Le boom des jeux vidéo en Russie

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Par Elena Karpova, RIA Novosti

Encore au début de la Perestroïka, le mot ordinateur évoquait pour la plus grande part de la population russe une machine à calculer. Il existait même une plaisanterie qui disait que si l'Occident possédait les plus petits ordinateurs, nous possédions les plus grosses machines à calculer. Cependant, avec l'arrivée en Russie d'un flux d'ordinateurs dans les années Gorbatchev, leurs utilisateurs comprirent très rapidement qu'il ne s'agissait pas seulement de machines destinées au travail, mais qu'elles pouvaient aussi bien servir à se divertir. Les jeux vidéo n'existaient alors pas encore, c'est pourquoi les informaticiens russes se sont mis à en inventer. Le nom de l'un de nos pionniers en la matière est même bien connu dans le milieu. Il s'agit d'un collaborateur du Centre de calcul de l'Académie des sciences d'URSS, Alexeï Pajitnev. Créateur de programmes de test d'équipements, il n'a pu résister au plaisir de créer un programme de divertissement pour lui et ses collègues. Ainsi apparut en 1985 "Tetris", qui devint rapidement le jeu vidéo le plus connu au monde.

Les programmeurs avaient compris qu'un espace infini de création s'ouvrait à eux. En même temps, la réalité russe en constant changement leur donnait de l'inspiration. Le second inventeur russe à accéder à la reconnaissance fut Nikolaï Skripkine, qui créa un jeu appelé "Perestroïka", auquel il est amusant de jouer même encore aujourd'hui. Le joueur est dans la peau d'une grenouille poursuivie par un méchant bureaucrate qui veut l'éliminer. Nous étions en 1990.

En Occident on a tout de suite apprécié le potentiel créatif des programmeurs russes. Et l'on a fait ce qu'aujourd'hui l'Occident lui-même reproche à la Russie: on a simplement sorti le jeu aux Etats-Unis.

"Une fois, on m'a montré un jeu apporté des Etats-Unis, raconte Nikolaï Skripkine, et j'ai découvert avec surprise, et même avec joie, qu'il s'agissait de mon "Perestroïka".

A l'époque, la question des droits d'auteur ne faisait pas autant de bruit, c'est pourquoi certains faits d'exploitation illégale de découvertes d'autres personnes peuvent aujourd'hui prêter à rire. Ainsi, par exemple, un des petits futés russes a fait savoir à une firme de jeux vidéo qu'il avait totalement refait leur produit, et que le jeu était alors devenu beaucoup plus intéressant, jouissant par la même occasion d'un grand succès en Russie.

Aujourd'hui la Russie tend à entrer sur le marché "civilisé", ce qui implique de lutter contre la contrefaçon. Des organisations spécialisées sont apparues, comme par exemple "Bouclier russe", qui traque les pirates. La police se familiarise aussi activement avec la lutte contre le piratage.

L'une des conditions les plus importantes posées à l'entrée de la Russie à l'OMC est le renforcement de la lutte contre la contrefaçon de produits soumis à des droits d'auteurs. Petit à petit, on voit à la télévision des reportages montrant des bulldozers écrasant avec leurs chenilles des montagnes de disques piratés. Cependant, comme le supposent les experts, nous sommes encore loin d'en avoir fini avec ce problème. Les disques piratés sont très bon marché à la fabrication, c'est pourquoi, pour le consommateur russe qui n'est pas très riche, la question de l'achat d'un produit légal ne se pose pas, tant il pourra toujours trouver au coin de sa rue une copie piratée moins chère. Les spécialistes pensent que le moyen le plus efficace de lutter contre ce phénomène sera la baisse des prix des produits officiels des compagnies occidentales. Pour l'instant, le rapport est de 40/60, à l'avantage bien sûr des pirates du XXIe siècle.

Cependant le pourcentage des ventes de produits légaux augmente doucement mais sûrement. Battage à la télévision, menace de se faire remarquer par la police, appels des militants défenseurs de la culture, tout cela semble bien fonctionner. Le marché des jeux vidéo en Russie se rapproche actuellement des 200 millions de dollars par an. En comparaison avec les Etats-Unis, où ce chiffre atteint 30 milliards de dollars, cela paraît évidemment bien peu. Mais il faut prendre en compte le retard du boom des jeux vidéo en Russie. Il y a encore cinq ans seulement, le volume des ventes n'y dépassait pas 100 millions de dollars.

Des études de marketing montrent que 38% des consommateurs de jeux vidéo sont des jeunes de 18 à 20 ans, 23% ont entre 21 et 25 ans et 39% sont âgés de plus de 25 ans. Plus d'un tiers des interrogés jouent tous les jours, et 9% consacrent à cette passion environ cinq heures par jour. Parmi les plus populaires on compte les jeux de stratégie en temps réel, de courses, simulateurs de vol ou autres, les jeux d'action, les jeux de cartes et les casse-têtes, et les simulateurs de sports.

Les psychologues russes se sont sérieusement penchés sur le problème de la dépendance excessive aux jeux vidéo. Ils observent chez les adolescents une excitation physiologique élevée, de l'agressivité, et le sentiment d'une supériorité illusoire sur ceux qui les entourent. Les adolescents ne sont plus capables de se divertir autrement. Dans l'organisme du joueur se forme une substance qui, en arrivant dans le sang, provoque un état d'euphorie, et l'on y devient rapidement dépendant. Pour se débarrasser d'une telle dépendance il ne suffit pas de prendre des médicaments, mais il faut aussi l'aide d'un psychologue. Les scientifiques l'appellent la maladie du XXIe siècle.

Il y a cependant un autre point de vue. Beaucoup d'enseignants constatent que les jeunes qui jouent à des jeux vidéo commencent à travailler beaucoup mieux et réagissent plus rapidement aux questions, et ont tendance à ne pas être attirés par les bandes de rues.

Un tel intérêt de la jeunesse pour les jeux vidéo n'a pas manqué d'attirer l'attention des structures sportives russes. La Russie est le premier pays où le cyber-sport a été officiellement introduit dans les programmes nationaux d'éducation physique de la jeunesse. Les tournois de cyber-sport attirent beaucoup de spectateurs, spécialement au niveau national. L'année dernière, à la surprise générale, des représentants de la République de Sakha ont été primés dans plusieurs catégories, ce qui montre que ce sport se développe très vite, même sur le plan géographique.

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