L'avenir du Liban entre les mains des donateurs

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Par Marianna Belenkaïa, RIA Novosti

"Je crains que nous n'ayons pas d'avenir dans notre pays." Ces propos, qu'on entend de plus en plus souvent au Liban, prennent une tonalité particulièrement amère à la veille de la conférence internationale "Paris-3" sur l'assistance économique au Liban qui s'ouvre le 25 janvier dans la capitale française et dont dépend largement l'avenir des Libanais.

La conférence a pour toile de fond les images d'incendies dans Beyrouth et les statistiques des victimes des affrontements qui se poursuivent entre les différentes forces politiques. Après presque deux mois de sit-in, l'opposition libanaise est passée à l'action. Mardi dernier, une grève antigouvernementale a été déclenchée à son appel, et les principales routes et les voies d'accès à l'aéroport ont été coupées.

L'armée avait beaucoup de mal à empêcher les accrochages fratricides, et ses efforts n'ont pas suffi pour éviter les victimes: trois personnes ont été tuées, et des dizaines d'autres blessées. On ignore qui a ouvert le feu le premier, car l'opposition et les forces pro-gouvernementales se renvoient la balle. Mais l'important est que, pour la première fois depuis deux ans, les Libanais ont franchi la limite entre les manifestations politiques et la confrontation militaire ouverte.

Certes, il y a eu par le passé des incidents et des accrochages isolés entre les partisans des différents partis, et non pas sans victimes. Mais c'est aujourd'hui que les affrontements prennent une tout autre ampleur: en l'espace d'une journée, les différentes régions du pays ont été touchées, et le bilan humain s'est nettement alourdi.

Cette journée tragique s'est achevée par la décision de suspendre toutes les actions de protestation prise par l'opposition libanaise. Toutefois, la nouvelle ne suscite aucun soulagement, car les leaders de l'opposition ont promis de recourir à des mesures de pression plus efficaces, si le gouvernement ne tirait pas les enseignements de ce qui s'était passé et continuait d'ignorer leurs ambitions.

Rappelons que l'opposition réclame plus de portefeuilles au sein du gouvernement et souhaite organiser prochainement de nouvelles élections législatives. En principe, la coalition au pouvoir est prête à céder à l'opposition un tiers des mandats ministériels, mais elle refuse d'accepter le principe du "tiers plus une voix" qui permettrait de bloquer n'importe quelle décision du cabinet.

Tout porte à croire que la situation au Liban ne s'apaisera que lorsque l'opposition aura obtenu le pouvoir réel. Mais il est peu probable que la coalition gouvernementale soit prête à céder volontairement ses compétences.

Dans ce contexte, le rôle des forces extérieures s'annonce très important, car par son comportement elles pourraient aussi bien contribuer à l'apaisement du Liban qu'alimenter les tensions. Cette fois-ci, selon les médias arabes, c'est la médiation de la France et de l'Arabie saoudite qui a permis de mettre fin aux violences.

Autrement, la tenue à Paris d'une conférence des pays donateurs serait vouée à l'échec. Peut-on en effet parler d'assistance, y compris d'investissements et de crédits, lorsque le pays bénéficiaire vacille au bord de la guerre civile? Dans cette situation, les investissements n'ont aucun sens, comme ils sont absurdes en cas de crise politique permanente.

Depuis deux ans, l'activité économique à Beyrouth se trouve régulièrement immobilisée: le centre de la capitale est paralysé tantôt par des manifestations, tantôt par des mesures de sécurité sans précédent déployées chaque fois que les différentes forces politiques libanaises tentent de trouver un compromis. La crise libanaise fait peur également aux touristes, ceux-ci représentant l'une des principales sources de recettes du pays.

Sans assistance extérieure, le Liban aura du mal à digérer la nouvelle crise. Alors que les Libanais n'ont toujours pas remboursé les crédits accordés pour la reconstruction après la guerre civile de 1975-1990, ils ont déjà besoin d'une nouvelle assistance. On avait l'impression que la vie commençait à s'améliorer quand le meurtre en février 2005 de l'ex-premier ministre Rafic Hariri a provoqué une nouvelle série de meurtres politiques et de luttes pour le pouvoir, le Liban étant confronté à la menace d'une nouvelle guerre civile. S'y ajoute la guerre de l'été dernier avec Israël qui a porté un coup dur à l'économie et aux infrastructures libanaises.

L'Occident et les pays arabes du Golfe persique sont disposés à aider les Libanais. La question est cependant de savoir ce qui va conditionner cette assistance. A la veille de la conférence de Paris, les Etats-Unis et la France ont plus d'une laissé entendre que l'assistance serait subordonnée à l'adoption par le gouvernement libanais d'un programme de réformes. L'opposition, elle, est hostile aux réformes. Et il ne s'agit pas seulement de reproches précis visant le programme gouvernemental, car il y en a assez. Selon le cheikh Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah, l'une des forces de l'opposition, le plan des réformes déterminera l'avenir du Liban pour les années à venir, et on ne peut pas les confier à un gouvernement représentant moins de la moitié du peuple libanais. Autrement dit, personne ne conteste le fait que les Libanais ont besoin d'une assistance extérieure, la question est de savoir qui en bénéficiera.

En prévision de la conférence des donateurs, des médias arabes et occidentaux ont averti à maintes reprises que si la rencontre de Paris est couronnée de succès, il s'agira d'un soutien sérieux apporté au gouvernement de Fouad Siniora. Si l'Occident n'est prêt à débloquer de l'argent qu'à condition que les dirigeants libanais restent les mêmes, en dépendra l'avenir non seulement économique mais aussi politique du pays.

Mais l'opposition ne peut pas le permettre. Il se crée ainsi un cercle vicieux: le Liban ne peut pas exister sans investissements extérieurs, mais il doit accepter en retour une ingérence extérieure dans sa politique intérieure, ce qui finira par déboucher sur la confrontation intercommunautaire.

Ce n'est pas un hasard si le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Alexandre Saltanov, qui dirige la délégation russe à la conférence de Paris, a souligné que sans parvenir à la réconciliation nationale au Liban tout programme adopté par le gouvernement, aussi bon qu'il soit, et toute assistance extérieure risquent de perdre leur sens.

Beaucoup dépendra des déclarations politiques qui seront faites lors de la conférence de Paris. Sera-t-il question de soutenir le cabinet Siniora ou d'aider le Liban en général? Qu'est-ce qui sera mis au premier plan: la recherche d'un compromis ou bien les préférences politiques des pays donateurs? Quoi qu'il en soit, ce qui se passe au Liban et autour du Liban inspire plus la compassion que l'optimisme.

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