En Russie, Nicolas Sarkozy devra changer de rhétorique...

S'abonner
Dans son premier grand discours de politique étrangère prononcé récemment à Paris, le président français a jugé opportun de mettre en garde la Russie contre l'instrumentalisation "brutale" de ses ressources naturelles.
Par Ioulia Petrovskaïa

Dans son premier grand discours de politique étrangère prononcé récemment à Paris, le président français Nicolas Sarkozy a jugé opportun de mettre en garde la Russie contre l'instrumentalisation "brutale" de ses ressources naturelles. Il est vrai que le passage concernant la Russie n'était pas le point clé de ce discours, mais il n'en reste pas moins qu'il provoquera sans doute à Moscou un intérêt particulier, d'autant plus que le président de la République Française est attendu en visite en septembre prochain. M. Sarkozy estime notamment que la Russie cherche aujourd'hui à devenir de plus en plus dominante, alors que le monde, et l'Europe en particulier, espèrent d'elle une contribution importante et positive au règlement des problèmes de notre temps. Il est significatif que le président français n'ait pas cité la Russie parmi les pays possédant le plus puissant potentiel économique, en se limitant à citer dans cette liste la Chine, l'Inde et le Brésil.

On ne comprend pas tout à fait qui forme aujourd'hui les vues de M. Sarkozy sur la Russie. Quoi qu'il en soit, le style anglo-américain transparaît nettement dans les propos du président français. Il est évident que Nicolas Sarkozy n'a pas égalé le discours prononcé par Dick Cheney à Vilnius (en mai 2006). Néanmoins, sur le chapitre de l'énergie, les points de vue du leader des néoconservateurs américains et du gaulliste ont coïncidé. Rappelons que M. Cheney avait notamment déclaré à l'époque: "Il n'est pas de cause légitime justifiant l'utilisation du gaz et du pétrole comme instruments de manipulation et de chantage, on constate cependant la manipulation des livraisons de ces ressources énergétiques ou des tentatives de les monopoliser". N'oublions pas, non plus, que ces propos tenus par M. Cheney et interprétés par beaucoup comme les attaques les plus brutales contre la Russie depuis l'époque de la "guerre froide" ont été atténuées quelque peu par la suite par des gestes d'amitié du président des Etats-Unis, George W. Bush, à l'adresse du président russe Vladimir Poutine. Somme toute, il existe en Amérique une sorte de répartition des rôles: Cheney attaque, alors Bush se montre magnanime. Tout porte à croire que le président français ne refusera pas de jouer les deux rôles à la fois.

Or, lors de sa future visite en Russie, Nicolas Sarkozy devra sans doute changer de rhétorique. Tout d'abord, parce que c'est une pratique courante: quand on est invité on ne critique pas trop, en règle générale, son partenaire, du moins, on ne l'accuse pas de brutalité et de chantage énergétique. Ensuite, M. Sarkozy se positionne en pragmatique, ce qui signifie que les avantages économiques doivent prévaloir. Ainsi, le président français devra se souvenir des intérêts de Total si, pour une raison ou une autre, il les a oubliés lors de la rédaction du passage russe de son discours de politique étrangère. Il n'y a pas longtemps, en effet, Gazprom et Total ont signé un contrat accordant à cette société française 25% des actions de l'opérateur de la première phase de la mise en valeur du gisement géant de gaz de Chtokman, situé en mer de Barents. (Total envisage d'y investir près de 5 milliards de dollars dans les cinq années à venir). Autrement dit, Moscou ne se montre pas toujours brutal et avec tout le monde quand il s'agit de l'énergie.

Un refroidissement est-il réservé aux relations entre la Russie et la France? Beaucoup se hâtent de répondre par l'affirmative, se référant aux sympathies manifestes de Nicolas Sarkozy pour l'Amérique. Toujours est-il que les premières démarches politiques extérieures du nouveau locataire de l'Elysée montrent qu'il prend ses distances vis-à-vis de l'héritage de Jacques Chirac en politique étrangère. Des exemples ne manquent pas, qu'il s'agisse de la récente visite de M. Sarkozy chez Bush pendant les vacances et de ses déclarations sur "une nouvelle ère dans les relations américano-françaises"; de l'envoi express en Irak du ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, porteur d'une proposition d'aide à l'établissement du dialogue politique dans le pays; des pressions de plus en plus puissantes sur l'Iran ou d'autres choses encore. Pourtant, il n'est pas du tout obligatoire que la Russie, pour laquelle Jacques Chirac a toujours éprouvé une grande sympathie, se retrouve sur la liste des corrections à apporter. Et si cela se produit tout de même, ce n'est pas seulement à Paris qu'il faudra en chercher l'explication.

Comme m'a fait remarquer Thomas Gomart qui dirige le Centre Russie-CEI (Communauté des Etats indépendants) à l'Institut français des relations internationales (IFRI), "on observe aujourd'hui une sérieuse contradiction dans l'approche de Paris". "D'une part, la Russie reste toujours un partenaire historiquement proche et à long terme, de l'autre, elle est de plus en plus considérée comme une menace, et avant tout dans la sphère énergétique, et ce, bien que M. Sarkozy ait béni lui-même personnellement la transaction Gazprom-Total", a dit l'expert. Et d'ajouter que l'élite française suit avec une angoisse croissante l'évolution intérieure de la Russie. Paris n'exclut pas du tout qu'après le départ de Vladimir Poutine la politique extérieure de Moscou connaisse des changements.

Le rédacteur en chef du bulletin d'information stratégique TTU (très très urgent), Arnaud Kalika, fait remarquer, pour sa part, que très souvent les propos tenus par Nicolas Sarkozy sont emprunts d'émotivité. La brusquerie est typique de ses discours, mais ses paroles ne se transforment pas toujours en actes. Ainsi, Nicolas Sarkozy avait promis de nettoyer les banlieues (parisiennes) au Karcher, mais rien de tel ne s'est produit en réalité, a rappelé Arnaud Kalika. "M. Sarkozy aime provoquer une réaction qui lui permette par la suite d'adopter une décision. Il se peut toujours que ses propos sur la Russie poursuivent le même objectif", suppose le rédacteur en chef du TTU. Quoi qu'il en soit, estime l'expert, les propos du locataire de l'Elysée ne pourront certes pas compromettre l'ambiance du futur sommet franco-russe. Et de bonnes relations peuvent s'établir entre Vladimir Poutine et Nicolas Sarkozy.

Ioulia Petrovskaïa dirige le département de la politique internationale à Nezavissimaïa gazeta

(Publié dans la Nezavissimaïa gazeta du 29 août 2007).

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала