanes accueillent avec douleur l'ingérence extérieure dans leurs affaires, mais si on leur parle leur langage, on peut éviter pas mal de problèmes", estime M. Sidakov.

Seule la communauté pourrait bouleverser les choses dans les régions sensibles, seule la communauté est en mesure de contrôler ses membres et briser l'influence des missionnaires extrémistes. La loi et les interventions musclées ne seraient d'aucune aide. Reste à attendre que les régions entendent la voix de ceux qui appellent au dialogue et que les recommandations des chercheurs qui suivent de près la situation sur le terrain soient mis en œuvre.

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