Les armes vendues au Venezuela? Rien que du business

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Par Viktor Litovkine, RIA Novosti

La visite effectuée en Russie par le président vénézuélien, Hugo Chavez, a procuré bien des satisfactions dans l'industrie militaire nationale. En plus des accords déjà conclus (un contrat de 52 millions de dollars portant sur la livraison de 100.000 fusils d'assaut Kalachnikov et de cartouches adaptées à ces armes, deux contrats d'un montant de 474,6 millions de dollars concernant la construction au Venezuela d'une usine de fabrication sur licence russe de fusils d'assaut AK-103 et d'une usine de cartouches de 7,62 mm), les parties se sont entendues sur la vente au Venezuela de 38 hélicoptères russes Mi-17B-5 et Mi-35M en échange de 484 millions de dollars. Pour ensuite signer un contrat prévoyant la livraison à Caracas de 24 chasseurs polyvalents Su-30MK2. Le ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov, a déclaré que le montant de ces contrats était supérieur à 1 milliard de dollars.

L'Amérique latine ne figure pas parmi les partenaires attitrés de la Russie dans le domaine de la coopération technico-militaire. Elle avait toujours été considérée comme une chasse gardée des Etats-Unis, et Washington veillait à ce que personne, surtout pas l'Union soviétique à l'époque et après la Russie ne vienne y mettre les pieds. Moscou avait été éliminé de nombreux appels d'offres portant sur la livraison de matériels militaires sur ce marché uniquement sur intervention de représentants des Etats-Unis. C'est ce qui s'est produit, entre autres, au Brésil où le holding aéronautique Sukhoï a perdu successivement plusieurs appels d'offres concernant la livraison à ce pays de chasseurs Su-35. Finalement, Rio de Janeiro annulait les résultats du concours étant donné que l'avion de combat proposé par le Pentagone ne convenait pas aux Brésiliens. Ni pour son prix, ni pour ses performances. Cependant, ils ne parvenaient pas à s'extirper de l'"étreinte" du grand frère.

Ici le Venezuela n'avait jamais fait exception. C'est vrai que beaucoup de choses ont changé dans les relations de Moscou et de Caracas depuis l'accession au pouvoir du lieutenant-colonel Hugo Chavez, un homme à l'esprit révolutionnaire et ne dissimulant pas ses convictions anti-américaines. Il a fait faire volte-face au volet technico-militaire de la coopération de son pays.

Le prétexte en a été l'introduction par Washington d'un embargo sur les livraisons de pièces de rechange pour les armes et les matériels de guerre américains dont sont dotées des forces armées vénézuéliennes. En raison de cet embargo l'armée vénézuélienne risquait à terme de ne plus être opérationnelle. Pour répondre à cette mesure qualifiée de protectionniste par Hugo Chavez, celui-ci a déclaré qu'il remplacera 21 chasseurs américains F-16 par des avions de fabrication russe. D'autant que, comme le déclare le "président rebelle", le Su-30 russe "est le meilleur chasseur au monde". Quant aux fameux F-16 appartenant au Venezuela, il a promis de les vendre ou de les offrir à Cuba ou à la Chine.

Attendons pour savoir s'il en sera ainsi ou non. En tout cas, la perspective de livraisons de chasseurs russes à un pays du continent latino-américain a dopé le moral du complexe militaro-industriel national qui traverse actuellement une période difficile. Des pilotes russes sont même arrivés aux commandes de deux chasseurs Su-30MK2 à la commémoration du 195e anniversaire de l'indépendance du Venezuela. Sous les yeux ébahis d'une foule immense ils ont effectué des figures de haute voltige de la plus grande complexité. "Je pense que pour l'avion et son moteur il n'y a pas meilleure publicité", a dit à ce sujet Sergueï Ivanov.

Il est vrai que l'"appétit" du président vénézuélien ne s'arrête pas aux chasseurs, hélicoptères et armes légères. Hugo Chavez n'est pas contre l'achat à la Russie de plusieurs sous-marins de la classe Amour, de missiles sol-air Tor-M1 et Osa-10, de véhicules de transports de troupes blindés et d'autres armements. Pour 3 milliards de dollars au total. Soit pratiquement la moitié des ventes d'armes réalisées à l'étranger par la Russie en 2005.

Ici il faut émettre une petite réserve, quoique très importante. Les livraisons d'armes russes au Venezuela n'ont absolument rien à voir avec l'anti-américanisme affiché du président Chavez et ne visent pas du tout à agacer Washington. Pour Moscou, c'est du business et rien d'autre. On l'a d'ailleurs bien vu d'après la manière avec laquelle le président russe, Vladimir Poutine, a accueilli son homologue latino-américain au Kremlin. Contrairement à ce qui s'était passé à Minsk et même à Volgograd et à Ijevsk, où l'hôte vénézuélien était allé avant de se rendre à Moscou, il n'y a eu aucune attaque verbale ni, à plus forte raison, de déclarations politiques ou de critiques à l'adresse des Etats-Unis. Le président russe ne bouge pas d'un iota de la position qu'il a adoptée: "Nous n'entrerons dans aucune union sacrée".

- Notre coopération technico-militaire n'est pas dirigée contre des pays tiers, elle vise à relever notre économie et le niveau de vie de la population, a déclaré Vladimir Poutine en présence de Hugo Chavez.

D'ailleurs, le président vénézuélien ne s'est pas opposé à cette thèse. Qui plus est, les livraisons d'armes au Venezuela, qui pour les quantités et la nomenclature n'enfreignent en rien l'équilibre des forces dans la région, ne sont pas une fin en soi pour la Russie. Les plans de son business dans ce pays sont bien plus étendus. Gazprom a remporté un appel d'offres concernant l'extraction de pétrole dans le golfe du Venezuela, la société Lukoil va entreprendre des forages dans le fleuve Orinoco pour aider les pétroliers autochtones à y extraire des hydrocarbures. La construction d'un gazoduc entre le Venezuela et l'Argentine, jusqu'à Rio de la Plata, via le Brésil, est en préparation. 8000 kilomètres de tubes à poser à travers la jungle et la selve. Jamais personne en Amérique du Sud ne s'était risqué à se lancer dans une telle entreprise dont la réalisation nécessitera quelque 20 milliards de dollars d'investissements... Cela ne témoigne-t-il pas de relations bilatérales pragmatiques bâties dans l'intérêt du busines et de la prospérité des deux peuples?

Mais revenons à la coopération technico-militaire de la Russie et du Venezuela. Les spécialistes posent des questions pertinentes. L'industrie militaire russe est-elle à même de réaliser ces commandes? Engranger les commandes, c'est facile, mais ensuite il faut y faire face. C'est que plusieurs problèmes pèsent comme des boulets sur le complexe militaro-industriel russe: vieillissement du parc technologique et du potentiel humain, perte de nombreuses technologies de pointe, braderie des entreprises fournissant des composants, etc. Il est peu probable qu'avec des problèmes de ce genre les commandes du Venezuela puissent être réalisées, surtout qu'il y a aussi les engagements pris envers la Chine, l'Inde, l'Algérie et d'autres pays, disent les experts. A cela il faut ajouter les commandes en hausse passées par l'armée russe. Alors, le fardeau est-il supportable?

La réponse du ministère russe du Développement économique et du Commerce a été brève. La commande passée par Caracas est échelonnée sur trois-cinq ans au moins. Elle s'inscrit parfaitement dans le potentiel de production des entreprises concernées. Quant à l'avance fournie par le Venezuela ainsi que les livraisons de brut en qualité de paiement des contrats, elles aideront le complexe militaro-industriel russe à renouveler ses fonds fixes, à moderniser les entreprises fournissant les composants, à former des spécialistes hautement qualifiés... Lorsque l'on dispose d'un business-plan échelonné sur plusieurs années il est plus facile de gérer ses potentialités et de bâtir une tactique et une stratégie d'activité.

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