Marchés boursiers: la Russie en croisade contre le dollar?

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Par Nina Koulikova, RIA Novosti

Dans son récent discours à l'Assemblée fédérale, le président Vladimir Poutine a proposé de créer en Russie des bourses d'échange pour différents produits où les contrats seraient réglés en roubles. "Nos marchandises sont négociées sur les marchés mondiaux. Pourquoi pas chez nous?" a demandé le président. Il s'agit en premier lieu, naturellement, du pétrole et du gaz.

L'idée de créer des bourses pour vendre des ressources énergétiques est débattue dans le pays depuis des années. La nécessité d'avoir une telle place est évidente du point de vue économique et politique. Le rôle de la Russie dans l'arène énergétique mondiale se renforce au fur et à mesure que les cours du pétrole montent et que ses exportations d'hydrocarbures augmentent. Et pourtant il n'y a pas de bourse d'hydrocarbures en Russie. C'est plus qu'étrange dans le contexte de ses récentes initiatives retentissantes en matière de sécurité énergétique. Aussi la volonté politique doit-elle donner une impulsion supplémentaire à ce processus.

Actuellement, la Russie, bien qu'elle produise plus d'un quart de la totalité des marchandises négociées sur les places mondiales, se sert, pour les vendre, des instruments qui ont été créés au fil de l'histoire du marché mondial. En fait, elle vend ses matières premières par les soins des institutions commerciales occidentales. Le marché mondial des hydrocarbures est organisé de sorte que les bourses spécialisées sont des institutions isolées implantées dans la plupart des cas dans des pays qui ne produisent pas de matières premières. La question suivante se pose: n'est-il pas étrange qu'un producteur vende sa marchandise par l'entremise d'un voisin qui ne produit rien mais a un magasin et, qui plus est, qu'il la vende aux conditions du magasinier et en lui payant une commission alors qu'il a tout ce qu'il faut pour fonder son propre point de vente? La création d'une bourse du pétrole et du gaz en Russie renforcerait sensiblement son infrastructure boursière et son économie en général en lui donnant un caractère civilisé.

La situation se complique du fait que les mécanismes transparents de formation des prix du pétrole d'exportation font défaut dans le pays. Aujourd'hui, les cours de la marque russe Urals ne sont pas décidés par le biais des négociations en bourse mais sont rattachés à ceux de la marque américaine Brent. Le prix de l'Urals est calculé avec un "discount" fixé à 8%-9% ces derniers temps. Officiellement, on explique cette pratique par la qualité moins bonne de l'Urals et par les risques inhérents au transport de brut russe jusqu'aux principaux consommateurs. Mais dans cette situation les exportateurs et l'Etat russes subissent des pertes.

La différence des prix semble être justifiée. Mais la formation du prix de l'Urals ne repose pas sur le principe du jeu de l'offre et de la demande. On ne peut donc pas dire que c'est le prix du marché. Cette dépendance vis-à-vis du Brent met la Russie dans l'impossibilité, premièrement, de définir le véritable prix du marché de son pétrole et, deuxièmement, d'influer sur la formation des cours des ressources énergétiques sur le marché mondial, ce qui entre en contradiction avec l'importance grandissante des hydrocarbures russes sur le marché énergétique global. La création d'une bourse en Russie permettra donc de rendre le mécanisme de formation des cours du brut d'exportation russe plus transparent et de le vendre à un prix équitable. Et peut-être même de diminuer le décalage entre Brent et Urals. D'autre part, un prix indépendant de l'Urals offrira à la Russie de nouvelles possibilités d'influer sur le marché pétrolier mondial. La négociation en bourse ne manquera pas d'augmenter la clientèle intéressée par des produits aussi demandés que le pétrole, le gaz et d'autres matières énergétiques.

Un autre élément clé du discours du président russe est que les contrats à conclure sur ces nouvelles bourses doivent être réglés en roubles. Actuellement, la monnaie principale sur le marché pétrolier international est le dollar américain. Sa domination mondiale tient justement à ce que tous les contrats pétroliers sont conclus en dollars. Si la Russie adopte une autre monnaie, cela risque d'ébranler la domination du billet vert. Reste à savoir si elle a les moyens de le faire. Il est évident que la résistance des places commerciales traditionnelles sera farouche. Les pays producteurs du golfe Persique continuent de vendre leur pétrole en dollars malgré de nombreuses tentatives d'abandonner ce mécanisme. Rappelons qu'avant la guerre en Irak, Bagdad avait annoncé son intention de mettre en place sa propre bourse du pétrole. Puis l'Iran a entrepris de réaliser un projet analogue pour créer une bourse où les livraisons seraient réglées en euros. Tout le monde sait à quel point sont tendues les relations entre Washington et Téhéran. Pour ce qui est de l'Union européenne, qui est l'un des principaux consommateurs de matières premières russes, elle doit avoir intérêt à passer aux règlements en euros. Moscou devra donc employer toute son influence politique et énergétique pour faire accepter les règlements en roubles dans le commerce du pétrole.

Apparemment, des tentatives en ce sens sont déjà en cours. Souvenons-nous des récentes déclarations que le ministre russe des Finances Alexeï Koudrine a faites à Washington au sujet de l'instabilité du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale. "L'évolution des événements dans la finance mondiale ne permet pas depuis ces dernières années de considérer le dollar américain comme un actif de réserve absolument sûr. Cette monnaie s'est dépréciée de 40% par rapport à l'euro en quelques années", a affirmé le ministre. Actuellement, la monnaie russe n'est pas beaucoup demandée à l'étranger. Mais si les bourses projetées se mettent à fonctionner, le rouble qui ne cesse de renforcer ses positions sur le marché intérieur sera, comme le pétrole russe, plus largement demandé dans le monde.

D'autre part, la tentative de faire entrer la monnaie russe sur le marché mondial à la faveur des "réserves pétrolières" risque, en cas de succès, d'attribuer à la Russie pour toujours la réputation de pays fournisseur de pétrole. N'est-ce pas dangereux pour un pays dont la dépendance vis-à-vis de ses matières premières est déjà incontestable? Bien des choses dépendent déjà du secteur pétrolier russe. En rattachant la convertibilité de sa monnaie à ses réserves de pétrole la Russie n'avouera-t-elle pas qu'elle n'a pas d'autres outils d'influence dans le monde que les matières énergétiques?

Enfin, le mécanisme de négociation en bourse en Russie n'est pas encore fin prêt. Pour ouvrir une place en Russie il faut modifier la législation correspondante, en premier lieu la loi sur les produits dérivés financiers. Les instructions données par le président doivent accélérer le processus de création des bourses. Cependant l'influence que cet événement aura sur le rôle de la Russie et du rouble dans le monde sera évidemment déterminée par la façon dont le projet sera réalisé.

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