Russie-UE: du "partenariat stratégique" vers une alliance stratégique

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Par Sergueï Karaganov, président du conseil de rédaction de la revue La Russie dans la politique globale
Par Sergueï Karaganov, président du conseil de rédaction de la revue La Russie dans la politique globale

A la veille du sommet Russie-UE de Samara, certains officiels de l'Union européenne affirmaient que les relations entre Moscou et Bruxelles étaient au plus bas depuis l'époque de la "guerre froide".

On doit sans doute chercher les raisons de ce pessimisme européen entre les lignes dans des journaux et des déclarations retentissantes. La principale en est la faiblesse de plus en plus évidente de l'Union européenne dans sa politique étrangère malgré son élargissement et peut-être même grâce à celui-ci. Sur ce fond, la croissance de l'influence et du poids international de la Russie depuis ces dernières années est particulièrement éclatante. D'autant plus que la Russie s'est mise enfin à défendre avec fermeté ses intérêts et ses positions.

Lors du sommet de Samara, le président de la Commission européenne (CE), José Manuel Barroso, a déclaré que le "problème polonais était un problème européen, et que les problèmes lituanien et estonien étaient, eux aussi, des problèmes de toute l'Europe". Auparavant, les dirigeants de l'UE préféraient en règle générale se désolidariser, en qualifiant ces problèmes de bilatéraux, à savoir de russo-polonais, de russo-estoniens, etc.. Si l'Union européenne commence effectivement à estimer que les idiosyncrasies et les complexes de ses nouveaux membres doivent également être partagés par la Vieille Europe, il est temps sans doute de présenter des condoléances à l'UE. L'Union Européenne ne fera que compromettre toujours plus ses positions internationales. Somme toute, nos amis et partenaires européens peuvent toujours se revigorer et ne pas reconnaître la réalité. Quoi qu'il en soit, une politique étrangère commune quand Malte, Vilnius, Bucarest ou Varsovie peuvent définir cette politique pour cette simple raison qu'elle doit se former sur la base d'un consensus, ce n'est en fait qu'une forme de suicide politique.

Il est vrai qu'en tentant quelques dizaines d'années durant de pratiquer cette politique commune, elle a effectivement accentué l'impression de solidarité européenne, mais a beaucoup affaibli l'influence de l'Europe dans bien des domaines dans le monde. C'est justement grâce à cette politique que Berlin, Paris ou Madrid sont aujourd'hui beaucoup moins influents qu'il y a 10 ou 15 années.

Il y a un mois, cette perte d'influence a été une nouvelle fois confirmée lors du sommet Etats-Unis-Union européenne. Il est vrai que ce sommet s'est déroulé dans une ambiance apparemment plus chaleureuse que celui de Samara, mais les Américains n'y ont pratiquement fait aucune concession à l'Europe. Soit Washington et Bruxelles ont tout simplement convenu de ne pas s'entendre, soit les Etats-Unis ont imposé à l'Union européenne un accord notoirement inégal, par exemple, dans le domaine de l'aviation civile (les compagnies aériennes américaines ont obtenu le droit de créer des lignes reliant les villes d'Europe, alors que les compagnies européennes n'ont pas reçu le même droit aux Etats-Unis). Bruxelles a accepté d'accorder à tous les Américains l'entrée sans visas dans tous les 27 pays membres de l'Union européenne, alors que l'UE n'a pas obtenu pour les citoyens de ses nouveaux membres le droit d'entrer librement aux Etats-Unis.

La chute de l'influence de l'UE signifie aussi l'affaiblissement de l'impact bénéfique d'une nouvelle culture politique européenne humaine et civilisatrice sur d'autres pays, y compris sur la Russie, sur l'ensemble des relations internationales. Qui prendra effectivement au sérieux les Européens alors que la politique commune de l'Union européenne est de facto dictée par la Pologne des frères Kaczynski qui essayent d'instaurer des interdits professionnels presque vingt ans après la chute du communisme? Ou encore quand cette politique étrangère commune est en fait monopolisée par des provinciaux de Tallinn qui renversent des monuments afin de soulager leurs propres complexes?

On ne s'est entendu ni lors du sommet de Samara ni avant sur le lancement des négociations sur un nouvel accord de partenariat et de coopération Russie-UE, ce qui n'est guère tragique, bien au contraire. En effet, si même par enchantement on avait signé un accord quelconque, il aurait été tout de suite torpillé par les "novices" ou leurs patrons.

Et il en sera ainsi tant que les parties ne se rendront pas bien compte de ce qu'elles veulent justement obtenir avec ce nouvel accord. Quant à Bruxelles, il doit se remettre du choc produit par le fait que la Russie a appris à dire "non" et à défendre les intérêts de ses propres compagnies. L'UE doit commencer à respecter l'attitude de Moscou. Les Vieux Européens doivent "digérer" les Nouveaux et comprendre enfin que l'Europe n'a pas besoin d'une politique étrangère commune, mais d'une politique concertée, car la politique commune ne profite qu'à de petits pays, aux novices avec leurs idiosyncrasies.

L'absence de documents signés n'est pas du tout un défaut du sommet, mais, par contre, un acquis. De tels documents auraient pu être signés seulement à des conditions proclamées d'avance haut et fort à Bruxelles. Il est évident que certains ont tenté de poser des ultimatums lors du sommet de Samara. Je pense que désormais les parties manifesteront plus de respect l'une envers l'autre. Le dialogue, la solution des questions concrètes d'intérêt commun (on en a d'ailleurs réglé bon nombre au cours du sommet) doivent être poursuivis. Néanmoins, une pause est nécessaire pour comprendre le nouveau rapport de forces.

Tant Moscou que les autres capitales européennes doivent enfin se rendre compte de l'existence d'intérêts qui peuvent unir les uns et les autres. Il se peut qu'il convienne d'abandonner le terme creux, bien que politiquement correct, de "partenariat stratégique".

On évoquera parmi des intérêts communs l'affaiblissement à moyenne terme des positions mondiales de l'Union européenne et l'affaiblissement dans 5 à 6 ans des positions de la Russie si les deux parties ne se décident pas enfin à former une alliance stratégique au lieu du fameux "partenariat stratégique". Au début, une telle alliance pourrait s'articuler sur la base d'une union énergétique, y compris par le biais d'un échange d'actifs. La Russie pourrait, par exemple, comme il a été proposé, céder une part dans la production, et l'Europe - dans la répartition de l'énergie.

Mais tant que les parties ne sont pas prêtes à former une telle alliance, il faut oeuvrer à ce que la "tragédie de l'échec" que les médias montent en épingle impulse une nouvelle dimension des relations entre les deux parties du vieux continent, qu'elle constitue la base d'un nouvel optimisme.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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