La Tchoukotka de Roman Abramovitch: un modèle d'Etat idéal

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Par Andreï Vavra, RIA Novosti

Le milliardaire Roman Abramovitch a une nouvelle fois présenté sa démission du poste de gouverneur de la Tchoukotka, province reculée de l'Extrême-Orient russe. L'annonce est largement médiatisée et ne circule plus sous forme de bruits, même si le président Vladimir Poutine n'a toujours pas accepté la démission.

Depuis son élection en 2000 à la tête des Tchouktches, peuple autochtone de la Tchoukotka, Roman Abramovitch est la cible de toutes les allusions fielleuses: il cherche ainsi, dit-on, à expier ses péchés.

N'est-ce pas la raison pour laquelle il évite les journalistes par principe. En effet, au lieu de profiter aux oligarques, toute publicité provoque irritation et méfiance. Et souvent pour cause, avouons-le. Toujours est-il qu'avec l'arrivée de Roman Abramovitch la Tchoukotka a connu une croissance réelle qui a touché tous les secteurs: l'industrie, la construction de logements, le social et la culture. Le produit régional brut a doublé, tandis que les revenus de la population, comme le budget, ont presque triplé. Des enfants tchouktches peuvent désormais passer leurs vacances au bord de la mer Noire, et les dépenses de santé et d'éducation ont nettement augmenté.

Cependant, les critiques ne manquent pas: "Il a déjà volé à son aise et cherche maintenant à se racheter!" disent les Russes.

L'expérience accumulée par Roman Abramovitch à la tête de la Tchoukotka est sans précédent et ne peut pas être répétée ailleurs. D'abord, il a eu une motivation singulière: qui viendrait en effet dans un endroit oublié de Dieu par simple compassion envers les gens qui vivent là-bas depuis toujours et où personne d'autre ne pourrait vivre? Personne, il faut bien l'avouer, ne le ferait pour des considérations purement sentimentales.

Regardons les choses en face. La Tchoukotka est une région qui est, à nos yeux, absolument invivable. Elle est certes peuplée depuis des millénaires, car les gens ont su s'adapter aux conditions naturelles. Mais la civilisation a détruit les habitudes séculaires en laissant partout derrière elle des monceaux d'ordures, l'alcoolisme omniprésent, une mortalité importante et la perte quasi totale du sens de la vie.

Comme il est impossible de faire déménager les gens, il faut au moins créer pour eux des conditions de vie décentes.

Petite parenthèse. A une époque, Roman Abramovitch a voulu faire preuve de philanthropie et mettre à profit ses compétences... dans le domaine du football qui connaissait une véritable traversée du désert. Quand il a eu envie d'acheter un club, on lui a expliqué les règles du jeu. Surtout pas de schémas transparents et civilisés: une partie des recettes sont certes légales, le reste est canalisé en liquide vers les zones offshore. D'où son idée de racheter le club anglais Chelsea dont tout le monde parle: pourquoi ne pas avoir investi dans un club russe? Ce n'est pas patriotique... L'explication est pourtant évidente.

Enfin, Roman Abramovitch a fait de la Tchoukotka un terrain d'essai pour créer un modèle d'Etat idéal. Un modèle patriarcal, hélas, mais on ne sait pas si un autre est possible. Bien sûr, le schéma n'est réalisable qu'avec une population très faible: la Tchoukotka compte un peu plus de 50.000 habitants. Son objectif est de mettre au premier plan les intérêts de la population, et les autorités s'emploient à rendre la vie des gens plus prospère, plus confortable et plus heureuse. Ce modèle se fondait sur l'absence de la corruption et du vol dans les administrations. Le milliardaire a invité des managers de Sibneft, sa compagnie pétrolière, nourris de la culture d'entreprise civilisée. Ils n'avaient pas l'habitude de voler leur patron, et ils ne volaient pas les Tchouktches.

A part les managers, M. Abramovitch a fait venir dans la région des ouvriers du bâtiment, des ingénieurs et des architectes. Et il a commencé à construire...

En un mot, les riches ont leurs caprices. Peut-on en effet ne parler d'un oligarque que sur un ton positif? Il faut toujours une touche négative pour achever le tableau. Et c'est bien le cas: la démission de Roman Abramovitch risque de déstabiliser la Tchoukotka, de déstabiliser tout jusqu'à la conscience des gens. Une fois familiarisés avec le modèle de l'Etat idéal, les gens auront du mal à s'en séparer. Mais après le rêve vient le moment du réveil. Le père Noël s'en va...

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