La mort de Milosevic annonce celle du TPI

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti

J'ose affirmer que la mort de l'ex-président yougoslave, Slobodan Milosevic, signifie en même temps celle du Tribunal de La Haye ou, plus précisément, du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie.

C'est sur Milosevic que la procureure Carla del Ponte a bâti toute sa stratégie d'accusation. Le sens du procès revenait à l'accuser en tant qu'homme politique, un jugement convaincant pouvant dissiper tous les doutes suscités par les bombardements barbares de la Serbie. Sans un tel jugement, des doutes devaient subsister sur les actions des "pacificateurs" occidentaux qui n'ont fait qu'inverser la violence : avant leur arrivée, les Serbes égorgeaient les Kosovars, après leur arrivée les Kosovars se sont mis à exterminer les Serbes. Enfin, l'Occident avait besoin de condamner Milosevic pour tenter de faire changer d'avis les Serbes, qui sont toujours nombreux à croire que leur ex-président n'était pas un dictateur mais un héros national.

Le projet a avorté. Carla del Ponte a perdu la partie, ce qui d'ailleurs n'est pas étonnant. Dans tous les procès qu'elle a jamais conduits, ce n'est pas le fond de l'affaire qui l'intéressait mais la possibilité de se faire de la publicité. La justice occidentale a perdu la partie, et ce face à un seul juriste (Slobodan Milosevic était lui-même juriste de formation - ndlr). Quoi qu'on pense de Milosevic, il faut reconnaître l'évidence : il s'est bien défendu et, d'accusé, il est devenu accusateur. Ses arguments ont eu souvent beaucoup plus de poids que ceux de Carla del Ponte.

L'échec du Tribunal de La Haye est aussi un échec moral. Quand une cour de justice a à son actif plusieurs suicides de détenus et la mort de son principal accusé, lequel a plus d'une fois demandé à se faire soigner (à noter que toutes les victimes sont des Serbes), c'est pour le moins suspect. La cause réelle de la mort de Milosevic n'a pas encore été officiellement rendue publique mais les deux versions annoncées sonnent comme un verdict prononcé contre le Tribunal de La Haye.

Si la version de l'empoisonnement est confirmée, ce sera le prétexte pour une enquête judiciaire des plus sérieuses. D'autant que les motifs ne manquent pas. Le procès faisait du surplace et les personnes intéressées à voir Milosevic passer dans l'autre monde sont légion. A ce propos, l'avocat de l'ex-président a montré aux journalistes sa lettre datée du 10 mars, que Milosevic a écrite un jour avant d'être retrouvé mort dans sa cellule. Dans cette lettre, l'ancien leader serbe affirmait avoir été empoisonné.

Si la version de l'infarctus du myocarde est confirmée, la faute du Tribunal sera d'autant plus évidente. Milosevic l'avait informé de ses ennuis de santé et avait demandé à se faire soigner à Moscou. Le Pr. Leo Bokeria, cardiochirurgien en chef du ministère russe de la Santé publique, qui a lu les notes des médecins qui soignaient Milosevic en prison, affirme qu'elles étaient embrouillées et que les recommandations ne correspondaient pas à la gravité de la maladie. De l'avis du médecin russe, une intervention chirurgicale immédiate s'imposait. La Russie était prête à lui apporter cette assistance. Non pas par amour pour Milosevic - la Russie n'est plus la même - mais pour les considérations humanitaires les plus élémentaires, en garantissant que le malade reviendrait à La Haye dès qu'il irait mieux.

Le Tribunal a rejeté cette proposition, exprimant ainsi sa méfiance aussi bien envers la médecine qu'à l'égard du gouvernement russe, autrement dit en faisant affront à l'un des membres permanents de l'ONU. Lorsqu'on a demandé à Carla del Ponte si elle regrettait d'avoir interdit à Milosevic d'aller se faire soigner à Moscou, la juge a répondu avec sang-froid : "Que devrais-je regretter? Il y avait un risque qu'il ne rentre pas à La Haye. Je n'ai rien à me reprocher".

Milosevic avait peut-être un problème de conscience, mais les hommes politiques occidentaux encore plus. La question n'est pas de savoir s'il fallait traduire l'ex-président yougoslave en justice, mais pourquoi les personnalités officielles occidentales, qui ont délibérément disloqué la Yougoslavie, humilié et exterminé le peuple serbe, ne se sont pas retrouvées à ses côtés sur le banc des accusés.

De même, à côté de Saddam Hussein, il faut juger ceux qui ont déclenché la guerre en Irak, ceux qui ont bombardé Fallujah avec des armes chimiques prohibées, ceux qui ont organisé en secret des prisons à travers l'Europe, qui enferment sans délai des détenus à Guantanamo, qui ont transformé la prison d'Abou Ghraib en chambre de tortures, comme l'avait fait Saddam Hussein à l'époque.

La bonne justice est celle qui ne prononce pas son verdict prématurément, qui étudie toutes les circonstances de l'affaire et qui juge les prévenus sans prendre en considération leurs opinions politiques ou leur grade. Faute de quoi, la justice cède la place à l'arbitraire. Le Tribunal de La Haye, en tant qu'organe de justice digne de confiance, est mort.

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