Günter Grass veut-il se justifier?

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Par Boris Kaïmakov, RIA Novosti

Le fait est assez rare pour être signalé. La radio Echo de Moscou a diffusé un entretien accordé par Günter Grass à la chaîne de télévision allemande ARD, puis a organisé un débat autour des déclarations de l'écrivain. Les aveux du prix Nobel de littérature annonçant son enrôlement dans les Waffen SS a suscité un immense intérêt de la part des auditeurs.

Les avis étaient partagés. Certains estimaient que Günter Grass a réalisé une brillante opération de publicité pour promouvoir son nouveau livre. D'autres considéraient que l'écrivain a tout simplement voulu cacher un fait de sa biographie, jugé dangereux. Et il y en avait enfin qui croyaient qu'en dévoilant son passé dans les troupes blindées des Waffen SS, Günter Grass cherchait une réhabilitation publique.

Le dernier point de vue semble le plus intéressant. La publicité et la peur, tout cela est sans doute vrai, mais Günter Grass, qui a exercé une énorme influence sur la morale contemporaine et les esprits de toute une génération de lecteurs, aujourd'hui quinquagénaires, serait un médiocre écrivain s'il voyait les choses aussi primitivement. Son nom est gravé dans l'histoire de la culture et de la littérature allemandes. Et son dernier livre, "En pelant les oignons", ne serait pour lui qu'un succès littéraire de plus.

Mais l'idée de la réhabilitation d'une génération embourbée dans l'idéologie nazie semble sérieuse, et elle mérite une confession, comme pour dire: moi, votre maître à penser, j'ai été là-bas, mais je suis prêt aujourd'hui à exposer ma réputation d'écrivain allemand aux critiques de l'Europe entière, et c'est à vous de juger ce que nous sommes, nous les Allemands, si vous êtes prêts à accepter notre repentir ou si nous resterons à jamais des monstres à vos yeux.

Günter Grass a demandé pardon, mais il ne s'agit pas d'une doléance primitive, car il ne se croit pas coupable de quoi que ce soit. Ses arguments exposés dans l'interview sont très fragiles, il ne pourra jamais se justifier, comme l'Allemagne ne pourra jamais justifier ses propres crimes. Willy Brandt ne plaidait pas innocent quand il s'est agenouillé pour demander pardon. Günter Grass, lui, ne se repent pas, il ne veut pas s'agenouiller et il fait partie, à cet égard, des millions d'Allemands qui ont fait la guerre parce que c'était leur devoir. Sans espérer le pardon, ils demandent au moins la compréhension. Et la compréhension est un premier pas vers le dialogue, vers la réconciliation avec ses anciens ennemis.

Ces derniers recherchent activement le dialogue avec nous, et ils font parfois des aveux spectaculaires dans la bizarre logique allemande. Un chef d'entreprise allemand a ainsi affirmé un jour que si Hitler avait gagné la guerre, il en aurait souffert personnellement, car il aurait alors dû rester toute sa vie dans les rangs du parti nazi.

Ces aveux peuvent-ils choquer en effet? En effet, des dizaines d'auditeurs ont téléphoné à la rédaction d'Echo de Moscou pour dire qu'ils avaient eux-mêmes vécu dans des conditions non pas identiques, mais semblables. En discutant de Günter Grass, nous comprenons bien que nous analysons aussi notre propre histoire récente.

"... Et Khvat pleura. J'eus pitié pour lui, et je n'en ai pas honte. J'eus pitié pour ce vieillard qui achevait une vie sans gloire, une vie où il avait été à la fois bourreau et victime". C'est ainsi que la journaliste Evguenia Albats finissait son essai "Impardonnable" publié dans "Les Nouvelles de Moscou" en 1988, à l'époque de la "perestroïka". Günter Grass, nous racontera-t-il quelque chose de neuf dans son nouveau livre? En réalité, il a déjà tout dit.

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