Les Israéliens attendent leur feuille de mobilisation

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Par Mariana Belenkaïa, commentatrice politique de RIA Novosti

La rencontre ministérielle sur le Proche-Orient tenue mercredi à Rome s'est achevée comme on s'y attendait: sur l'insistance des Etats-Unis dans la déclaration finale il est fait état d'un cessez-le-feu non pas "immédiat", mais "urgent". Par conséquent, les Israéliens peuvent s'attendre à recevoir sous peu de nouvelles feuilles de mobilisation.

C'est certainement le ministre italien des Affaires étrangères, Massimo D'Alema, qui a évalué de la manière la plus adéquate ce qui s'était passé à Rome: "Nous voulions que le cessez-le-feu intervienne dès hier. Mais est-il réaliste de demander cela aujourd'hui?"

De l'avis de Shmuel Bar, expert du Centre interdisciplinaire de Herzliya, un progrès sur les plans politique et diplomatique n'est possible alors que personne ne peut dire quand la campagne militaire au Liban prendra fin. "Si la rencontre se tient dans un contexte où aucun règlement militaire du conflit à court terme n'est visible, il est extrêmement compliqué de parvenir à des résultats concrets", a déclaré le politologue israélien à RIA Novosti. Shmuel Bar a souligné que tant que la situation militaire restera indéterminée, aucun Etat n'assumera la responsabilité de ce qui se passe dans la zone du conflit et n'enverra des troupes en qualité de force de paix. Dans le cas contraire, les militaires étrangers seront les otages du Hezbollah.

Mais alors, quand la situation s'éclaircira-t-elle? Les Israéliens et les Libanais ont beau invoquer la paix, Tel-Aviv n'arrêtera pas ses actions militaires tant que le gouvernement ne sera pas à même de présenter aux Israéliens des résultats palpables de l'opération.

Maintenant, ce qu'il faut savoir, c'est quel est l'objectif poursuivi par la campagne libanaise? Pratiquement quotidiennement les politiques israéliens évoquent différents objectifs tactiques: tantôt il faut rejeter le Hezbollah loin de la frontière, tantôt on parle de la création d'une zone-tampon ou encore de la destruction totale de la "structure terroriste" au Liban. Au fond tout se réduit à empêcher une reprise des tirs contre le territoire israélien et de réduire au minimum l'influence du Hezbollah au Liban. Mais où l'armée israélienne s'arrêtera-t-elle? Les combats qui sont livrés dans les quelques villages situés à proximité de la frontière ne peuvent pas modifier la répartition des forces dans la région. Alors, l'objectif serait-il Beyrouth? Mais après? Comment agir après?

Pour les Israéliens la seule idée de revenir au Liban fait l'effet d'un cauchemar, mais il est patent que sans une extension de l'opération terrestre il ne sera pas possible de causer un préjudice sérieux au Hezbollah.

Les Israéliens qui possèdent l'expérience des combats font des pronostics pessimistes: si elle n'est pas dopée, l'opération militaire pourrait durer plusieurs mois. "Le gouvernement israélien hésite à agir avec résolution, ni le premier ministre, ni le ministre de la Défense n'ont l'expérience des campagnes militaires, quant à l'aviation et à l'artillerie leur efficacité est médiocre", disent-ils. Enormément de gens se souviennent aujourd'hui de l'ancien premier ministre, Ariel Sharon, qui ne craignait pas les démarches brusquées et agissait à contre-courant de l'opinion de la communauté internationale. "Les choses seraient différentes s'il pouvait sortir de son coma et reprendre sa place dans la politique!" Voilà le genre de propos songeurs que l'on peut entendre un peu partout en Israël.

Pour les militaires, l'opération traîne en longueur du moment que Tsahal cherche à éviter des victimes parmi la population civile. Pourtant, la liste des tués ne fait que s'allonger tant au Liban qu'en Israël. Les pertes dans les rangs de l'armée israélienne augmentent elles aussi. Pendant ce temps dans le monde arabe on admire de plus en plus le Hezbollah qui depuis deux semaines déjà fait front à la puissante machine de guerre israélienne. Un diplomate israélien ayant longtemps travaillé dans des pays arabes a qualifié de "ténébreuse" la situation dans le domaine politique. Interrogé sur la question de savoir comment "les Israéliens envisageaient d'anéantir le Hezbollah si ce mouvement était une partie de la structure socio-politique libanaise et représentait les intérêts d'une importante partie de la population du Liban, ce diplomate a répondu que ce fait n'échappait pas à l'Etat hébreu. "Nous voulons simplement que la situation dans le pays soit contrôlée non pas par le Hezbollah, mais par le gouvernement libanais". C'est d'ailleurs ce qu'exige la communauté internationale, mais jusqu'à présent personne ne sait comment s'y prendre pour ne pas revenir au statu quo. Deux voies se présentent: soit des négociations avec le Hezbollah, soit l'anéantissement total du mouvement, mais au fond ces deux choses sont impossibles.

"Etes-vous conscients que même si vous obtenez un succès militaire, d'ici quelque temps la situation redeviendra ce qu'elle était? ai-je maintes et maintes fois demandé à divers représentants du ministère israélien des Affaires étrangères. "Nous savons que la chose n'est pas exclue", "mais nous n'avons pas d'autre choix", me répondait-on.

Beaucoup d'Israéliens estiment qu'effectivement le gouvernement n'avait pas le choix. "Il y a longtemps qu'il fallait mettre fin aux incursions du Hezbollah, a déclaré à RIA Novosti Yaïr, habitant un kibboutz sur la frontière libano-israélienne. "Comment Israël a-t-il pu s'y prendre pour que le Hezbollah ne cesse de tirer des roquettes contre notre territoire?" s'interrogent les habitants russophones de Haifa.

Seulement en Israël il y a aussi des gens qui pensent que l'opération militaire est funeste. Parmi eux il y a des militants de mouvements de défense des droits de l'homme et des arabes israéliens. "L'Amérique veut se débarrasser du Hezbollah en faisant appel à nous, pour les Américains nos gars ne valent pas grand chose", dit Yana Knopova. Avec son amie arabe, Abir Kopti, elle milite au sein du nouveau mouvement "Les femmes contre la guerre". "A quoi bon mener une guerre quand on sait qu'elle ne conduira pas à la paix?", demande Yana. Son amie, Abir, explique pourquoi il n'y aura pas de résultat. "Si l'armée israélienne anéantit le Hezbollah, d'autres mouvements prendront sa place. Quelle différence y a-t-il entre cheikh Nasrallah et un autre?" demande l'adversaire de la guerre.

Pendant que les mouvements antiguerres demandent l'arrêt des hostilités, les Israéliens qui avaient dû quitter le Liban voici six ans, quand Israël avait retiré ses troupes, attendent leur feuille de mobilisation". "Nous savions que nous reviendrions un jour", a déclaré à RIA Novosti David, qui en 2000 avait été l'un des derniers à quitter le Liban avec ses amis. Enfin, si c'était vraiment la dernière fois, passe encore. Mais personne ne peut l'assurer, ni les militaires, ni les politiques. Personne au monde ne sait quand et comment prendra fin la confrontation armée à la frontière libano-israélienne.

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