Russie-démographie: 10.000 dollars pour le deuxième enfant, mais...

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Par Olga Sobolevskaïa, commentatrice de RIA Novosti
Par Olga Sobolevskaïa, commentatrice de RIA Novosti

3.240 femmes russes ont déjà déposé des demandes de ce que l'on appelle le "capital maternité", une sorte de viatique attribué pour la naissance ou l'adoption d'un deuxième enfant et plus. La loi ad hoc est entrée en vigueur au début de l'année. Le Fonds de pension a rendu public des chiffres intéressants. Pour ce qui est de l'importance de la prime à la naissance du deuxième enfant (250.000 roubles - près de 10.000 dollars - indexés sur l'inflation), la Russie est désormais en tête du hit-parade mondial. Mais cette mobilisation démographique générale décrétée par l'Etat élèvera-t-elle la maternité au rang de "mode"?

Dans leur grande majorité, les nouveau-nés sont de nos jours les enfants de femmes nées dans les années 1980, à l'époque du baby boom en Union soviétique, et aussi de femmes à mi-chemin entre la trentaine et la quarantaine, qui pour des raisons professionnelles ou financières avaient reporté la maternité. Ce sont ces générations qui ont provoqué une poussée "embryonnaire" de natalité. D'après Rosstat (Service fédéral des statistiques), en janvier-novembre 2006 on a enregistré en Russie 1.358.500 naissances, soit 17.100 de plus qu'au cours de la même période de 2005. L'année dernière, 97.000 enfants ont vu le jour à Moscou contre 92.000 l'année précédente et 67.000 cinq ans auparavant.

Seulement maintenant que ces deux générations de mamans particulièrement "actives" ont apporté leur contribution, interrogeons-nous sur ce qui se passera après. Après, c'est quasiment le calme plat.

Les jeunes filles de 18 ans qui atteignent l'âge de la reproduction sont extrêmement peu nombreuses: 3,6 millions. En Russie on recense 12 millions de fille âgées de 0 à 18 ans. Seulement la santé des jeunes filles russes est soit congénitalement précaire, soit elle s'est dégradée au cours des années. Une jeune fille âgée de moins de 18 ans sur deux est atteinte de troubles somatiques et psychiques associés aux pathologies du système reproducteur.

En moyenne, chez les filles l'âge du premier rapport sexuel est de 16 ans. A partir de ce moment, quand ce n'est pas plus tôt, c'est le "mouvement brownien" qui commence: le plus souvent une activité sexuelle désordonnée et déficiente avec pour aboutissement des infections vénériennes et des avortements. Si l'on ajoute à cela les progrès du tabagisme chez les adolescents, le risque de stérilité s'accroît d'autant. En Russie on dénombre déjà six millions de couples inféconds, et la tendance est à la hausse.

Si l'avortement est fréquemment gratuit, pour une insémination artificielle (IA) un couple sans enfant doit y aller de 50 à 60.000 roubles plus 20.000 roubles de médicaments. Pour une IA subventionnée il faut s'inscrire et l'attente est très longue. Mais ce n'est pas là le principal obstacle à une explosion de la natalité.

Le grand problème, c'est que "la famille n'a pas besoin de plusieurs enfants", dit Vladimir Arkhanguelski, du centre d'étude des problèmes de la population de la faculté d'économie de l'Université de Moscou. Dans la conscience collective les délices de la consommation et l'hédonisme ont pris le pas sur les valeurs de la vie familiale et... les enfants en tant que valeur. "Pour la plupart des familles modernes l'existence de plusieurs enfants a désormais moins d'importance que la réussite de la carrière et les loisirs", dit le démographe.

Il faut s'attendre à ce que prochainement la campagne elle aussi prenne l'exemple sur la ville et connaisse une baisse sensible du taux de natalité. Le taux de natalité moyen en Russie est de 1,3 enfant par femme. Pour assurer la simple reproduction de la population il faut un coefficient de 2,15-2,2. Il n'est pas interdit de rêver. Même en Irlande, la championne d'Europe en la matière, on n'enregistre que 2 naissances par femme. En France ce taux est de 1,9. Seulement pour l'Europe un faible taux de natalité n'a rien de tragique: la longévité y est plus élevée, la mortalité plus basse et l'afflux de migrants est plus abondant. Pour le moment la Russie ne dispose pas de ces avantages. Au cours de la période allant de janvier à novembre, 2006, la population russe a régressé de 520.700 habitants.

On a calculé que pour régler les problèmes démographiques de la Russie il faut que chaque famille ait trois enfants. Or, en Russie les familles nombreuses (trois enfants et plus) "se situent habituellement en-dessous du seuil de pauvreté", fait remarquer Alexandra Otchirova, la présidente de la commission de la Chambre civile pour le développement social. "Il faut créer un système de suivi social qui donnerait à ces familles l'assurance que l'enfant pourra survivre et se développer, que la famille sera en mesure de le nourrir, le chausser et l'habiller, de lui donner une instruction et de l'engager dans la vie en pouvant s'assumer entièrement en qualité de citoyen de plein droit", estime-t-elle.

"Un pays appliquant une politique familiale bien pensée consacre 2,5% de son PIB rien que pour le versement des allocations, dit Evgueni Iouriev, l'un des auteurs du Programme national de développement démographique de la Russie. Mais chez nous? Si l'on cumule toutes les dépenses envisagées pour améliorer la situation démographique, y compris le "capital maternité", on arrive à 0,7% du PIB. Il faut des mesures créant au sein des familles un sentiment de stabilité à long terme".

Si des mesures autres que le soutien matériel ne sont pas prises, on n'obtiendra aucun résultat, dit Valeri Tichkov, le directeur de l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie de l'Académie des sciences de Russie. "Une politique globale de la maternité, de l'enfance et de la famille s'impose". Beaucoup de monde est d'accord sur ce point, mais cette politique, on l'attend toujours.

Un rapport récent de l'ONU annonce que d'ici à 2050 la population de la Russie pourrait reculer de 30 millions de personnes. Il n'est pas trop tard pour renverser la vapeur. Mais les femmes russes sont-elles d'accord?

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