Les sanctions américaines risquent de se retourner contre Washington

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Par Viktor Litovkine, RIA Novosti

Le Washington Times vient d'annoncer l'adoption par le département d'Etat américain de sanctions contre plusieurs sociétés étrangères, parmi lesquelles figuraient trois entreprises russes: Rosoboronexport, KBP Toula et KBM Kolomna. La loi américaine interdisant la fourniture d'armements à l'Iran et à la Syrie, adoptée en 2005, empêche les sociétés et les particuliers américains de ravitailler ou de soutenir les entreprises en question. La Russie a appris cette décision par le biais des dépêches d'agences d'information.

Rosoboronexport, qui détient le monopole des exportations d'armes et de matériel de guerre russes, a qualifié les sanctions américaines de "concurrence déloyale". Le ministère russe des Affaires étrangères a quant à lui estimé qu'il s'agissait d'un "problème intérieur des autorités américaines". "Les trois compagnies russes n'ont violé aucune norme, règle ou engagement international pris par la Fédération de Russie en matière de non-prolifération des armes de destruction massive et des missiles", a déclaré le vice-premier ministre et ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov. "Evidemment, le gouvernement américain est mécontent que les ventes d'armements et de matériel de guerre russes ainsi que les commandes d'armement publics pour nos forces armées soient en progression", a-t-il souligné.

Cela n'est que trop vrai. Washington se venge, assez primitivement, des entreprises de guerre russes qui viennent occuper des créneaux sur le marché international des armements laissés libres par les sanctions américaines, notamment au Venezuela auquel Rosoboronexport fournit armes et matériel de guerre (fusils d'assaut Kalachnikov, chasseurs Su-30MK, etc.) pour 3 milliards de dollars. Moscou est aussi le fournisseur de la Syrie avec laquelle il a pour 9,7 milliards de dollars de contrats militaires (systèmes d'armes antichars et antiaériens), mais aussi de l'Iran dont l'armée de terre achète des missiles sol-air russes Tor-M1.

Mais les sanctions du département d'Etat américain sont-elles susceptibles d'influencer le Kremlin et de le pousser à abandonner ces projets particulièrement avantageux pour son industrie? Bien sûr que non. Sergueï Ivanov a absolument raison: Rosoboronexport, comme ses partenaires, ne viole aucune loi ou règle internationales, ne fournit pas d'armes dans les "points chauds" de la planète et évite de ravitailler les pays engagés dans des conflits militaires. Enfin, il n'a des échanges technico-militaires qu'avec des Etats reconnus par l'ONU et leurs gouvernements légitimes, jamais avec des sociétés ou organismes privés.

Il ne faut pas oublier que la Russie est un Etat souverain qui n'a jamais cédé ni ne cédera aux pressions de qui que ce soit, y compris sous forme de sanctions économiques vis-à-vis des entreprises de guerre et des exportateurs d'armes. Qui plus est, ces sanctions n'auront pas d'incidence sur les recettes provenant de la coopération technico-militaire de la Russie.

Rosoboronexport, KBM Kolomna et KBP Toula n'ont pas de contrats avec les Etats-Unis, et les sanctions américaines ne sont pas en mesure d'affecter leurs relations avec la Syrie, l'Iran, l'Algérie, le Maroc et les autres pays que ces entreprises alimentent en armements.

Enfin, le comportement du département d'Etat américain pourrait frapper, tel un boomerang, des entreprises américaines, voire les perspectives de modernisation des armements de Washington.

Les spécialistes n'ignorent pas que le Pentagone a plus d'une fois proposé à Rosoboronexport un contrat portant sur les livraisons aux Etats-Unis de systèmes de protection active des blindés Arena conçus par KBM Kolomna. Arena protège les chars, les véhicules de transport de troupes et les canons d'artillerie automoteurs contre les roquettes antichars de tous types, y compris des obus de gros calibre. La destruction des munitions est automatique, à deux ou trois mètres de la cible blindée.

Ni les Etats-Unis, ni les autres membres de l'OTAN, ni même Israël ne possèdent de systèmes analogues de protection des blindés. Les négociations sur la façon dont on pourrait adapter Arena aux normes techniques du Pentagone ont duré plus d'un mois. Il ne restait qu'à arranger le prix du travail, le volume des fournitures et la liste des entreprises qui en seraient chargées. Selon les lois américaines, le matériel de guerre américain doit être nécessairement composé d'éléments de fabrication américaine, un "détail" qui ne devait pas devenir un obstacle sérieux pour la signature du contrat. Désormais, les négociations achoppent sur les sanctions contre KBM Kolomna imposées par le département d'Etat américain. Inutile de préciser qui est la première victime des sanctions.

Il existe encore un domaine très important de la coopération économique internationale que les sanctions du département d'Etat américain risquent également de frapper. Le problème est que pratiquement tous les contrats d'armements entre Rosoboronexport et les pays étrangers sont libellés en dollars. Les fractures sont normalement réglées via la Bank of New York. Le Congrès américain ayant récemment sacrifié le secret bancaire au nom de la "lutte renforcée contre le terrorisme international", Washington est d'ores et déjà au courant de tous les détails des contrats d'armements russes, comme s'il s'agissait de contrats signés par les sociétés américaines. D'où la conclusion des spécialistes russes de la coopération technico-militaire: les contrats doivent être libellés non pas en dollars, mais en euros. Les banques européennes résistent toujours aux pressions de l'administration américaine et n'autorisent pas la CIA à fouiller ouvertement dans ses dossiers confidentiels comme dans sa propre armoire.

Le passage du dollar à l'euro s'annonce inhabituel et assez compliqué, car il faut aussi que cela réponde aux intérêts financiers de l'autre partenaire. Mais les premiers exemples sont là, ce qui veut dire que les comptes russes à la Bank of New York seront bientôt nettement moins nombreux.

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