Temps forts 2006: L'année du nationalisme russe

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Par Dmitri Choucharine, pour RIA Novosti

Il y a tout lieu de considérer 2006 comme l'année du nationalisme russe. Toutefois, l'année politique ne coïncide pas tout à fait avec l'année calendaire. En effet, elle avait commencé par la Marche russe du 4 novembre 2005 pour s'achever le 10 décembre 2006 sur le Forum reconstitutif du Congrès des communautés russes (CCR) présidé par Dmitri Rogozine.

Cet intervalle temporel a eu pour événements majeurs les violences raciales qui ont éclaté au début du mois de septembre à Kondopoga, une petite ville de Carélie, et les décisions prises ensuite par les autorités fédérales concernant la politique migratoire. Parmi les autres moments forts nous relèverons le remplacement, fin mars, de Dmitri Rogozine au poste de président du parti Rodina, ainsi que la création, à la fin du mois d'octobre, du parti Russie juste consécutivement à la fusion de Rodina, du Parti de la vie et du Parti russe des retraités.

Le 4 novembre avait été choisi en qualité de nouvelle fête nationale, baptisée Journée de l'unité nationale en coïncidence avec la date, controversable sur le plan historique, de l'expulsion des Polonais du Kremlin en 1612. Elle se recoupe avec la fête de l'Icône de la Vierge de Kazan. La première Marche russe devait être une démonstration d'allégeance des forces nationalistes.

Cette Marche avait été ternie par l'apparition de groupuscules arborant des symboles nazis. Un rôle notable dans cette manifestation avait été joué par le Mouvement contre l'immigration clandestine (DPNI) d'Alexandre Belov, fondé en 2002 mais qui jusqu'ici ne s'était pas trop fait remarquer sur la scène socio-politique.

La Marche russe avait révélé que le mouvement nationaliste, aussi hétérogène et contradictoire soit-il, ne s'inscrit pas tout à fait dans le cadre de la démocratie dirigée. Aussi de premières mesures ont-elles été prises pour empêcher une possible alliance entre les nationalistes institutionnalistes, placés sous contrôle, et les nationalistes hors-système.

L'une de ces mesures a été le déboulonnage du leader charismatique du parti Rodina, Dmitri Rogozine, de la tête de la fraction parlementaire et de la présidence du parti. En outre, les lois visant à limiter considérablement les droits électoraux des citoyens, jusques et y compris l'interdiction de critiquer les autres candidats, par conséquent aussi ceux qui sont présentés par le pouvoir en place, peuvent être considérées comme une réaction indirecte aux événements du 4 novembre 2005.

Mais le plus important devait se produire en automne 2006, lorsque la lumière avait été faite sur la portée et la teneur du mouvement nationaliste russe ainsi que sur ses affinités et ses divergences avec le pouvoir en place.

Les émeutes ethniques de Kondopoga, la brusque exacerbation des relations avec la Géorgie, la nouvelle législation migratoire et la Marche russe de 2006 constituent le tableau suivant.

Les événements de Kondopoga, où la population locale avait exigé l'expulsion des commerçants d'origine tchétchène, des citoyens russes par conséquent, ont révélé les possibilités réelles du DPNI en tant qu'organisation moderne ramifiée. A l'époque on avait avancé pour la première fois la thèse d'une connivence du Mouvement avec l'appareil central du ministère russe de l'Intérieur, la seule source à pouvoir l'informer en priorité des désordres. Après ceux-ci, les autorités locales se sont pliées aux exigences des émeutiers. Une purge ethnique a eu lieu à l'échelle urbaine, visant surtout les commerçants des marchés.

Sur la toile de fond de la détérioration des rapports avec la Géorgie les autorités fédérales se sont livrées à des expulsions qui elles aussi peuvent être considérées comme un nettoyage ethnique. Les termes "défense des intérêts de la population autochtone", "indignation légitime" face à l'état de choses dans les marchés figurent désormais dans le lexique du chef de l'Etat. En vertu des changements apportés à la législation migratoire, en 2007 les non-ressortissants russes seront pratiquement expulsés du petit commerce.

Cependant, ces mesures ne satisfont que partiellement les nationalistes. C'est que ces restrictions ne s'appliquent qu'aux ressortissants des Etats étrangers, aux Ukrainiens et aux Moldaves, par exemple, qui ne suscitent pas de haine. Les citoyens russes originaires du Caucase du Nord ne sont pas concernés. Or, ce sont ces gens qui étaient visés par les émeutiers à Kondopoga et pas uniquement là-bas. Strictement parlant, nous avons affaire à une agression fondée sur l'anthropologie, c'est-à-dire au racisme. L'Etat russe actuel ne possède pas de mécanismes formels à même de résoudre le problème du racisme.

Mais l'essentiel n'est pas là. Les décisions qui ont été prises recèlent un formidable potentiel de corruption. Et le 4 novembre 2006, date fixée pour la deuxième Marche russe, on s'est aperçu que les slogans nationalistes étaient accompagnés d'appels de plus en plus appuyés à lutter contre la corruption et à étendre l'auto-administration locale.

Ce qui permet de penser que la Marche russe 2006 encadrée par la police et les services secrets dans diverses régions du pays a donné le coup d'envoi du mouvement nationaliste démocratique. Celui-ci a bien évidemment des aspects repoussants et constitue un danger pour la démocratie dirigée. Mais en même temps il traduit le mécontentement réel de la population face à l'état de choses dans le pays.

D'autre part, on ne sait pas très bien où se trouve le centre de gravité de la démocratie russe. Peu de temps avant la tenue de la Marche russe les nationalistes institutionnalistes de Rodina avaient rejoint le parti Russie juste, qui était en opposition à Russie unie. On estime que la nouvelle formation politique a vu le jour consécutivement aux contradictions entre les divers groupes au sein de l'administration du président. Contradictions qu'il ne faudrait d'ailleurs pas exagérer.

Il est admis aussi que Dmitri Rogozine avait toujours misé sur ces divergences. Dans le programme du Congrès des communautés russes qu'il a reconstitué il est question de "nationalisme à vocation sociale", de "mouvement national et démocratique", mais dans le même temps les militants évoquent la pureté ethnique de la nation russe, les Russes en tant que "blancs".

Or, la création du CCR, de Rodina et des autres mouvements nationalistes (à l'exception, peut-être, du DPNI) avait été encouragée en tant que partis n'ayant pas d'autre mission que de piper les voix de l'électorat nationaliste se portant habituellement sur les candidats du KPRF (Parti communiste de la Fédération de Russie). Seulement le parti Russie unie ne s'est pas montré moins habile en la matière. Et puis maintenant le KPRF n'est plus ce qu'il avait été et la législation électorale est tout à fait différente. Cependant, il va falloir faire quelque chose avec ces organisations jadis auxiliaires. Ce n'est pas là un résultat de l'incompétence des pères de la démocratie dirigée, ils ont à maintes reprises montré qu'ils savaient travailler avec efficacité. Seulement le modèle de direction qu'ils ont choisi vieillit, l'inertie et l'inefficacité le minent. Et puis il ne faut pas non plus oublier que le nombre de dirigeants s'est passablement accru.

Après la Marche russe 2006, qui avait été autorisée uniquement en tant que prise de parole, la même mesure avait été prise par la police à l'égard de la "Marche des dissidents", d'"Autre Russie" et de l'action à la mémoire des journalistes tués. On a l'impression que pour le pouvoir toute activité sociale est une marque de déloyauté. Il est significatif aussi que l'action d'envergure du mouvement de jeunes pro-Kremlin "Nachi" - des Pères Noël distribuant des cadeaux aux anciens combattants de la Grande Guerre patriotique de 1941-1945 - ait été dépolitisée au maximum.

Un signal a été lancé à la société: l'apolitisme est un signe d'allégeance. Seulement les participants aux divers mouvements nationalistes ont déjà montré qu'ils ne manquaient pas d'amour-propre et d'énergie et qu'ils maîtrisaient les technologies de communication. Et aussi qu'ils n'entendaient pas être loyaux.

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