La Russie doit rester une grande puissance nucléaire

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Par Sergueï Kortounov, président du Comité pour les prévisions en politique extérieure - RIA Novosti

Aussi minimale que soit la probabilité d'éclatement d'une guerre ou d'un conflit militaire important entre les plus grands Etats du monde, le rôle que leur politique attribue à l'arme nucléaire n'a nullement diminué. A preuve la nouvelle stratégie nucléaire des Etats-Unis qui abaisse le seuil de l'emploi de l'arme nucléaire, ce qui rend possible une escalade mal contrôlée. La prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs et l'instabilité régionale grandissante y contribuent également.

Dans ce contexte, la Russie n'a d'autre choix que celui de rester une grande puissance nucléaire dans un avenir prévisible.

A notre avis, en fonction de l'évolution de la situation militaire et politique dans le monde, les forces nucléaires stratégiques de la Russie devront comporter, à l'horizon de 2012:

* près de 600 missiles basés au sol,

* 10 à 12 sous-marins stratégiques,

* 50 bombardiers stratégiques équipés d'armes nucléaires et conventionnelles,

* 1000 à 1200 ogives nucléaires sur missiles balistiques terrestres et navals.

Une telle configuration de nos forces stratégiques servirait d'appui aux relations stratégiques particulières avec les Etats-Unis et au rôle politique important de la Russie dans le monde. Nous avons quand même conclu avec les Etats-Unis le Traité sur la réduction des potentiels stratégiques offensifs (PSO) qui engage juridiquement les deux parties à réduire leurs armements stratégiques offensifs jusqu'à 1700-2200 ogives en l'espace de dix ans.

Mais ce n'est pas ce traité plein format de réduction irréversible et contrôlée des armements stratégiques sur lequel insistait au début la Russie. D'autre part, en dépit des assurances réitérées que le système de défense antimissile américain en cours d'élaboration serait limité (capable d'intercepter quelques dizaines d'ogives seulement), Washington a refusé de contracter de telles réductions.

Ainsi, le Traité PSO ne satisfait pas notre exigence essentielle relative à l'irréversibilité et au contrôle des réductions. De surcroît, il n'impose aucune restriction au potentiel du bouclier antimissile américain. En fait, ce n'est pas un traité de désarmement, pas même un traité de réduction des armements nucléaires, mais un document abaissant l'état de préparation au combat des armements stratégiques. En réalité, les Etats-Unis ne réduisent ni leurs vecteurs stratégiques, ni leurs ogives nucléaires. Cela veut dire qu'ils peuvent à tout moment augmenter rapidement leurs armements stratégiques déployés jusqu'à leur ancien niveau. En ce qui nous concerne, vu les particularités de nos armements stratégiques offensifs et leur durée de service, à cause de la disparition de l'ancienne coopération entre les producteurs et sous l'effet d'autres facteurs, nous sommes obligés d'opérer des réductions réelles. A noter que le coût du démantèlement et de la reconversion de ces armements est assez sensible pour nous.

Certes, la Russie n'a pas d'autre choix que de respecter le Traité PSO. Mais il faut en même temps modifier la politique nucléaire nationale. Il faut comprendre que les Etats-Unis, surtout compte tenu de l'apparition d'un potentiel antimissile dans un proche avenir, accéderont à la domination stratégique absolue dans le monde, si notre politique nucléaire n'est pas modifiée de la façon mentionnée plus haut.

Les négociations avec les Etats-Unis doivent, naturellement, être poursuivies dans la mesure du possible. On pourrait même proposer de chercher ensemble des moyens d'amenuiser les risques inhérents à la situation objective résultant de la dissuasion nucléaire réciproque. Cependant, vu l'attitude actuelle de l'administration Bush envers le contrôle bilatéral et multilatéral des armements nucléaires, il est inutile d'espérer parvenir à de tels accords bilatéraux.

Dans ces conditions, il faut étudier la nécessité de reprendre les travaux sur les moyens susceptibles de faire face avec efficacité au système antimissile américain, de le pénétrer et de le neutraliser. La création d'ogives "mirvées manoeuvrières évoluant sur une trajectoire imprévisible pour l'adversaire éventuel" dont le président russe a parlé dans son message à l'Assemblée parlementaire de la Fédération de Russie, ne suffit pas à elle seule, car il s'agit là d'armes de conception soviétique. Il importe aussi de tracer un large plan de mesures de protection active et passive des forces stratégiques nationales. C'est la voie la moins coûteuse du point de vue économique, d'après les experts.

Les réductions suivantes des armements nucléaires seront opérées, dans le meilleur cas, en réalisant des mesures unilatérales parallèles, peut-être même sans se consulter mutuellement, c'est-à-dire en fonction de l'utilité, en premier lieu technique et économique, dont chacune des parties décidera elle-même. Cette situation signifie en fait la fin du contrôle classique des armements, contrôle dont ont l'habitude non seulement les hommes politiques, les diplomates et les militaires professionnels, mais toute l'opinion mondiale dans son ensemble.

LE POINT DE VUE DE L'AUTEUR NE COÏNCIDE PAS FORCEMENT AVEC CELUI DE LA REDACTION.

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