La Russie marque des points en Asie du Sud-Est

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

La visite à Moscou du général Maung Aye, personnage numéro deux du Myanmar, vice-président du Conseil d'Etat pour la paix et le développement, est significative à bien des égards. En fait, nous sommes en présence d'une nouvelle percée de la diplomatie et des entreprises russes dans le Sud-Est asiatique, région où le président Vladimir Poutine a participé pour la première fois, à la fin de l'année dernière, au sommet de Kuala Lumpur.

L'ASEAN (Association des Nations du Sud-Est asiatique) qui regroupe tous les dix pays de la région n'invite pas aux sommets tous les Etats, loin de là, mais seulement les partenaires les plus proches. La décision de l'ASEAN de choisir la Russie comme participant permanent à ces sommets (de même que les chefs d'Etat ou de gouvernement de la Chine, de l'Inde, du Japon) a reflété aussi bien l'affinité politique accrue avec Moscou que l'intensification de l'activité des compagnies russes dans cette région. Les projets dans le secteur énergétique ont toujours figuré parmi les avantages évidents de la Russie. Moscou agit dans le Sud-Est asiatique en tant qu'investisseur dans l'extraction du pétrole et du gaz (Vietnam), comme fournisseur de know-how et de technologies (Thaïlande). A présent, un Mémorandum de compréhension sur la coopération stratégique dans le secteur pétrolier a été signé à Moscou entre Zaroubejneft et le ministère de l'Energie du Myanmar.

Le secteur des exportations d'armements est, pour les compagnies russes, une porte ouverte sur l'économie mondiale. A en juger par les informations des médias russes, dans le cas du Myanmar, Moscou emploiera le schéma selon lequel les exportations d'armes russes sont payées par des actifs énergétiques. Par conséquent, en plus du Vietnam, de la Malaisie et de l'Indonésie, le Myanmar, leur voisin, possédera des MiG-29 et un système de défense anti-aérienne (Tor et Bouk). Quant aux Russes, ils seront copropriétaires de compagnies pétrogazières du pays.

Toutes ces informations ne figureraient que dans les médias économiques écrits ou électroniques, n'était le régime militaire du Myanmar - plus précisément la spécificité des rapports entre le Myanmar et les Etats-Unis ou l'Europe - qui rend le sujet passionnant.

Dans chaque région du monde, il y a un ou deux régimes mal vus des Etats-Unis ou de l'UE, voire des deux à la fois. On pourrait trouver aux alentours un autre régime non démocratique. Mais les qualificatifs pittoresques de "dictatures" et d'"Etats voyous" ne sont attribués qu'à certains d'entre eux. A l'heure actuelle, au Proche-Orient, c'est probablement la Syrie, en Asie centrale, l'Ouzbékistan, dans le Sud-Est asiatique, le Myanmar.

Il s'agit d'une technologie politique éprouvée par le temps consistant à poser dans le monde entier des bombes à retardement: on peut ne pas y toucher, mais on peut aussi, le cas échéant, les faire exploser (ou menacer de le faire) en déstabilisant toute la région.

En ce qui concerne le régime militaire du Myanmar, en décembre dernier, il a fait l'objet d'une discussion au Conseil de sécurité de l'ONU où a été présenté le rapport de deux dissidents irréprochables et combattants des droits de l'homme: l'ex-président de la République tchèque Vaclav Havel et l'évêque sud-africain Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix. Le rapport citait les méthodes employées par le régime militaire pour essayer de venir à bout du mouvement insurrectionnel chronique des minorités nationales: les tribus montagnardes, dont l'économie repose, pour beaucoup, sur la culture et la vente du pavot. Le rapport présenté par Vaclav Havel et Desmond Tutu décrit les viols de femmes par des soldats, le travail des esclaves et la participation des soldats des troupes gouvernementales au trafic de drogue.

Un autre rapport présenté au Conseil de sécurité par une organisation non gouvernementale du Myanmar affirme que le premier rapport se fonde uniquement sur les données des dissidents et des réfugiés intéressés à assombrir au maximum le tableau.

Si l'on se souvient des documents récemment présentés par diverses sources après l'écrasement de l'émeute dans la ville ouzbèque d'Andijan et de nombreuses autres situations analogues, une conclusion s'impose: les deux parties ont raison (ou ont tort). Les dissidents sont une source d'informations aussi peu sûre que les autorités. Et c'est regrettable, car les pays comme le Myanmar sont nombreux dans le monde, alors qu'il y a très peu de recettes impartiales pour régler leurs problèmes.

Cependant, une force politique considère autrement la situation au Myanmar. La situation dans ce pays est la même que dans d'autres pays de l'ASEAN (dont fait partie le régime de Yangon), mais il y a 20 ans. Ceux qui ont réussi à éviter l'ingérence extérieure ont dépassé le stade de la "dictature militaire" et espèrent que la société myanmaraise empruntera également cette voie, malgré sa structure tribale spécifique. De plus, pour la majorité des pays de l'ASEAN, le Myanmar n'est pas seulement un voisin, mais aussi un partenaire économique.

L'ASEAN n'est pas du tout un bloc "anti-occidental", mais des sentiments anti-occidentaux sont observés dans les pays de la région. Ils sont alimentés non seulement par le problème "musulman" (Irak ou Palestine), mais aussi par la pression permanente exercée sur l'ASEAN à cause du Myanmar. Cette pression, surtout les recettes concrètes de démocratisation prévoyant des sanctions et l'isolement montrent aux pays de l'ASEAN qu'ils ont affaire à des personnes mal renseignées ou aux intentions inamicales, capables de plonger la région dans le chaos, comme c'était le cas du Cambodge pendant la guerre d'Indochine.

Cela étant, l'ASEAN applique une double politique à l'égard du Myanmar visant à défendre le régime militaire contre une pression malveillante et, en même temps, l'aider à se réformer.

La Russie qui a besoin de marchés a décidé de profiter des erreurs classiques de l'Occident et d'agir autrement, en s'assurant en même temps le respect au sein de l'ASEAN. Mais n'oublions pas que deux autres partenaires de l'ASEAN - la Chine et l'Inde - occupent une position analogue et qu'ils ont de nombreux intérêts économiques au Myanmar (et des frontières communes). Ce n'est pas par hasard que la Secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a invité ces jours-ci Pékin et New Delhi à exercer une pression sur le régime de Yangon en vue de le démocratiser. Apparemment, Moscou entendra aussi ces appels de temps à autre.

Il est vrai, la Chine a presque monopolisé la coopération énergétique et militaire avec ce pays, elle y a déployé des bases et y effectue des investissements importants. Mais les possibilités techniques de la Chine, voisin et partenaire de la Russie, ne sont pas illimitées. Donc, la Russie et la Chine pourront développer la coopération sur les marchés d'un tiers pays.

Depuis plusieurs années, nos intérêts coïncident et que notre coopération se renforce en Asie centrale, où Moscou et Pékin mettent aussi à profit les erreurs évidentes de l'Occident. Par exemple, le régime de l'Ouzbékistan est également dur, la situation en ce qui concerne la sécurité et les mouvements subversifs n'y est pas meilleure. Et dans ce cas, l'isolement du pays n'est pas une issue mais plutôt une manifestation d'irresponsabilité.

La sagesse politique de Pékin ou de Moscou se manifeste dans la recherche d'une alternative à la pression et aux sanctions, dans la tentative pour tirer graduellement ce pays du piège dans lequel il s'est retrouvé. Il reste à prouver que cette méthode est efficace aussi bien au Myanmar qu'en Ouzbékistan.

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