L'antimondialiste Loukachenko

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Par Alexéi Makarkine, du Centre de technologies politiques - RIA Novosti.

Les élections présidentielles en Biélorussie mettent en évidence les particularités du modèle politique qui trouve son application dans différents pays comme une alternative à la démocratie classique.

Ce modèle engendre des leaders qui en appellent à la population de leur pays (en premier lieu aux couches les moins aisées) et entrent tôt ou tard en conflit avec le monde occidental. Loukachenko professe le culte du pouvoir fort, il penche manifestement pour un populisme accentué et rejette résolument la mondialisation et ses institutions. Pourtant le pays organise des élections, le pluripartisme est une réalité et ses différents parlements fonctionnent.

La Biélorussie se trouve en Europe où des principes politiques absolument différents sont en vigueur. La Pologne et la Lituanie servent depuis longtemps déjà d'appui à l'opposition biélorusse. L'Ukraine les a rejointes dernièrement. L'Union européenne et les Etats-Unis sympathisent avec les forces qui s'opposent à Loukachenko.

D'autre part, la Biélorussie n'a pas de pétrole dont les revenus pourraient être employés à fidéliser les partisans du régime (le fait que Loukachenko soit au pouvoir depuis douze ans atteste les talents politiques de cet homme, à première vue simple, qu'on appelle parfois "petit père").

En outre, l'opposition s'est activée. Une partie d'anciens représentants de l'élite mise sur Alexandre Kozouline qui a occupé pendant plusieurs années le poste de recteur de l'Université biélorusse. Mais la majorité des adversaires de l'actuel président - des communistes aux libéraux - s'est regroupée autour d'Alexandre Milinkevitch, physicien et personnalité publique, tout récemment encore peu connu des électeurs.

Le problème de Loukachenko est qu'il doit être élu au premier tour. S'il lui manque ne fût-ce que les deux pour cent indispensables à la victoire absolue, son régime pourra s'éroder entre les deux tours et de nombreux partisans, y compris parmi les fonctionnaires d'Etat, seront démoralisés.

Mais si la victoire de Loukachenko est annoncée dès le premier tour, l'opposition tentera une "révolution colorée" sous le mot d'ordre de défense de la démocratie, accusant le régime d'avoir falsifié les résultats du scrutin - ce sera une version légèrement modifiée des scénarios serbe, géorgien et ukrainien.

D'où la méthode de lutte contre la révolution proposée par Loukachenko : porter un coup préventif à l'opposition pour la discréditer aux yeux de la population, désorganiser ses rangs et transformer les contradicteurs politiques en "conspirateurs".

Loukachenko montre qu'il n'est ni Koutchma, ni Chevardnadze. Son objectif est de réduire par tous les moyens le nombre possible des participants aux protestations post-électorales. Ce que l'Occident pense de sa pratique politique intéresse le moins du monde le président biélorusse. Il est prêt aux actions des plus brutales pour rester au pouvoir. On comprend qu'une telle méthode n'est utilisable que dans le contexte du contrôle absolu des principaux médias, organisateurs et propagandistes collectifs (selon l'expression du révolutionnaire chevronné qu'était Lénine), ce qui a lieu dans la Biélorussie contemporaine.

Il se peut que Loukachenko l'emporte cette fois également. D'autant qu'il n'est pas complètement isolé : il est soutenu par la Russie, sa partenaire au sein de l'Etat fédéral. La Russie n'a pas fait ce choix par sympathie pour le leader biélorusse qui, malgré ses déclarations pro-russes, est un allié difficile. Par exemple, le problème de l'adoption d'une monnaie unique avec un seul centre d'émission à Moscou fait du surplace depuis des années. La création des organes dirigeants de l'Union Russie-Biélorussie n'avance pas non plus.

Cependant, pour la Russie, Loukachenko est moins important comme leader pro-russe que comme figure de proue de l'anti-occidentalisme. Avec la réputation qu'il s'est taillée, il est inacceptable pour l'Union européenne, même s'il devient subitement adepte de l'intégration européenne.

Aussi, tant qu'il demeurera à la présidence de la Biélorussie, le pays ne pourra ni abandonner l'Union avec la Russie ni adhérer à l'OTAN. Rappelons que les pays baltes ont été admis à l'Alliance atlantique en 2004 et qu'aujourd'hui le gouvernement "orange" de l'Ukraine pose sérieusement la question de son intégration atlantiste. Dans ce contexte, la Biélorussie reste pour la Russie l'unique avant-poste à l'ouest qui coopère activement avec elle dans le domaine militaire (par exemple, en matière de DCA).

Pour cette raison, la position de la Russie quant à la situation en Biélorussie est strictement pragmatique. Pour cette raison également, elle compte sur la stabilité du régime de Loukachenko. Il est possible que ces prévisions se réalisent, mais cela ne signifie pas qu'il n'y aura plus de risque pour ce régime à l'avenir.

D'une part, l'opposition se montre de plus en plus active - lors de la campagne présidentielle précédente, son candidat avait l'air résigné, aujourd'hui on est témoin d'une lutte politique réelle.

D'autre part, comme tout autre régime franchement personnalisé, le régime biélorusse dépend dans une grande mesure du sort de son leader qui n'a pas de successeur et ne songe pas à la transmission du pouvoir, fût-elle strictement contrôlée.

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