Réflexion politiquement incorrecte sur le conflit au Proche-Orient

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti

De nouveau la tension s'aggrave au Proche-Orient. D'abord, des hommes du Hamas, ayant soigneusement creusé un tunnel sous les barrages israéliens, ont effectué crânement un raid dans les positions de l'adversaire et enlevé un soldat juif. Ensuite, pour se venger, Israël a de nouveau attaqué la bande de Gaza et arrêté plusieurs membres du gouvernement palestinien formé par le Hamas. Il vient d'annoncer à présent que ces ministres seraient jugés pour participation à des actes terroristes.

Je ne vais pas chercher le fautif. Chercher dans le conflit israélo-palestinien celui qui a été le premier à jeter la pierre est une mission absurde. Cela peut être Aghar, la servante d'Abraham, qui, ayant donné naissance à son fil Ismaël, ancêtre biblique des Arabes, s'enorgueillit et se moqua de Sara, sa maîtresse et épouse légitime de son maître. Mais peut-être est-ce Sara qui, offensée à mourir, obligea son mari à chasser la servante pleine de fatuité dans le désert. Qui sait? Laissons donc en paix les parties au conflit et parlons des médiateurs qui s'efforcent d'éteindre ce vieux brasier.

En politique, le politiquement correct statue que de mauvaises négociations valent mieux qu'une bonne guerre. Il est difficile de contester ce postulat humaniste, aussi est-il d'usage de saluer toutes les initiatives de paix au Proche-Orient, même quand l'efficacité de l'activité des médiateurs est proche de zéro. Tel est le cas de la "feuille de route", dernière initiative à laquelle s'accroche désespérément la diplomatie mondiale ces derniers temps: objectivement parlant, elle n'a pas apporté et tout porte à croire qu'elle n'apportera pas de résultats palpables et, qui plus est, durables. L'explication est évidente. Les deux parties au conflit sont depuis si longtemps et si passionnément entraînées dans la bagarre que les remontrances monotones adressées par les médiateurs politiquement corrects aux deux corps roulant dans la poussière ne sauraient tout simplement être normalement écoutées. Au mieux, pendant les courtes pauses qu'Israël et la Palestine se donnent pour reprendre leur souffle, on entend venir des flocons de poussière une petite phrase encourageante - "Oui, certainement" - que couvre déjà le son des coups et des gémissements des adversaires. Les médiateurs ne veulent pas reconnaître leur impuissance, pour le moins parce que leur mission se ramène à une double tâche: réconcilier Israéliens et Palestiniens et renforcer leurs propres positions au Proche-Orient. Eh bien, la deuxième tâche, à la différence de la première, apporte des résultats. Autant dire qu'il n'y a aucune raison d'abandonner la médiation même si la mission principale en est impossible.

Que faire? J'ose proposer une idée hérétique: si on laissait les adversaires dans la poussière, pour attendre que cette dernière ne retombe? Je tiens à rappeler une vieille leçon que les Anglais avaient donnée autrefois à la diplomatie russe. L'événement remonte à la période du corps-à-corps sanglant en Europe entre les peuples slaves et l'Empire ottoman. Il serait injuste d'affirmer que la sauvagerie turque n'indignait à l'époque en Europe que les Russes. Par exemple, la tragédie de Philippopoli où les musulmans égorgèrent douze mille Bulgares, dont des vieillards, des femmes et des enfants, eut une réaction retentissante à Londres. Le leader du Parti des Whigs, William Ewart Gladstone, publia spécialement à cette occasion une brochure intitulée "Les atrocités bulgares et la question orientale" dans laquelle il insistait, arguments à l'appui, sur la nécessité de libérer la Bulgarie, la Bosnie et l'Herzégovine du joug ottoman. L'Angleterre exigea que les Turcs punissent les responsables du carnage et commencent enfin la réalisation des réformes promises pour créer des conditions de vie normales aux chrétiens balkaniques. C'était un geste purement démonstratif puisque les Anglais, nation intelligente, n'avaient aucun espoir réel. Lorsque l'ambassadeur russe demanda à un diplomate anglais, Lord Derby, quel était l'objectif de la politique anglaise à l'Est, il lui répondit que les insurgés ne combattaient pas pour des réformes administratives mais pour l'indépendance ou du moins pour l'autonomie mais l'empire, tout en acceptant des réformes, n'accorderait jamais l'autonomie aux insurgés. "Les prétentions réciproques ne sont pas réconciliables de par leur nature et les deux parties ne peuvent pas s'entendre. Il ne reste aux puissances qu'à attendre la fin de la lutte. Si les Turcs n'arrivent pas à étouffer le soulèvement, il est possible que le sultan accepte de reconnaître l'autonomie de la Bosnie et de l'Herzégovine, mais si, au contraire, les insurgés essuient une défaite, ils seront plus accommodants et adopteront une organisation semblable à celle qui a été accordée antérieurement aux habitants de Crète", conclut le diplomate.

Autrement dit, les Anglais, qui ne savaient encore rien du politiquement correct, abordaient le problème, à la différence de la diplomatie russe exagérément émotive, en partant du bon sens et n'avaient pas peur de juger sainement les choses. C'est à peu près la même chose que je propose pour résoudre le problème du Proche-Orient. Le politiquement correct est très utile dans la vie quotidienne mais ne convient pas pour une analyse objective, ni pour une politique concrète: la vie politique réelle n'est pas politiquement correcte et il n'y pas le moindre signe qu'elle le devienne un jour. Certes, ce serait merveilleux de voir Israël et la Palestine reprendre leurs sens, se relever de la poussière, s'embrasser, se mettre à la table des négociations et trouver enfin un compromis acceptable qui ne serait vexant pour aucune des parties. Aujourd'hui, c'est une belle utopie. Or une utopie n'a pas de place dans la politique réelle.

En d'autres termes, la logique de la bagarre et celle de la paix ne s'accordent pas. Les bagarreurs peuvent être dispersés de force - il y a quand même les casques bleus créés à ces fins par la communauté internationale. Mais on peut aussi attendre que l'une des parties reçoive un bon coup et se ravise. Ce sera un temps propice à une médiation efficace.

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