La réunification des églises et le risque de récupération politique

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Par Dmitri Choucharine, RIA Novosti
Par Dmitri Choucharine, RIA Novosti

La fête de l'Ascension, célébrée cette année le 17 mai a été marquée par un événement important dans l'histoire de la religion orthodoxe : la signature de l'Acte de communion canonique entre l'Eglise Orthodoxe Russe et l'Eglise Orthodoxe Russe hors-frontières. Comme l'a déclaré le Patriarche Alexis II, cet événement prolonge les Pâques. Dans la cathédrale du Christ-Sauveur où les Portes royales étaient ouvertes, le métropolite Lavr et les prêtres étrangers ont communié dans le même calice que les ecclésiastiques de l'Eglise Orthodoxe Russe.

Cet événement est commenté différemment. On parle, entre autres, des conséquences que peut avoir la signature de l'Acte pour l'organisation de la vie des paroisses de l'Eglise Orthodoxe Russe hors-frontières et de la possibilité de schisme. Dans les années à venir, l'Eglise russe à l'étranger restera "une partie autonome de l'Eglise russe locale", mais on ne sait pas combien de temps durera cette autonomie.

D'autres commentateurs sont plus enclins à évoquer l'Acte de façon pathétique, en employant le mot "historique" et autre lexique emphatique.

Effectivement, c'est un événement historique, c'est pourquoi il implique une évaluation raisonnable. Bien entendu, il inaugure une étape nouvelle dans l'histoire de la religion orthodoxe, mais il ne se réduit pas aux affaires administratives, voire canoniques ecclésiastiques. Dans un sens, on peut parler d'une nouvelle étape de l'histoire de la diaspora russe, de la reconnaissance que non seulement l'Eglise Orthodoxe Russe, mais aussi la Russie actuelle sont un centre d'attraction pour tous ceux qui ont en commun la culture russe et la langue russe. Par conséquent, l'intérêt manifesté par le pouvoir laïque pour la réunification des Eglises est réellement fondé. Nombreux sont ceux qui pensent qu'elle peut être considérée comme un projet présidentiel. Vladimir Poutine y voit, semble-t-il, sa mission historique.

Réconcilier les anciens irréconciliables est une noble tâche pour un chef de l'Etat.

Tout en reconnaissant le droit des prêtres et des fidèles de l'Eglise Orthodoxe Russe hors-frontières à avoir leur propre position sur toutes les questions ecclésiastiques et laïques, il faut reconnaître que l'Eglise russe à l'étranger n'a jamais été l'unique centre de la vie spirituelle de la diaspora russe. Bien plus, la majeure partie de l'héritage théologique et humanitaire de la diaspora russe a été créée par des gens envers lesquels elle était hostile. On connaît également l'engagement politique des Russes résidant à l'étranger, tout d'abord, leur monarchisme. Autrement dit, l'Eglise Orthodoxe Russe hors-frontières ne peut pas représenter tous les Russes de l'étranger et, d'ailleurs, elle n'y a jamais aspiré.

Tout cela fait du rétablissement de la communion canonique un événement significatif. La réunification de la Russie et de la diaspora avait commencé depuis longtemps. A présent, on voit y participer sa frange qui était hostile, même dans les années 90, à l'Eglise Orthodoxe Russe et au pouvoir laïque russe. Ce pouvoir ne doit pas céder aujourd'hui à la tentation de politiser ce processus. Il a accompli sa mission qui peut être appelée comme on le veut: nationale, spirituelle, humanitaire, mais pas politique.

Cependant, il est impossible de faire l'impasse sur la politique. Cela concerne aussi bien notre époque que l'attitude envers l'histoire. Dans la Russie actuelle, certains hommes politiques considèrent le cléricalisme comme une idéologie utile pour diriger le pays. Il s'agit bien du cléricalisme, et non pas de la religion orthodoxe qui ne saurait être considérée comme une idéologie. C'est pourquoi l'héritage politique et culturel de l'Eglise russe à l'étranger leur semble attrayant. Mais, premièrement, considérer l'Eglise comme un instrument politique est absolument inadmissible pour l'Eglise Orthodoxe Russe. Deuxièmement, les prêtres actuels de l'Eglise russe à l'étranger ne seront pas obligatoirement promoteurs des vieilles traditions politiques. Ils reviennent en Russie sans objectifs politiques.

En ce qui concerne l'attitude envers l'héritage historique aussi bien de l'Eglise Orthodoxe Russe que de l'Eglise hors-frontières, elle implique une discussion publique. Le 19 mai, le Patriarche Alexis II et le métropolite Lavr, primat de l'Eglise Orthodoxe Russe hors-frontières, béniront ensemble la cathédrale des Nouveaux martyrs et des confesseurs russes à Boutovo. Il y a trois ans, ils en avaient posé la première pierre. Cet événement sera une réponse aux exigences avancées depuis plusieurs années par l'Eglise Orthodoxe russe à l'étranger à l'Eglise Orthodoxe Russe de condamner les crimes du bolchevisme.

Mais la réunification se produit dans le pays où, en plus du pouvoir, il y a d'autres forces politiques qui sont également enclines à se servir de l'Eglise, notamment de l'Eglise russe à l'étranger, comme d'un instrument. L'Eglise russe à l'étranger doit définir sa position à l'égard d'une partie de son histoire comme la collaboration de certains hiérarques, prêtres et paroissiens avec le régime hitlérien.

Il faut le faire à la lumière des événements qui ont eu lieu à Moscou à la veille du Jour de la Victoire. Les représentants d'une organisation politique bien connue ont jugé opportun de fleurir la plaque commémorative devant l'église de Tous les Saints. Un mémorial aux gardes-blancs y a été érigé depuis longtemps, ce qui ne suscite pas de réactions négatives. La coexistence, dans un pays, de monuments aux participants aux guerres civiles qui se sont combattus réciproquement est, en fait, normale. Il en est de même dans d'autres Etats. Mais la plaque qu'on se proposait d'honorer le 9 mai porte les noms de criminels de guerre, dont certains avaient été exécutés en 1947 et dont la réhabilitation demandée cinquante ans plus tard a été refusée (le gruppenführer von Pannvitz, Krasnov, Chkouro). Elle porte également les noms d'hommes de Vlassov (Andreï Vlassov, général soviétique rallié à Hitler, fondateur de l'Armée de libération de la Russie ou ROA - NDLR) réfugiés en Occident, d'anciens officiers soviétiques passés à l'Allemagne hitlérienne.

Pour empêcher cette commémoration, la plaque a été brisée par un énorme marteau. Cette méthode est contestable, mais la motivation est compréhensible. Cet événement a suscité de vifs débats sur Internet. Les partisans du rétablissement de la plaque commémorant les noms de ceux qui s'étaient particulièrement distingués dans le règlement du "problème serbe", membres du XVe corps de cavalerie SS, en ont parfois appelé au prestige de l'Eglise russe à l'étranger.

Bien entendu, il ne peut être question de responsabilité historique. Mais l'attitude responsable envers sa propre histoire est autre chose, non pas envers l'histoire de l'Eglise Orthodoxe Russe hors-frontières, mais à l'égard de l'histoire nationale. La réconciliation et la réunification des deux parties de l'Eglise Russe se produit dans les conditions où l'aptitude à distinguer le bien et le mal dont parlait l'apôtre Paul ne caractérise pas de nombreux citoyens de la Russie. Sinon, comment expliquer que la plaque commémorative des SS existe depuis 1994 et que sa conservation soit rattachée, on ne sait pourquoi, à la réconciliation nationale?

Tel est le contexte de l'événement qui s'est produit le jour de l'Ascension. Apparemment, il sera interprété différemment. Les tentatives de récupération politique de la réunification sont inévitables, mais cela ne diminuera pas sa signification.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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