L'Ouvrier et la Kolkhozienne au grenier

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Par Anatoli Korolev, RIA Novosti

La Russie avait sa propre Statue de la Liberté, mais depuis déjà trois ans, Moscou est privée d'un de ses symboles remarquables. Il s'agit du fameux groupe sculpté "L'Ouvrier et la Kolkhozienne" de Vera Moukhina.

Tout récemment encore, la gigantesque sculpture se dressait devant le Centre national des expositions de Russie, mais aujourd'hui, démantelée, elle est conservée dans un entrepôt en attendant sa restauration, qui commencera Dieu seul sait quand.

L'histoire de cette statue est instructive et emblématique.

Le chef-d'oeuvre n'a eu de la chance qu'une seule fois: c'était loin de Moscou, en 1937, lors de l'Exposition universelle de Paris. Le groupe sculptural signé Vera Moukhina a été installé sur un immense piédestal devant l'entrée au pavillon de l'URSS, juste en face du pavillon allemand, surmonté lui d'un aigle sinistre.

La sculpture russe, réalisée pour la première fois en acier inoxydable, a fait sensation à Paris. Pour la première fois, l'Occident a vu une image concrète de la nouvelle idée, qui consistait à organiser la société selon les canons marxistes, où la propriété privée des moyens de production est abolie et où le prolétariat est au centre des intérêts de l'Etat.

L'oeuvre de la sculptrice a été si frappante que les autorités françaises ont demandé au gouvernement soviétique de vendre le groupe à la ville de Paris. Staline a dit non. Après la fermeture de l'exposition, la sculpture a été démantelée et rapatriée à Moscou dans un train spécial.

La fête est finie. Les mésaventures commencent.

Vera Moukhina rêvait d'implanter sa sculpture au centre de Moscou, sur la Moskova (là où se dresse maintenant le monument à Pierre le Grand de Zourab Tsereteli) ou bien sur la terrasse panoramique des Monts Lénine (aujourd'hui Monts des Moineaux), un endroit avec une vue formidable sur Moscou qui mettrait en valeur la sculpture.

Moscou aurait pu créer un message visuel énergique semblable à celui que représentent la Statue de la Liberté de New York ou celle du Christ dominant Rio de Janeiro. Mais les considérations idéologiques l'ont emporté sur les arguments d'ordre artistique.

La statue a été érigée à la périphérie de Moscou, à l'entrée de l'Exposition des réalisations de l'économie nationale (VDNKh). Mais de quelle façon! Le piédestal, qui aurait dû avoir trente mètres de haut, a été tronqué, le chef-d'oeuvre a été installé sur un socle bas, ce qui a altéré les dimensions voulues de la sculpture.

Mais les mésaventures ne faisaient que commencer. Bientôt, l'entrée centrale de l'exposition a été déplacée, et la sculpture s'est donc trouvée devant une entrée latérale, flanquée d'un parking et d'une route très fréquentée.

Moukhina a essayé de protester, mais en vain.

Petit à petit, la sculpture s'est couverte de rouille. C'était le lieu de rassemblement des clochards. Le long bassin, qui devait refléter la sculpture, n'était plus alimenté en eau et s'est rempli d'ordures.

Après la mort de Vera Moukhina, son héritage monumental est progressivement tombé dans la déchéance, le groupe "Nous réclamons la paix" (qui se dressait dans un square de VDNKh) a disparu, les ensembles sculpturaux censés décorer le Pont de la Moskova traînent aujourd'hui ça et là, son chef-d'oeuvre principal, "L'Ouvrier et la Kolkhozienne", est démantelé, le monument à l'écrivain Maxime Gorki vient d'être évacué de la place de la gare de Biélorussie, actuellement en reconstruction, et personne ne sait s'il retrouvera sa place après la fin des travaux. Même sa maison-atelier au centre de Moscou est menacée. L'arrière-petit-fils de la sculptrice affirme que la maison pourrait être démolie d'ici peu.

Seul le monument au compositeur Piotr Tchaïkovski monte la garde devant l'entrée du Conservatoire de Moscou.

Bien entendu, la restauration de la sculpture "L'Ouvrier et la Kolkhozienne" est devenue nécessaire depuis longtemps. Personne ne le conteste. Elle a été démantelée à juste titre. Mais il est du moins étonnant et préoccupant que depuis plus de trois ans aucun restaurateur n'ait encore touché à la sculpture. Notons au passage que l'acier allié, la "peau" du monument, est resté intact: c'est la carcasse qui est rouillée et doit être remplacée.

Et la dernière chose que je tiens à souligner.

Un musée de Vera Moukhina existe à Riga, où la sculptrice était née.

Il y en a un à Féodossia, en Crimée (Ukraine).

Il y en a un même à Rome!

Devinez, quelle est la ville qui n'en a pas?

Vous avez gagné, c'est Moscou.

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