OMC: l'enjeu agricole de l'adhésion russe

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Par Vassili Zoubkov, RIA Novosti

La récente déclaration du ministre russe du Développement économique et du Commerce, Guerman Gref, affirmant que les négociations avec les Etats-Unis sur l'adhésion de la Russie à l'OMC seraient achevées avant fin octobre suscite le doute. Non pas parce que ces promesses sont déjà légion, mais parce que le nombre des conditions posées à la Russie par Washington ne cesse de croître. L'Union européenne, qui s'est accordée relativement rapidement en 2004 avec la Russie sur toutes les conditions de l'adhésion russe à l'OMC, regarde aujourd'hui Washington faire pression sur Moscou qui ne cède pas d'un pouce.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, plus la résistance augmente et plus les négociateurs russes durcissent leurs positions. Les sondages montrent que plus la position de la Russie est claire et catégorique aux négociations sur son adhésion à l'OMC, par exemple en ce qui concerne sa protection tarifaire contre les importations, plus les partisans de l'adhésion du pays à cette organisation commerciale sont nombreux. Rappelons que les droits d'importation pour les produits manufacturés doivent diminuer de 10,2 à 6,9%. Pendant la première année suivant l'entrée à l'OMC, les droits de douane ne seront pas abaissés. Pour l'ensemble des produits agricoles ils passeront de 21,5 à 18,9%. Mais, après l'adhésion à l'OMC, il n'y aura de réduction des taxes à l'importation pour aucun des produits agricoles que la Russie fabrique en quantités suffisantes pour saturer son marché intérieur.

En ce qui concerne la viande, ce thème à ce jour effectivement douloureux pour les Russes mérite qu'on s'y attarde. Les quotas tarifaires actuels seront maintenus jusqu'en 2009. Les quotas tarifaires sont des taux réduits de droits de douanes pour des quantités autorisées d'un produit d'importation donné. Pourquoi les allégements concernant la viande seront-ils maintenus aussi longtemps? Tout porte à croire que le gouvernement cherche à se prémunir ainsi contre certains risques.

Le projet national de développement de l'agriculture commence à porter ses premiers fruits. Le gouvernement compte dans un certain temps réduire au maximum les importations de viande grâce au développement de la production nationale. Ainsi, d'ici à 2015, la production de porc doit augmenter de 1,5 million de tonnes, ce qui devra représenter la moitié de l'accroissement total de la production de viande dans le pays. Il en résultera une consommation minimale suffisante de viande par habitant de 75 kg par an (contre 51 kg en 2004), dont 24 kg de porc (15 kg en 2004). Les autorités espèrent que la structure du marché de la viande sera optimisée: le boeuf représentera 30% du marché (2,7 millions de tonnes), la volaille 24% (2,1 millions de tonnes) et le porc 39% (3,2 millions de tonnes).

Pourquoi la Russie a-t-elle alors augmenté récemment de 5% le quota d'importation de viande américaine? D'après moi, il s'agit d'un compromis lié aux négociations avec les Américains. Et pourtant, cette concession dont l'effet est minimal (15 à 20 millions de dollars) a déjà valu à Guerman Gref de violentes critiques au parlement russe. Le vice-président du Conseil de la Fédération, chambre haute du parlement russe, Sergueï Lissovski, ne comprend pas pourquoi on doit augmenter les achats de viande à l'étranger si les producteurs nationaux projettent d'accroître l'année prochaine leur production de porc de 150.000 tonnes, ce qui, au passage, constitue un tiers des importations actuelles.

Quelques mots à propos des dotations destinées à la production agricole. Le niveau des subventions du secteur agricole atteint 40% en Union européenne, mais on exige que la Russie annule la modeste somme de 10,5 milliards de dollars à accorder à titre de futur soutien à l'agroalimentaire (actuellement, il est trois fois plus bas). Il est douteux que les négociateurs russes se laissent persuader: trop importante est la différence en matière de soutien public entre les membres les plus importants de l'OMC et la Russie. Autrement, le dumping alimentaire tuera l'agriculture russe. Inutile d'expliquer que là aussi la position des négociateurs russes a trouvé des millions d'adeptes, tout particulièrement parmi les agriculteurs.

Depuis que Vladimir Poutine est président, l'Europe, tout en critiquant la Russie pour les droits de l'homme en Tchétchénie, s'est mise à lui reprocher aussi le "nationalisme des milieux d'affaires russes" qui "répriment tout ce qui est étranger avec le soutien de l'Etat". Les autorités, affirme-t-on, "érigent des obstacles au commerce avec les étrangers et accordent des facilités aux producteurs nationaux". S'il y a une once de vérité dans ces déclarations, on ne pourra que se réjouir pour les Russes qui ont été délaissés pendant aussi longtemps. Et voilà que maintenant le président Poutine en personne, privilégiant l'économie, défend activement les intérêts des milieux d'affaires pendant ses visites à l'étranger.

Les milieux d'affaires russes comprennent la position du Kremlin lors des négociations sur l'adhésion à l'OMC. Ils ont somme toute réagi de façon neutre à la déclaration acerbe d'Igor Chouvalov, assistant du président russe, au sujet de la possibilité d'une suspension des procédures d'adhésion de la Russie à l'OMC au cas où les Etats-Unis continueraient à s'en tenir à leur politique d'obstruction lors des négociations. Les milieux d'affaires font confiance au gouvernement qui, à son tour, compte sur eux.

Point n'est besoin d'être grand prophète pour affirmer que si la position de la Russie est approuvée lors de l'adhésion à l'OMC, les agriculteurs occidentaux, et surtout européens, seront obligés de changer de stratégie. Des pertes seront inévitables. "Les autorités américaines et européennes doivent se préparer à la fermeture de nombreuses entreprises dans leurs pays", a déclaré Guerman Gref. A l'heure actuelle, quelque 130 procédures discriminatoires sont imposées aux producteurs russes alors que les marchandises russes sont parfaitement compétitives et souvent de meilleure qualité que leurs analogues d'importation.

On en vient à la conclusion qu'une adhésion à l'OMC aux conditions de Moscou permettra à l'agriculture russe d'occuper la niche qui lui revient sur le marché mondial. De plus, la Russie propose dès maintenant aux entreprises agricoles occidentales concernées de diversifier leurs activités et de commencer à investir dans la province russe, à implanter des unités de production, à construire des fermes, à produire des fourrages et à pratiquer la sélection. Il y aura assez de travail et de terres pour tout le monde.

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