Les géants de l'automobile en Russie: à la recherche d'un compromis

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Par Alexandre Iourov, RIA Novosti

Les autorités russes sont confrontées à un réel dilemme: imposer aux investisseurs occidentaux les règles établies ou accepter les éternels compromis par crainte de perdre des partenaires étrangers prestigieux. Le problème est sérieux, surtout dans le contexte des difficultés rencontrées en Russie par l'usine d'assemblage Ford.

Depuis presque cinq ans, cette usine située à proximité de Saint-Pétersbourg sort des Ford Focus. Aux termes de l'accord d'investissement signé par le groupe américain avec les autorités russes, la production suit le principe "avantage contre assemblage": Ford a obtenu le droit d'importer en franchise les composantes automobiles à condition que la production soit localisée à 50% en Russie cinq ans plus tard. Au 16 juin dernier, Ford avait dû relever son niveau de localisation à 40%, mais ce dernier n'avait atteint que 35%. Le 19 juin, les autorités douanières diffusaient un communiqué annonçant la suppression des franchises, le niveau de localisation étant inférieur aux prévisions, et évaluant les arriérés de versement de Ford à 276 millions de roubles (plus de 8 millions d'euros). Depuis, selon les douanes, le producteur automobile "s'acquitte régulièrement de ses charges douanières".

Mais les difficultés de Ford ne s'arrêtent pas là. Selon certaines informations, les pertes de l'entreprise se chiffrent actuellement à plusieurs millions de dollars, car le dédouanement des voitures s'éternise. Les véhicules restent dans les entrepôts, alors que les tensions s'aggravent entre producteurs, concessionnaires et acheteurs. Pour remédier à cette situation, les douanes russes prescrivent de verser la totalité des droits de douane, ce qui veut dire que la production de l'usine russe de Ford devient de plus en plus chère.

En effet, en assemblant les voitures en Russie, les compagnies économisent au moins 15% de leurs frais et peuvent vendre la marque Ford Focus 12.000 à 13.000 dollars l'unité. Désormais, la voiture coûtera entre 18.000 et 20.000 dollars, ce qui risque de priver l'usine d'une bonne partie de sa clientèle.

D'ailleurs, les problèmes rencontrés en Russie par le groupe Ford étaient tout à fait prévisibles. Pionnier du marché russe, Ford est l'une des premières compagnies étrangères à avoir pris le risque d'ouvrir en Russie une usine d'assemblage. Elle a été suivie de Renault, General Motors, BMW, KIA et Chery, et plusieurs autres compagnies, telles Fiat, Ssang Yong et Isuzu, se préparent à assembler leurs voitures dans les entreprises du groupe russe Severstal-Avto. Depuis quelques années, l'américain General Motors et le russe AvtoVAZ fabriquent ensemble la marque Chevrolet Niva. Toyota, Nissan et Volkswagen ont également annoncé la construction de leurs propres usines d'assemblage en Russie. Avec toutes ces entreprises, le gouvernement russe a conclu des accords d'investissement: comme dans le cas de Ford, la Russie promet des avantages douaniers en échange de la localisation progressive de l'assemblage sur son territoire.

Il y a un an, le gouvernement russe a amendé le barème des tarifs douaniers pour encourager l'importation de composantes automobiles. Ces amendements autorisent le producteur à importer les composantes en franchise ou contre une taxe symbolique de 3% à 5%, mais à condition qu'il s'engage à réduire de 30% la liste des composantes importées en franchise dans les dix ans, clause acceptée par tous les géants étrangers de l'automobile.

En 1999, année de la signature des accords avec Ford, on entendait par "localisation" la part des biens et des services fabriqués en Russie. Aujourd'hui, ce terme signifie la part des composantes fabriquées par des compagnies russes en général dans la structure du prix de revient. Pour Ford, cela veut dire que son niveau de localisation ne dépassera pas 20% et qu'il devra transférer la fabrication de composantes en Russie.

En amendant les tarifs douaniers en mars dernier, les autorités russes croyaient que le pays serait submergé de composantes automobiles étrangères. Mais ce n'est pas le cas. Par contre, on constate la disposition de certaines compagnies à construire sur le sol russe des usines de fabrication de pièces de rechange... Pour l'instant, les compagnies étrangères fabriquant les composantes automobiles sont gênées par le faible volume du marché intérieur et évitent de coopérer avec les producteurs de composantes russes pour des raisons de qualité. Bref, si le gouvernement a réuni les conditions propices à la localisation de l'assemblage, il n'a pas donné aux compagnies étrangères le temps nécessaire pour développer ce segment du marché. Tout porte à croire qu'il va falloir rechercher un compromis avec les investisseurs étrangers.

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