La Grande-Bretagne sans Tony Blair

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Par Vladimir Simonov, RIA Novosti

Ce n'est plus une hypothèse, mais une réalité très proche dans l'avenir politique du Royaume-Uni. Tony Blair vient d'annoncer qu'il quitterait son poste d'ici douze mois. Si le premier ministre britannique n'a pas précisé de date, on peut supposer que son départ interviendra avant le 4 mai 2007, jour des législatives en Ecosse et au Pays de Galles ainsi que des municipales en Angleterre. Un groupement influent au sein du Parti travailliste préfère se débarrasser de Tony Blair avant que son leadership qui s'éternise ne tourne en échec.

Bien sûr, après presque dix ans passés au 10, Downing Street, Tony Blair est l'objet de toutes les plaintes. La classe moyenne et les couches aisées lui reprochent la hausse des impôts. Les retraités sont mécontents des tentatives avortées de réformer le Service national de santé: les listes d'attente pour les interventions chirurgicales ne diminuent pas. Les musulmans britanniques ont l'impression de devenir, dans la lutte globale contre le terrorisme, des sortes de lépreux abandonnés dans les banlieues.

Un autre reproche lancé contre le premier ministre, plus grave aux yeux de la majorité des Britanniques, est qu'on ne sait toujours pas s'il a menti ou s'il s'est sincèrement trompé en affirmant que Saddam Hussein était prêt à faire usage d'armes de destruction massive et que le dictateur irakien n'avait besoin que de 45 minutes pour que l'irréparable se produise. Aucune arme de destruction massive n'a été trouvée, mais la guerre a bel et bien commencé en Irak où la Grande-Bretagne, alliée fidèle des Etats-Unis, a perdu nombre de ses soldats.

Dans le même temps, tout n'est pas si noir. En dehors des erreurs et des échecs, Tony Blair a remporté quelques succès. Il est notamment parvenu à redistribuer considérablement les allocations publiques entre les différents groupes sociaux. Ne citons que quelques chiffres. Grâce à la réforme du système des avantages réalisée par les travaillistes après 2001, les 20% des Britanniques les moins riches ont vu leurs allocations bondir de 11%, tandis que les 10% les plus riches ont perdu 4% par an en termes de subventions publiques.

Des résultats impressionnants même pour un pays prospère sur le plan social. C'est la raison pour laquelle les Britanniques sont nombreux à croire leur premier ministre quand ce dernier affirme, en brandissant son livret rouge du Parti travailliste: "Nous sommes du côté du plus grand nombre et non de quelques-uns. Nous voulons que chacun, et non seulement l'élite, puisse réaliser son potentiel".

Dans le contexte d'un état de service aussi contrasté, le départ du premier ministre avant l'échéance de son troisième mandat consécutif semble peu justifié. Les critiques auraient pu attendre.

Or, les détracteurs de Tony Blair attendent depuis 1997. C'est à cette époque qu'il a décroché, par un complot ou une intrigue, le poste de premier ministre au grand dam de Gordon Brown, actuellement ministre des Finances, qui est une personnalité sans doute plus significative au sein du Parti travailliste. Pendant toutes ses années, Gordon Brown, 55 ans, a erré autour de Tony Blair, tel un chien étonné de voir un chat s'installer dans sa niche.

Malgré la présence d'autres candidats, dont le ministre de l'Intérieur, John Reid, il fait peu de doutes que Tony Blair cèdera son poste au ministre des Finances. Les débats ont lieu sur la date de l'événement: à la veille des élections de mai 2007, ce qui serait logique, ou lors du congrès des travaillistes de novembre où les adversaires du premier ministre pourraient monter un complot.

Quoi qu'il en soit, une Grande-Bretagne sans Tony Blair semble une réalité acquise. Et tout porte à croire que la Grande-Bretagne de demain ressemblera peu à celle d'aujourd'hui.

En politique intérieure, on s'attend à ce que le nouveau travaillisme, dont Tony Blair était le symbole, s'efface au profit du vieux travaillisme gauchiste. Si les blairistes ont ostensiblement rompu les liens traditionnels du Parti travailliste avec les trade-unions, Gordon Brown se sent bien à son aise en compagnie des syndicalistes et semble prêt à restaurer l'amitié d'antan. Le ministre des Finances se montre très méfiant vis-à-vis de l'entourage de Tony Blair habitué à se fier aux techniciens politiques de palais. Les fuites d'information délibérées visant ses propres collaborateurs ne sont pas dans le genre de Gordon Brown.

Toujours est-il que ces choses-là ont peu d'importance pour Moscou. Plus intéressants sont les changements qui risquent d'affecter la politique extérieure britannique, en particulier dans le triangle Londres-Washington-Moscou.

Vladimir Poutine dispose d'une expérience assez complexe dans ses rapports avec Tony Blair. Pratiquement du même âge, les deux dirigeants ont établi dès leur rencontre des liens évidents de sympathie réciproque, ce qui a largement favorisé les échanges russo-britanniques. Le Royaume-Uni est le cinquième investisseur étranger dans l'économie russe, après les Pays-Bas, le Luxembourg, Chypre et l'Allemagne. Le volume global des investissements britanniques s'élève à environ 10 milliards de dollars, selon le dernier bilan. L'exemple du groupe BP montre aussi que les deux pays ont de bonnes perspectives dans la coopération énergétique. Le pétrole russe représente presque un quart de la production et des bénéfices de British Petroleum.

Moscou et Londres coopèrent depuis longtemps dans la lutte contre le terrorisme international et le trafic de drogues. Créé en 2001 sur l'initiative de Vladimir Poutine et de Tony Blair, le Groupe de travail antiterroriste a beaucoup oeuvré pour cimenter la confiance entre les services secrets. Autre forme de coopération hors du commun: la Grande-Bretagne participe à la construction d'une usine de destruction de munitions chimiques en Russie.

Plusieurs facteurs négatifs viennent toutefois troubler ce tableau idyllique. Les remous antirusses provoqués à Londres par les nouveaux "immigrés" bénéficiant de la complaisance des autorités en sont l'exemple le plus prégnant. L'oligarque Boris Berezovski qui appelle à renverser Vladimir Poutine par la force a obtenu l'asile politique et un passeport au nom de Platon Elenine. L'ex-séparatiste tchétchène Akhmed Zakaïev est accusé par la Russie de création de bandes armées, de 302 meurtres et de nombreux enlèvements. Grâce à la justice britannique, il a pu échapper à l'extradition à sept reprises. Une vingtaine d'autres personnes recherchées par le parquet russe via Interpol ont également trouvé refuge outre-Manche.

Moscou estime que cette situation est difficilement compatible avec les principes d'un véritable partenariat mis en avant par Londres dans les relations bilatérales.

Il semble que Tony Blair soit d'un autre avis. Reste à savoir si cette politique sera poursuivie par son successeur.

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