Stratégie nucléaire de la Russie: de nécessaires modifications

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Par Sergueï Kortounov, président du Comité pour les prévisions en politique extérieure - RIA Novosti

Trois mois après les attentats terroristes de septembre 2001 contre Washington et New York le département d'Etat américain a informé le ministère russe des Affaires étrangères que les Etats-Unis avaient l'intention de se retirer du Traité ABM (anti balistic missiles) de 1972. Six mois plus tard, le Traité est devenu caduc.

La réaction de Moscou a été extrêmement molle. Aucun des hauts dirigeants de l'époque n'a expliqué quelle était la vision russe du contrôle international ultérieur des armements nucléaires, rapidement érodé sous l'effet des décisions unilatérales des Etats-Unis.

Mais voilà que les présidents russe et américain signent le 26 mai 2002 l'étrange Traité sur la réduction des potentiels stratégiques offensifs (PSO). Les spécialistes de la sécurité nationale ont tout de suite compris que le contrôle bilatéral, et éventuellement multilatéral, tel qu'on le concevait jusque-là, des armements nucléaires était désormais l'apanage du passé. Cette évolution des événements appelait la nécessité d'adopter une stratégie nucléaire nationale autonome.

Aujourd'hui comme il y a quatre ans, il est hors de doute que l'administration des Etats-Unis n'a l'intention de se lier par aucun document limitant ou réduisant les armements. Sa politique militaire subit des changements visibles pour des raisons plus profondes que la nécessité de faire face au terrorisme international. Les Etats-Unis ont depuis longtemps oublié les accords START-2 (réduction des armements stratégiques) et CTBT (interdiction totale des essais nucléaires), qu'ils n'ont d'ailleurs pas ratifiés. Ils ont augmenté considérablement (de 100 milliards de dollars environ) le budget du Pentagone. Ils ont adopté une nouvelle doctrine nucléaire qui implique une modernisation des armements stratégiques offensifs, la création d'armes nucléaires pénétrantes de faible puissance, dont elle admet l'utilisation combinée avec des armes conventionnelles de précision, ainsi que la possibilité d'employer des armes nucléaires contre les Etats non nucléaires.

De l'avis de certains experts russes, les changements apportés à la politique militaire de Washington ne présentent pas de menace directe à la sécurité nationale de la Russie, du moins pendant les dix à quinze années à venir, tant que le système antimissile stratégique américain ne sera pas réellement mis en place.

Cependant, ces changements, tout d'abord le retrait du Traité ABM, remettent en doute l'efficacité du régime international de contrôle des armements et risquent de provoquer une nouvelle course aux armements.

Il est évident également que ces décisions des Américains sont stratégiques et requièrent, de ce fait, l'adoption par la Russie de mesures stratégiques en matière de politique nucléaire nationale. Les actes terroristes d'une violence inouïe et les priorités changeantes des menaces ne cessent, à en juger par la nouvelle doctrine nucléaire des Etats-Unis, d'abaisser le seuil de recours à l'arme nucléaire, au risque de provoquer une escalade mal contrôlée. La dissémination des armes de destruction massive et de leurs vecteurs et l'instabilité régionale grandissante y contribuent également.

La période actuelle a ceci de particulier que l'évolution de la situation militaro-politique dans le monde est absolument imprévisible. Les Etats-Unis continuent de moderniser leur potentiel nucléaire et ont les moyens de l'accroître rapidement, et cela dans un contexte où le problème de la conclusion avec la Russie de nouveaux accords juridiquement contraignants et contrôlés sur des réductions irréversibles des armements stratégiques offensifs est en fait radié de l'ordre du jour.

Les potentialités technologiques accumulées par les Etats-Unis et les résultats des tests réels de différents éléments de la défense antimissile confirment la possibilité de déployer à moyen terme un bouclier réduit parfaitement opérationnel dont il serait par la suite possible d'accroître constamment la densité.

Partant de ce fait, la Russie n'a pas d'autre choix que de rester dans un avenir prévisible (pendant quinze à vingt ans au minimum) une superpuissance nucléaire. Ses derniers plans de développement des forces nucléaires stratégiques étaient conçus compte tenu de l'entrée en vigueur des accords START-2 et du maintien du Traité ABM et prévoyaient leur transformation en quelque chose d'analogue à la "triade" américaine privilégiant les composantes navale et aérienne au détriment du groupe d'ICBM (missiles balistiques intercontinentaux) terrestres.

Dans la nouvelle situation stratégique, il devient nécessaire de revoir sans délai les plans russes concernant le développement des forces nucléaires stratégiques de manière à prolonger au maximum la durée de vie du groupe terrestre d'ICBM et à renforcer le noyau de la partie navale de la "triade", de même que sa composante aérienne capable de remplir des missions nucléaires et non nucléaires. Du point de vue militaire et économique, il serait injustifié de garder les anciens plans élaborés pour une situation absolument différente.

On ne peut que supposer que toutes ces modifications ont déjà été apportées à la stratégie nucléaire nationale. Le ton assuré du Message du président russe à l'Assemblée parlementaire permet de croire que cela a bien été fait.

Le point de vue de l'auteur ne coïncide pas forcément avec celui de la rédaction.

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