La grande responsabilité d'un fournisseur mondial d'énergie

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MOSCOU, 18 janvier (par Dmitri Kossyrev commentateur politique de RIA Novosti).

La conférence de presse traditionnelle du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, "consacrée au bilan diplomatique de l'année dernière", s'est transformée, tout aussi traditionnellement, en inauguration de la nouvelle année de la politique extérieure russe.

En effet, dans la deuxième quinzaine de janvier, il est de loin plus intéressant de rechercher, dans les paroles du ministre, les indications sur l'état d'esprit dans lequel Moscou aborde son programme pour 2006 que de se souvenir de l'année écoulée.

Les principales sensations de la conférence de presse - Sergueï Lavrov arrivait directement de Londres où la Russie, les Etats-Unis, la Chine et les Européens avaient débattu de l'éventuel renvoi du dossier nucléaire iranien devant le Conseil de sécurité - ont, comme la plupart des questions des journalistes, porté justement sur la problématique iranienne.

Pourtant, en évoquant le programme russe pour 2006, il convient d'attirer l'attention sur les propos de Lavrov relatifs à la présidence russe du G8. Plus précisément, sur l'agenda du sommet des Huit au début de juillet, près de Saint-Pétersbourg.

Si la nécessité de tenir le premier sommet du G8 sur le territoire russe n'est contestée que par certains marginaux politiques, des débats politiques nous attendent encore au sujet de l'agenda du sommet annoncé par Moscou. Plus précisément, sur la disposition clef de cet agenda, la sécurité énergétique. A noter également que la formule "énergie plus sécurité" ne se fait guère entendre qu'à Moscou.

A la fin de 2005, le président Vladimir Poutine évoquait la nécessité de faire de Moscou la "capitale des modes en matière d'énergie". Ce qui est parfaitement compréhensible - le pays qui partage, avec l'Arabie saoudite, le statut de premier fournisseur mondial d'énergie - ne peut pas ne pas vouloir tirer profit de cette situation pour renforcer ses positions dans le monde. Situation qui suscite des résistances non évidentes mais réelles de la part de certains pays.

Pour ce qui est du G8, la Russie, unique exportateur net de ressources énergétiques dans ce club, est tout simplement tenue de lancer le débat à ce sujet. Car, le G8 se spécialise dans le règlement conjoint des problèmes d'importance clef pour le monde entier.

Interrogé par une télévision australienne, Sergueï Lavrov a présenté les thèmes qui seront débattus au sommet de Saint-Pétersbourg. En premier lieu, il s'agira de la sécurité énergétique dans tous ses aspects, notamment de la sûreté et de la diversification des itinéraires de livraisons d'énergie, ainsi que de leur sécurisation.

Cette formule, notons-le, apparaît pour la première fois dans le vocabulaire politique. Car si le thème du nouveau sommet est proposé par le pays hôte, les détails concrets des débats - comme tout ce qui a trait au G8 - sont définis par consensus. Il y a très peu de chances que les membres du club contestent deux autres thèmes proposés par Moscou : la lutte contre les épidémies et l'éducation "du point de vue des nouvelles normes", pour reprendre Sergueï Lavrov.

Quant à la sécurité et à la diversification des itinéraires énergétiques, l'acuité de ce problème a été fort bien illustrée par le "conflit gazier" entre Moscou et Kiev, dans les premiers jours de 2006. Et aussi par les réactions européennes à ce conflit.

Sur les 38 questions posées à Sergueï Lavrov, une seule a porté sur le gaz, vers la fin de la conférence de presse. En y répondant, le ministre a cité les faits - encore peu connus - relatifs aux nouvelles modalités de transit de gaz russe vers l'Europe via le territoire ukrainien.

Si, auparavant, ce transit était effectué d'après des contrats renouvelés tous les ans, maintenant, les "contrats européens" seront échelonnés sur cinq ans. Auparavant, le transit européen et les livraisons de gaz russe en Ukraine se faisaient en vertu d'un seul contrat et, au sujet de chacun d'eux, Kiev lançait, tous les ans, des débats du genre de ceux auxquels nous avons assisté ces dernières semaines.

Maintenant, Moscou a obtenu que les intérêts gaziers européens fassent l'objet d'un accord à part. Autrement dit, l'Europe ne sera plus otage des négociateurs de Kiev. Enfin, a rappelé Sergueï Lavrov, le gaz russe destiné à l'Europe sera livré par quatre itinéraires : le gazoduc Blue Stream, l'Ukraine, la Biélorussie et le Gazoduc nord-européen aujourd'hui en chantier. Ce qui, selon le ministre, conforte les Européens dans leur certitude qu'il n'y aura pas de ruptures dans leur approvisionnement en gaz.

C'est ce qui a trait au rôle de la Russie en tant que fournisseur responsable pour l'Europe. Mais cette question a aussi d'autres aspects.

Un autre problème a été soulevé, a savoir l'occupation par les autorités ukrainiennes de phares en Crimée, utilisés par la Flotte russe de la mer Noire. Des déclarations de Sergueï Lavrov, il ressort que l'administration du président ukrainien (Viktor Youchtchenko vient de confirmer au cours de récentes négociations avec le président russe Vladimir Poutine l'intangibilité du statut de la Flotte russe de la mer Noire) a un point de vue sur cette question, que le ministère ukrainien des Affaires étrangères en a un autre et que les autorités locales en ont un autre encore. C'est un témoignage du chaos administratif et politique en Ukraine. Chaos qui a commencé après la "révolution orange", activement soutenue par les Européens et les Américains. Notamment, par des pays membres du Groupe du G8.

Les révolutions signifient toujours tel ou tel degré d'arbitrage et de chaos. Et ceux qui encourageaient ce genre d'événements en Ukraine, ont-ils réfléchi à ce qu'ils faisaient dans un pays par lequel transite le gaz russe vers l'Europe ? Cette question n'est ni anormale, ni artificielle.

Espérons que cette expérience, comme de nombreuses autres collisions entre la politique et les réalités de la sécurité énergétique, aideront le G8 à élaborer les principes de comportement dans les régions dont la situation interne conditionne la stabilité des livraisons d'énergie. Car si l'on continue de jouer avec le feu à proximité des itinéraires énergétiques mondiaux, il ne faudra pas s'étonner de voir un jour les cours du pétrole culminer à 100 dollars le baril sur le marché mondial.

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