Le projet Chtokman reste strictement russe, en attendant

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Par Sergueï Koltchine, docteur en économie, maître de recherche à l'Institut de l'économie près l'Académie des sciences de Russie - pour RIA Novosti.

Au cours de sa récente visite en Allemagne le président russe Vladimir Poutine a confirmé que Gazprom restait l'unique exploitant des réserves du champ de gaz Chtokman. Cette information avait été annoncée une première fois par le patron du géant gazier russe, Alexeï Miller. Ce projet et ceux de Sakhaline constituent le dernier atout de la Russie dans sa lutte pour se positionner sur le marché énergétique mondial, et elle veut évidemment en tirer le maximum de profit.

L'Occident a réagi du tac au tac mais de manière pas tout à fait concrète au changement de position de la Russie. Premièrement, les médias étrangers n'ont pas tardé à conclure que le projet Chtokman pourrait être gelé: par ces décisions la Russie n'a fait que confirmer qu'elle n'est pas prête à le réaliser.

Deuxièmement, nombre d'experts et de personnalités officielles représentant l'Agence internationale de l'énergie et l'administration américaine ont interprété ces décisions comme un signe de nationalisme susceptible de stopper l'afflux de capitaux étrangers en Russie. Aux Etats-Unis, on a même annoncé l'auto-isolement définitif de la Russie dans le développement de son secteur énergétique.

La réaction des candidats potentiels pour la mise en valeur du gisement Chtokman (la dernière liste comportait cinq compagnies: les norvégiennes Statoil et Norsk Hydro, les américaines ConocoPhillips et Chevron, la française Total) n'a pas été aussi nerveuse, du moins à en juger par les déclarations officielles des compagnies intéressées. Il semble qu'elles n'aient pas l'intention de gâcher leurs relations avec le groupe gazier russe, d'autant que Vladimir Poutine n'a pas écarté la possibilité d'une participation de partenaires étrangers au projet Chtokman. Il s'agit seulement d'une modification du format de cette participation. Tout porte à croire que seul le principe d'exploitation des ressources reste inchangé. Mais les positions de Gazprom et de la Russie pourraient être modifiées ultérieurement.

Cependant, les Norvégiens, qui sont les candidats les mieux placés, se sentent vexés et, dans leurs réactions non officielles, se disent mécontents de l'imprévisibilité du comportement de la Russie. Au niveau officiel, leurs dirigeants se montrent très réservés dans leurs propos. Ils regrettent la décision adoptée mais ont l'intention de conserver des relations de partenariat avec la Russie dans l'exploitation des ressources de la mer Baltique et ne soutiennent pas la thèse de "l'auto-isolement" de la Russie. Standard & Poor's, par exemple, estime que Gazprom est de taille à réaliser le projet Chtokman par ses propres moyens.

Essayons donc d'y voir plus clair en toute objectivité dans la situation qui s'est créée autour du projet. Premièrement, du point de vue du volume des travaux et de la richesse des réserves, c'est un projet inédit qui n'a pas d'alternative actuellement. Il intéresse également la Russie et les consommateurs potentiels du gaz de ce gisement. La demande de gaz et le prix de cet hydrocarbure ne sont pas près de changer sensiblement sur le marché mondial dans l'avenir le plus proche. Par conséquent, le projet reste d'actualité.

Deuxièmement, l'intérêt porté par la Russie à une participation occidentale à ses projets énergétiques n'est plus, et de loin, le même. Elle n'a plus besoin de simples injections financières dans son secteur énergétique car l'Etat et Gazprom disposent de disponibilités monétaires suffisantes. En même temps, la Russie reste vivement intéressée par un afflux de technologies, du moins dans deux secteurs. Il s'agit d'abord de la production de gaz dans les mers septentrionales, où le pays ne dispose pas d'une expérience suffisante (en dehors de ses études théoriques) et où celle de la Norvège lui serait incontestablement très utile. On comprend que la Russie aurait du mal à s'attaquer aux richesses du plateau continental toute seule, sans faire appel aux technologies occidentales. De surcroît, elle n'a pas aujourd'hui assez d'unités de liquéfaction de gaz naturel proches des gisements gaziers, ni assez de moyens de construire de nouvelles usines de GNL.

Dans les deux cas, la Russie est à coup sûr prête à accepter des compromis avec ses partenaires occidentaux, mais l'étendue de ces éventuels accords reste à définir, ce qui est une charge difficile à l'étape de l'élaboration du projet.

Troisièmement, la thèse de l'échange d'actifs entre la Russie et ses partenaires potentiels reste d'actualité mais, à en juger par les derniers événements, un tel échange n'a pas eu lieu. A noter que les partenaires de Gazprom ont réagi à cette idée de façon absolument adéquate. Cependant, les actifs offerts contre une participation au projet Chtokman n'ont pas été jugés suffisants en Russie. Néanmoins, les partenaires ont incontestablement de quoi proposer. Reste à s'entendre.

Au final, on peut dire que la lutte n'a fait que commencer pour le projet Chtokman et que son résultat dépendra de toute une série de décisions.

Considérons la géographie des livraisons du gaz de ce gisement. En septembre dernier le président Poutine a annoncé que la Russie pourrait réorienter ce projet pour transporter le gaz directement à l'état gazeux vers l'Europe par la canalisation Nord Stream (Gazoduc nord-européen) au lieu de le liquéfier pour le commercialiser sur le marché américain. Cette déclaration était en premier lieu un signal aux partenaires: si la technologie GNL se développe plus rapidement que le chantier de Nord Stream, le gaz ira aux Etats-Unis, et dans le cas contraire il ira en Europe. La priorité balancera donc entre Américains et Européens selon l'évolution des évènements.

De même pour l'échange d'actifs. La Russie a effectivement moins intérêt aujourd'hui à voir affluer des capitaux dans son économie qu'à renforcer ses positions sur le marché énergétique mondial. Mais les actifs qui l'intéressent, tout d'abord les réseaux de distribution de gaz, appartiennent à certaines compagnies tandis que les technologies nécessaires d'extraction et de liquéfaction de gaz sont la propriété d'autres.

Il importe dans ce cas de ne pas "perdre le cap" dans les négociations avec les partenaires étrangers. Des précédents ont déjà eu lieu, par exemple au cours des préparatifs du projet d'exploitation des richesses de la presqu'île de Yamal. De nombreux projets de production et de transport de gaz accusent de ce fait un retard sérieux sur les délais initialement convenus.

De nombreux experts s'accordent pour dire que d'ici à 2010 la production doit diminuer sensiblement sur les principaux anciens gisements en exploitation (Ourengoï, Nadym, Yamal). Dans ce contexte, la mise en service de nouveaux réservoirs ne permettra que de compenser les ressources épuisées alors qu'il s'agit d'augmenter la production de façon impressionnante.

Dans ce cas, les importantes réserves financières dont dispose Gazprom ne lui garantissent pourtant pas de rentrer rapidement dans ses frais, c'est pourquoi la Russie a toujours intérêt à coopérer avec les plus grandes compagnies énergétiques étrangères.

Dans cette optique, les décisions préalables relatives au projet Chtokman doivent, à notre avis, être considérées comme effectivement préalables, comme une étape d'un long marchandage entre les parties intéressées dont chacune produit les arguments les plus divers: politiques, financiers... Par la suite, on devra vraisemblablement s'attendre à ce que les événements évoluent vers de nouveaux compromis et accords.

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