Pourquoi les Etats-Unis ont-ils "envoyé" Oussama ben Laden en Asie Centrale?

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Par Piotr Gontcharov, RIA Novosti

L'image quelque peu flétrie ces derniers temps d'Oussama ben Laden semble reprendre des couleurs aujourd'hui. A ce qu'il paraît le fantôme - le terroriste N°1 - recherché depuis plus d'une dizaine d'années se cache "dans un des Etats d'Asie Centrale, dans une ancienne république de l'Union Soviétique".

Qui plus est, l'information selon laquelle le leader de la nébuleuse terroriste internationale "Al-Qaïda" se trouve aujourd'hui dans l'espace postsoviétique n'émane pas de n'importe qui, mais de l'ancien coordinateur de la Maison-Blanche pour la lutte contre le terrorisme - Richard Clarke.

Il est difficile de qualifier d'improvisation la déclaration de ce personnage important. Avant de prendre sa retraite en 2003, Richard Clarke a travaillé pendant une dizaine d'années au Conseil de sécurité nationale auprès du Président des Etats-Unis, y compris à titre de conseiller présidentiel pour la lutte contre le terrorisme. Il avait sans doute de bonnes raisons de faire une telle révélation. D'une part, effectivement, les anciennes républiques soviétiques d'Asie Centrale sont territorialement très proches de l'Afghanistan où une unité spéciale de la CIA a recherché en vain durant près de dix ans le fameux Oussama ben Laden que la CIA a elle-même formé. De l'autre, comme l'affirment certains analystes, des organisations terroristes internationales, sans doute des filiales d'"Al-Qaïda", sont créées et opèrent aujourd'hui en Asie Centrale. Il suffit au terroriste de franchir la frontière pour se retrouver parmi les siens.

Quoi qu'il en soit, font remarquer des experts centrasiatiques, des circonstances non-négligeables rendent pratiquement impossible la présence du terroriste N°1 dans ces républiques.

On assiste dans certaines régions d'Asie Centrale à la formation d'organisations islamistes radicales à tendance fondamentaliste qui se montrent suffisamment actives. Mais il est difficile de les qualifier d'"internationales", car la géographie de leur action ne dépasse pas en règle générale le cadre des intérêts régionaux.

Ainsi, la région la plus peuplée et la plus explosive de l'Asie Centrale, la vallée de Ferghana, est à ce jour la plus menacée par les agissements de plus en plus intenses des organisations telles que le "Parti de la libération islamique" ("Hizb ut-Tahrir Al Islami") et le "Mouvement islamique d'Ouzbékistan". Leur objectif est de créer une "autonomie islamique" dans la vallée de Ferghana, plus précisément à la charnière de l'Ouzbékistan, de la Kirghizie et du Tadjikistan. A signaler que leur rayonnement se limite aux républiques évoquées.

Pour ce qui est des groupuscules islamistes radicaux moins importants, tels que le "Centre du mouvement islamique", "Adolat Ouiouchmaci" et "Islom lachkarlari", leur action a un caractère régional encore plus restreint que celui de "Hizb ut-Tahrir Al Islami" ou du "Mouvement islamique d'Ouzbékistan".

Une autre particularité intéressante des organisations islamistes radicales consiste dans le fait qu'elles deviennent visiblement plus actives à l'approche des élections présidentielles et parlementaires. Elles n'hésitent pas à prendre part à la lutte des élites politiques, ainsi qu'à celle des clans régionaux, ethniques et sociaux pour le pouvoir laïque qu'elles devraient en principe combattre. D'autre part, tout se passe incontestablement avec l'accord tacite des autorités, comme c'est, par exemple, le cas en Kirghizie.

Autrement dit, les organisations islamistes d'Asie Centrale ne sont pas du tout aussi "radicales" ni "extrémistes" et encore moins "terroristes", comme l'exige la conception même de la nébuleuse "Al-Qaïda". Aussi, est-il peut probable que son leader - Oussama ben Laden - soit persona grata en Asie Centrale s'il cherche refuge dans cette partie du monde. Pourquoi les organisations islamiques locales modérées par rapport à "Al-Qaïda" détérioreraient-elle leurs relations déjà compliquées avec le pouvoir local?

Qui plus est, la loi de la rue, du quartier et de la communauté, qui est immuable dans des républiques telles que l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et la Kirghizie (et surtout dans ses régions Sud) fait qu'un élément hétérogène ne pourrait y séjourner incognito. Il est encore plus inconcevable qu'un étranger au physique typiquement arabe y passe inaperçu. Et il serait encore plus absurde de supposer que les services spéciaux locaux ne sont au courant de rien.

Force est de constater que ni les autorités locales ni les services secrets des pays d'Asie Centrale ne sont particulièrement tolérants vis-à-vis des organisations terroristes d'importation. Et Oussama ben Laden ne l'ignore sans doute pas. Aussi, est-il fort peu probable que ce terroriste plus que prudent se décide à tenter sa chance dans cette région.

D'autre part, riche de son expérience de travail sur les problèmes du terrorisme international, Richard Clarke est sans doute au courant de la situation en Asie Centrale. Mais pourquoi Richard Clarke a-t-il "envoyé" Oussama ben Laden dans "une des républiques d'Asie Centrale de l'ancienne URSS"?

A ce jour, toute une série d'experts américains voudraient faire croire à tout le monde que la Russie n'a pas réussi à empêcher l'infiltration de commandos, par exemple, du "Mouvement islamique d'Ouzbékistan", sur le territoire du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan ni à bloquer la ramification de tout un réseau d'organisations islamiques paramilitaires en Asie Centrale. L'idée est que la 201-ème division russe et les gardes-frontières russes au Tadjikistan n'ont pas réussi à relever le défi émanant depuis l'Afghanistan, et plus précisément du mouvement "Taliban" et de la nébuleuse "Al-Qaïda". Quoi qu'il en soit, la présence américaine en Asie Centrale était subordonnée au déroulement des événements dans la région depuis la défaite soviétique en Afghanistan.

Les représentants des structures de force de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) dont toutes les républiques d'Asie Centrale, à l'exception de la Turkménie, font partie, estiment que la déclaration de Richard Clarke tend avant tout à discréditer le travail des centres antiterroristes de l'Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et de l'OCS, "coiffant" les problèmes de sécurité en Asie Centrale, centres où le rôle des structures russes n'est pas négligeable.

Il y a peut-être là une part d'exagération, mais vu qu'il est question de la présence ultérieure des bases américaines en Asie Centrale, pourquoi ne pas "créer" dans ces républiques un réseau ramifié d'"Al-Qaïda", tout en "dépêchant" Oussama ben Laden lui-même dans "l'une des ex-républiques soviétiques d'Asie Centrale". D'autant plus que, comme l'affirme la National Public Radio (NPR) à laquelle Richard Clarke a accordé son interview au sujet d'Oussama ben Laden, à la fin de l'année dernière, l'unité spéciale qui "chassait" Oussama ben Laden a été dissoute.

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