La stratégie américaine au Proche-Orient est-elle bonne?

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Par Marianna Belenkaïa, RIA Novosti

La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, et le ministre britannique des Affaires étrangères, Jack Straw, viennent d'effectuer une visite imprévue à Bagdad pour inciter les Irakiens à achever au plus vite le processus de formation d'un gouvernement d'unité nationale. Plus que n'importe qui, Washington et Londres sont intéressés à la stabilisation la plus rapide possible de la situation en Irak. Quoi qu'il en soit, le processus politique dans ce pays ne progresse que très difficilement, alors que la situation n'y évolue pas du tout selon le scénario que les Etats-Unis avaient imaginé il y a trois ans, en lançant leur opération de renversement du régime de Saddam Hussein.

Avant de se rendre à Bagdad, Condoleezza Rice a bien reconnu que les Américains avaient commis une multitude d'erreurs tactiques en Irak, tout en prétendant cependant que la stratégie même du renversement du régime de Saddam Hussein et de la propagation de la démocratie au Proche-Orient était bonne. Cette déclaration de la secrétaire d'Etat américaine a été faite au cours de sa récente visite en Grande-Bretagne, pratiquement à la veille du troisième anniversaire de la prise de la capitale irakienne par les forces de la coalition anglo-américaine. "C'est avec le recul de l'histoire qu'on juge de la justesse des décisions stratégiques adoptées", a déclaré Condoleezza Rice. En effet, on ne pourra sans doute évaluer définitivement les résultats de la politique américaine au Proche-Orient que dans plusieurs années. Quoi qu'il en soit, les événements en cours dans cette partie du monde font d'ores et déjà naître de très sérieux doutes quant à la justesse de la ligne choisie par Washington.

Peut-on dire effectivement que l'administration de George W. Bush possède une stratégie au Proche-Orient si le Président des Etats-Unis ne peut même pas donner de réponse précise à la question tout à fait concrète: quand les troupes américaines seront-elles retirées de l'Irak? Le président américain craint, et à juste titre, que le départ des militaires étrangers de l'Irak, alors que les forces de sécurité irakiennes ne sont pas encore suffisamment puissantes, n'ait des conséquences tragiques tant pour ce pays que pour l'ensemble de la région, et même pour les Etats-Unis. Pourtant, la présence des Américains en Irak ne contribue guère à la stabilisation de la situation dans le pays. Qui plus est, il n'est plus question des seuls militaires, mais aussi des diplomates US. Ainsi, l'un des leaders chiites irakiens, l'ayatollah Mohammed al-Yacoubi, a formellement exigé de George W. Bush qu'il rappelle immédiatement l'ambassadeur américain en poste à Bagdad, Zalmay Khalilzad. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. De très nombreux représentants chiites désapprouvent le comportement de l'ambassadeur qui, estiment-ils, a manifestement soutenu leurs rivaux politiques au plus fort de la crise intérieure irakienne éclatée autour de la formation du futur gouvernement. Mais c'est justement sur les chiites que les Américains avaient compté au début. Et voilà que maintenant Washington se voit obligé d'établir des liens avec les sunnites qui étaient devenus, à la chute de Saddam Hussein, une minorité réprouvée et opposaient la résistance la plus acharnée aux militaires étrangers.

La situation actuelle paraît donc pour beaucoup paradoxale, de sorte que les Américains essaient d'aider les forces politiques irakiennes à parvenir à un consensus et à former au plus vite le nouveau gouvernement, car cela répond notamment aux intérêts des Etats-Unis. Néanmoins, leur ingérence affecte d'une façon ou d'une autre les intérêts de l'une des parties du conflit et ne fait qu'accentuer encore plus les frictions entre Irakiens, tout en aggravant les relations américano-irakiennes dans leur ensemble. Offensés, et sans doute non sans raison, les Irakiens estiment que, sans pressions de la part de Washington, les discussions autour de la candidature d'Ibrahim al-Jaafari au poste de premier ministre de l'Irak se seraient apaisées depuis longtemps. Or, cette crise n'est en fait qu'un reflet naturel de toute la situation en Irak depuis ces dernières années.

En réalité, pour les Irakiens la voie de la démocratie ne s'est pas avérée être celle de l'avenir, mais du passé, quand les principes claniques ont pris le pas sur ceux de la nation tout entière. Peut-on donc parler aujourd'hui de nation irakienne? Malheureusement, on ne peut le faire que quand il est question des malheurs qui les ont frappés ces derniers temps. Tous les Irakiens sont exposés dans la même mesure aux enlèvements et aux assassinats. Dans le même temps, la situation désastreuse en matière de sécurité ne fait qu'attacher encore plus les Irakiens à leur communauté et à leur clan. Et si, dans leur vie de tous les jours, ils gardent encore certains liens intercommunautaires, il est pratiquement impossible de trouver des solutions politiques qui arrangent tous les groupes irakiens. Le processus politique en Irak est aujourd'hui au point mort. Et même si la crise actuelle est désamorcée, il y en aura bien d'autres à l'avenir, ce qui constitue un problème pour les Irakiens comme pour les Américains. Il est difficile de faire progresser la démocratie dans une société divisée.

Or, les échecs de la stratégie américaine sont évidents non seulement en Irak. Le sort et les perspectives de la résistance constituent aujourd'hui un problème majeur pour le Proche-Orient. Ce phénomène est associé avant tout au conflit arabo-israélien et à la situation en Irak. Mais la résistance, armée ou civile, n'est pas liée au seul problème de l'occupation. Cette notion est de loin plus large et comprend, entre autres, la résistance à l'ingérence occidentale et en premier lieu américaine dans les affaires intérieures de la région, ainsi que la résistance à la mondialisation dans son ensemble. Au fond, l'apparition de plus en plus de femmes voilées dans les rues des villes arabes est aussi un défi lancé à l'Occident, encore que ce défi ne soit certes pas moins grave que la politique de mouvements comme le HAMAS ou le "Hezbollah".

Le problème est que l'ingérence de forces extérieures dans les affaires intérieures du Proche-Orient ne fait que renforcer les positions de la résistance. Pire, elle divise encore plus la société arabe déjà très hétérogène. Aussi est-il très peu probable que la force qui y triomphera finalement soit pro-américaine. L'Irak en est un exemple éclatant. Il est évident que Washington peut accentuer ses pressions sur tel ou tel pays ou force politique et inverser ainsi la situation, mais ce ne sera là qu'un succès tactique et non la réalisation d'un objectif stratégique.

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