Un duel Condy-Hillary pimenterait la présidentielle américaine de 2008

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Par Léonide Mletchine, commentateur politique de la chaîne de télévision TVTs, membre du Conseil d'experts de RIA Novosti

Condoleezza Rice, celle qui passe pour être la femme la plus influente au monde, se lève chaque matin à cinq heures moins le quart, fait sa gymnastique et à sept heures et demie elle est déjà assise dans son bureau. Très rarement elle se permet un instant de détente en s'installant devant un piano. Avec une pointe d'orgueil elle précise qu'elle n'observe aucun régime diététique, qu'elle mange tout ce qu'elle aime sans prendre de poids. Son autodiscipline suscite l'admiration. Seulement c'est un travail exténuant.

Alors qu'elle s'apprêtait à fêter son cinquantième anniversaire, elle envisageait d'abandonner le service public, de quitter Washington et de reprendre son activité d'enseignante à l'Université de Stanford. Mais le président George W. Bush, qui venait d'être réélu, lui avait fait une proposition qu'elle ne pouvait qu'accepter. Deux jours après avoir soufflé les cinquante bougies du gâteau, elle avait été nommée par le président - beau cadeau d'anniversaire - au poste de secrétaire d'Etat. Pour la première fois la politique étrangère américaine allait être dirigée par un spécialiste de la Russie.

Trois jours après cette nomination, Condoleezza Rice était hospitalisée pour qu'on la débarrasse d'une tumeur bénigne. Le lendemain elle prenait congé des chirurgiens.

En règle générale, les femmes sont plutôt discrètes sur leurs visites chez le médecin, surtout quand il s'agit du gynécologue. Seulement Condoleezza Rice est en permanence sous la loupe des journalistes, ce qui ne simplifie bien sûr pas la vie de cette femme qui, si elle a réalisé une carrière magnifique, n'a pas réussi néanmoins à fonder une famille.

Elle a eu une liaison avec un joueur de l'équipe de football de Denver. Ils s'étaient même fiancés. A propos, le football n'est pas sa seule passion. Elle raffole de chaussures, il lui est arrivé d'en acheter huit paires d'un coup.

Les chaussures et la robe de mariage avaient déjà été choisies. Maman et elle avaient réglé tous les détails de la cérémonie, mais au dernier moment la noce avait été décommandée.

Très souvent la vie familiale des femmes au caractère fort s'arrange mal. La première femme à avoir assumé les fonctions de secrétaire d'Etat a été Madeleine Albright. Elle s'était mariée de bonne heure, avait eu trois enfants, mais l'union avait fini par se briser, son mari l'ayant quittée.

Condoleezza Rice n'a-t-elle pas sacrifié son bonheur familial à sa carrière fantastique?

Son père était curé, la mère enseignait la musique et elle avait choisi pour la fillette un prénom à consonance musicale italienne. Traduit en russe il signifie "avec douceur". A trois ans la fillette avait été mise au piano. Elle avait appris à lire les notes avant même les livres. Les parents lui parlaient comme avec un adulte. Le principe "deux fois mieux" était de rigueur dans la famille. On avait appris à la fillette de tout faire deux fois mieux que les enfants blancs, pour s'aligner sur eux et trois fois mieux si elle voulait les dépasser.

C'était une époque où un noir ne se serait jamais risqué à serrer la main d'un blanc. Ni, à plus forte raison, à tendre la main à une blanche pour l'aider, car cela aurait été interprété comme une tentative de viol. Dans l'Etat de l'Alabama, là où Condoleezza avait vu le jour, des règles implacables étaient appliquées.

A cette époque dans les Etats du Sud beaucoup de blancs estimaient que les noirs appartenaient à un peuple arriéré et inférieur. A l'université un professeur avait évoqué les idées de William Shockley. Le prix Nobel pensait que l'art et la science étaient des acquis de la civilisation occidentale et que pour cette raison la race blanche possédait un capital intellectuel plus important.

Après que le professeur eut exposé ces idées, Kondoleezza s'était levée et avait dit en forçant la voix:

- Dans cet amphithéâtre je suis la seule à parler couramment le français. Je suis la seule à jouer du Beethoven. Par conséquent, sur le plan de votre culture, je suis en avance sur vous.

Cependant, une autre conférence devait changer sa vie. Elle avait été consacrée à Staline et c'est le professeur Joseph Corbel, le père de Madeleine Albright, qui l'avait donnée. Par la suite Condoleezza dira:

- La Russie, voilà le pays que je tiens à mieux connaître. Je suis tombée amoureuse de la Russie. Passionnément.

Les parents avaient été sidérés par ce choix. En ce temps-là les gens de couleur ne s'occupaient pas de politologie, c'était là une science réservée aux seuls blancs. Condoleezza, qui avait appris le français, l'espagnol et l'Allemand, s'était donc attaquée à la langue russe. Comme thème de sa thèse de doctorat elle avait choisi les relations de l'Union soviétique et de la Tchécoslovaquie dans le domaine militaire. Elle s'était rendue une semaine à Moscou.

A vingt-six ans elle était titulaire d'un doctorat et enseignait à l'Université de Stanford. A trente-huit ans elle avait le grade de professeur. Pendant un an elle a travaillé au Pentagone, cette possibilité lui ayant été offerte en qualité de chercheuse spécialisée dans les études militaro-stratégiques. Ses vues politiques s'étaient déjà formées. Les étudiants l'avaient surnommée "Condy-faucon". En 1989, au Conseil national de sécurité Condy avait pris la direction du service en charge de l'Union soviétique et de l'Europe orientale. Quatre mois plus tard, elle devenait conseillère spéciale du président pour la sécurité nationale.

Bush senior l'avait prise avec lui lorsqu'il s'était rendu à Malte pour y rencontrer Mikhaïl Gorbatchev. Voici comment il l'avait présentée au premier président de l'URSS:

- C'est Condoleezza Rice. C'est elle qui m'a raconté tout ce que je sais de l'Union soviétique.

Gorbatchev avait alors jeté un regard sceptique en direction de l'Américaine:

- J'espère que vous savez beaucoup de choses.

Elle travailla deux ans à la Maison-Blanche sous la direction de Bush senior et quitta l'appareil après la première guerre dans le golfe Persique. On lui avait proposé un poste au sein des conseils d'administration de plusieurs grandes corporations. Chevron, entre autres, qui lorgnait sur le pétrole kazakh. C'est d'ailleurs en son honneur qu'un pétrolier appartenant à la compagnie a été baptisé de son nom.

Elle a dirigé l'Université de Stanford et géré son budget évalué à un milliard et demi de dollars. Qui plus est, un budget fortement déficitaire que d'une main de fer elle transforma en budget équilibré.

Elle entretenait d'étroits contacts avec l'équipe républicaine responsable de la politique étrangère, aussi lui demanda-t-on de mettre le candidat-président George Bush junior au courant des affaires internationales. Lorsqu'elle se présenta devant lui, celui-ci l'emmena sur le champ à la pêche. Néanmoins elle commença à initier le futur président aux affaires militaires, aux missiles balistiques et aux relations avec la Russie en recourant pour ce faire à un langage intelligible. Condoleezza est devenue pour lui plus qu'une conseillère. Non seulement elle informe Bush de ce qui se passe dans le monde, mais aussi l'aide à tout comprendre correctement. Elle assume en quelque sorte le rôle que l'on confère à celui qui guide l'aveugle. Elle aide le président à transformer la vision noir et blanc qu'il a du monde en politique réelle.

Maintenant qu'elle se trouve au poste de secrétaire d'Etat, elle se comporte en joueur numéro un, usant de tous les pouvoirs en politique étrangère. Il n'est pas un ministre qui se risquerait à la contredire.

Lorsque Condoleezza Ricce n'était qu'une simple conseillère, le vice-président, Dick Cheney, et le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, évitaient sa résistance et appliquaient leur politique. Elle avait pris l'initiative aux faucons. Lorsque le secrétaire d'Etat était Colin Powell, son prédécesseur, un problème se posait en permanence: on ne savait jamais s'il serait en mesure de convaincre le président de son bon droit et si le président lui accorderait son appui. Lorsque Condoleezza Rice dit "oui", le président dit "oui" lui aussi.

Il est frappant de constater que deux femmes, Hillary Clinton et Condoleezza Rice, se trouvent au firmament du monde politique américain. Il est parfaitement envisageable que ces deux personnalités s'affrontent en 2008 dans la course à la présidence. Les deux femmes ne comptent plus leurs partisans et partisanes.

Condoleezza Rice dit qu'elle ne nourrit aucune ambition politique. C'est probablement vrai. Seulement l'état d'esprit et les désirs sont des choses très versatiles. Pourrait-elle être proposée pour briguer la magistrature suprême?

Au Parti républicain il n'y a pas de successeur patent à même de prendre le relais des mains de George W. Bush. Les avantages présentés par Condoleezza Rice? Elle s'est faite à la force du poignet, elle n'a pas eu à atteler son wagon à une puissante locomotive politique. Sans son mari, Hillary Clinton n'aurait pas l'envergure politique qu'elle a.

En ce qui concerne les Afro-Américains, ils disent qu'ils seraient placés devant un choix difficile: par l'esprit ils sont pour Hillary, mais par le coeur ils penchent pour Condy. Les suffrages pourraient se répartir à raison de 40% pour Condy et 60% pour Hillary. Si 40% des Afro-Américains votaient pour la républicaine Condy, alors celle-ci remporterait la victoire.

La couleur de la peau ne serait pas une gêne pour Condoleezza en cas d'élection.

Une dernière question: l'Amérique est-elle prête à élire pour présidente une femme célibataire? 42% des Américaines sont dans cette situation. Pourquoi donc ne voteraient-elles pas pour une de leurs semblables?

En réalité, personne ne sait comment les Américains voteront pour une candidate de couleur à la présidence. Rien de précis ne peut être prédit ici.

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