Mission impossible pour Condoleezza Rice au Proche-Orient

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Par Vladimir Simonov, RIA Novosti

La Secrétaire d'Etat américaine en visite au Proche-Orient a sept jours pour persuader les leaders régionaux, notamment ceux d'Israël, de l'Egypte et des Etats du Golfe, de trois choses au moins: que la nouvelle stratégie de George Bush en Irak est viable, que cette nouvelle stratégie n'a placé George Bush dans l'isolement ni aux Etats-Unis ni en Europe et que l'Irak n'est pas le Vietnam américain.

Or pour accepter ces trois thèses, il faut être soit un enfant crédule, soit un vieillard à la mémoire défaillante.

Dans son plan présenté mercredi dernier, le président américain n'a fait à l'Irak aucune proposition conforme à la réalité de ce pays. En fait, George Bush a annoncé son intention d'agir selon le principe "un clou chasse l'autre", c'est-à-dire réprimer les violences locales en faisant intervenir les troupes américaines renforcées à cette fin par des effectifs supplémentaires.

Comment 21500 soldats d'infanterie, dont 17500 déployés à Bagdad, pourront-ils arrêter le déchaînement de terrorisme assorti de luttes intestines, si le contingent américain fort de 140000 hommes n'a pu le faire en quatre ans? Les explications du président américain à ce sujet sont étonnantes. George Bush invoque le manque de forces. Apparemment, ces 21500 hommes manquaient pour protéger les faubourgs de Bagdad du retour des insurgés après les nettoyages.

De plus, ces nettoyages étaient trop limités, explique le président pour se justifier. Les troupes américaines étaient placées dans des conditions telles qu'elles ne pouvaient pénétrer que dans les régions contrôlées par les insurgés sunnites, mais elles étaient contraintes d'éviter les zones où prédominait l'armée du Mehdi, celle des combattants chiites. A présent, tout va changer, nous dit-on. Un poing composé de trois forces - l'infanterie américaine, l'armée irakienne et la police irakienne - s'abattra à Bagdad sur tous les groupes de la clandestinité armée, indépendamment de leur appartenance religieuse.

D'où vient cette certitude? Si Condoleezza Rice s'était rendue à Bagdad pendant sa tournée proche-orientale, il lui aurait suffi d'échanger quelques mots avec un passant pour douter du réalisme de cet espoir. L'attention de la Secrétaire d'Etat aurait été attirée par le fait que la composition du dernier gouvernement irakien, bien que dépendant des Etats-Unis, n'a nullement changé. Il est toujours dirigé par la majorité chiite et les fractions gouvernementales protègent toujours les groupements paramilitaires.

Lundi, à l'aube, ces forces ont ordonné de pendre deux compagnons de Saddam Hussein : son demi-frère Barzane Al-Tikriti, ancien chef du renseignement militaire, et Awad Ahmed al-Bandar, ancien président du tribunal révolutionnaire. La nouvelle exécution effectuée en dépit de l'appel du président irakien Jalal Talabani à la reporter à des temps plus cléments a démontré, une fois de plus, l'influence du groupement au pouvoir.

Pourquoi les chiites, qui détiennent le pouvoir, devraient-ils admettre la défaite de leurs coreligionnaires qui défendent les intérêts de leur communauté au moyen de voitures piégées et non pas dans les débats au parlement irakien? Il est improbable que Condoleezza Rice puisse répondre à cette question.

En ce sens, la nouvelle stratégie américaine en Irak promet non pas un accroissement des chances des Etats-Unis de remporter la victoire, mais uniquement une intensification de la violence et de l'effusion de sang.

La mission actuelle de la Secrétaire d'Etat américaine est également impossible, parce qu'elle voit le Proche-Orient, de même que son chef à la Maison Blanche, uniquement en noir et blanc. A leur avis, il y a des amis avec lesquels il faut parler et des ennemis avec lesquels il ne convient pas de faire. Il vaut mieux les intimider, voire leur asséner des coups.

Il est difficile aujourd'hui de ne pas soupçonner que les Etats-Unis préparent le monde, à grand renfort de médias, à une attaque contre l'Iran et, par la même occasion, peut-être, contre la Syrie. Présentant sa nouvelle stratégie en Irak, George Bush n'a pas seulement méprisé les conseils de la commission Baker-Hamilton qui recommandait d'associer ces deux acteurs importants au processus diplomatique autour de l'Irak, mais il a émis des griefs et proféré des menaces à l'adresse de Téhéran et de Damas. Ensuite, ces intimidations ont été soutenues par Stephen Hadley, conseiller du président pour la sécurité nationale, et Condoleezza Rice.

A noter que George Bush a accusé l'Iran de "soutenir matériellement les attaques contre les troupes américaines". Il s'agit apparemment de transfert d'armes. L'ironie consiste en ce que les Etats-Unis essaient parfois de défendre leurs intérêts dans la chaudière proche-orientale en recourant à des méthodes semblables. Washington a autorisé, ces derniers mois, les livraisons d'armes aux détachements palestiniens loyaux envers Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne, homme politique modéré, pour lui permettre de renforcer ses positions dans le conflit contre le Hamas.

Mais ce qui est permis à une puissance, rempart de la démocratie, est certainement interdit à un pays faisant partie de l'"axe du mal".

D'ailleurs, Mahmoud Abbas n'a pas admis d'échanger les principes contre les armes. Dimanche dernier, au cours d'une rencontre avec Condoleezza Rice, il a, en fait, mis en doute son intention de ranimer la "feuille de la route", plan de règlement pacifique au Proche-Orient, dont l'idée principale est de passer graduellement à l'édification d'un Etat palestinien. "Nous avons confirmé à Mme Rice notre refus d'accepter des solutions temporaires, par exemple un Etat aux frontières provisoires. A notre avis, cette variante est irréaliste", a déclaré le président palestinien.

Entre-temps, les menaces verbales lancées par les Etats-Unis à l'adresse de l'Iran ont commencé à s'étoffer. Le 11 janvier, un commando américain a attaqué le consulat iranien à Erbil, dans le Nord de l'Irak, et y a pris en otages six employés. Ces derniers n'ont pas eu le temps d'obtenir le statut d'immunité après le rétablissement des relations diplomatiques irano-irakiennes en septembre 2004. Même s'ils avaient ce statut, il est peu probable qu'il en soit autrement. Seuls les Etats-Unis sont habilités à informer le monde de ce qu'ils y ont découvert : d'inoffensifs ordinateurs, ou bien des lance-grenades portables sortant de l'usine.

Une question se pose naturellement : serions-nous témoins de la répétition d'une attaque des Etats-Unis contre l'Iran? En tout cas, avec dans son attaché-case l'agressivité anti-iranienne qui exclut totalement la participation de l'Iran et de la Syrie, acteurs principaux, au règlement irakien, Condoleezza Rice voue d'avance à l'échec son actuelle mission proche-orientale.

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