Le talon d'Achille du radar de Gabala

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Par Raouf Radjabov, expert militaire azerbaïdjanais, pour RIA Novosti
Raouf Radjabov, expert militaire azerbaïdjanais, pour RIA Novosti

Au début du mois de septembre 2007, la République d'Azerbaïdjan, les Etats-Unis et la Fédération de Russie se retrouveront à Bakou pour des consultations ayant trait à l'utilisation conjointe du radar de Gabala. Rappelons que, dans le cadre du sommet du G8, le président Poutine avait proposé aux Etats-Unis, le 7 juin, d'utiliser en commun le radar de Gabala situé en Azerbaïdjan, mais à une condition : que Washington renonce à déployer des éléments ABM en Europe. Si George Bush a évoqué la logique de la proposition émise par Vladimir Poutine, la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a déclaré que Washington n'abandonnerait pas son projet d'ABM en Pologne et en République tchèque. De récents événements ont esquissé et mis en lumière les véritables intentions des deux pays.

La menace iranienne semble illusoire à certains hommes d'Etat et experts (dont des Russes). En est-il vraiment ainsi ? Au milieu de l'année, la République islamique d'Iran et la Corée du Nord sont parvenues à un accord et Pyongyang fournira à l'Iran, d'ici à la fin de l'année, plusieurs dizaines de missiles balistiques Taepo-dong-2, d'une portée de 4 000 km. Le régime clérical iranien ne possède pas aujourd'hui de missiles balistiques capables d'atteindre l'Europe. Mais une fois livrés les Taepo-dong-2, l'odieux régime de Mahmoud Ahmadinejad en aura à sa disposition. Des Taepo-dong-2 pourraient donc être tirés du territoire iranien et frapper l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne ou d'autres pays européens. C'est bien pourquoi ces pays (à l'exception de l'Autriche) ont exprimé leur soutien total aux projets américains. En plus des missiles Taepo-dong-2, on a de sérieuses raisons de penser que la Corée du Nord livrera à l'Iran, d'ici à 2013, les missiles balistiques d'une portée de 11 000 km qu'elle aura fini de mettre au point. Le régime imprévisible de Téhéran sera alors techniquement en mesure de lancer une attaque de missiles contre le territoire des Etats-Unis. Or le système ABM, que les Etats-Unis prévoient de déployer en Pologne et en République tchèque d'ici à 2013, est capable de contrer une hypothétique attaque iranienne. Toutes les assurances données par le président iranien ne visent qu'à gagner du temps en vue de fabriquer l'arme nucléaire.

Aux Etats-Unis comme en Russie, la menace iranienne est également affectée du signe moins. Parmi les quatre fléaux du monde contemporain (le chantage nucléaire, le terrorisme international, le séparatisme ethnique et l'extrémisme religieux), la menace d'une guerre nucléaire locale et du terrorisme international incitent Washington et Moscou à déployer leurs propres systèmes ABM. C'est dans ce contexte précisément qu'il faut examiner tous les événements qui ont lieu depuis deux ans et ceux qui ne manqueront pas de se produire.

La réponse asymétrique du Kremlin au déploiement, par les Américains, d'éléments ABM en Europe doit être examinée à travers le prisme de la mise au point, par la Russie, du système GLONASS et de la construction des nouveaux radars Voronej. La création d'un système de navigation par satellite proprement russe ne poursuit pas que des visées pacifiques. Les satellites militaires forment un champ de navigation ininterrompu permettant de calculer précisément les coordonnées de n'importe quel point sur terre, sur mer ou dans les airs. Aucune arme de haute précision ne peut se passer de la navigation par satellite. La navigation ininterrompue couvrant tout le Globe terrestre est confiée à un groupe orbital de 24 satellites, dont la mise en service doit être achevée pour la fin de l'année 2009. A l'heure actuelle, la Russie dispose de 18 satellites, ce qui est insuffisant pour couvrir entièrement la surface du Globe.

Ces derniers jours ont été marqués par des débats animés, suscités par la déclaration d'un fonctionnaire russe évoquant le désir de Moscou de renoncer à l'exploitation du radar de Gabala en 2012, date à laquelle expire le contrat de location du radar. Le bail signé entre Bakou et Moscou l'autorise, ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Le radar de Gabala est une station relevant du système de pré alerte d'une attaque de missiles, mais absolument pas un radar de diapason X servant à guider des missiles intercepteurs basés au sol GBI (Ground Based Interceptor), comme celui que les Américains ont l'intention de déployer en République tchèque en tant qu'élément du système ABM. Le talon d'Achille de ce radar, c'est qu'il est situé assez près des régions d'où pourraient être tirés des missiles iraniens ou autres. Voyez ce qui se passe au Pakistan. Il ne fait aucun doute que les extrémistes religieux se ruent sur le pouvoir à Islamabad et que le président Musharraf ne contrôle pas tout le territoire. Or le Pakistan possède l'arme nucléaire, dans quelles mains est-elle susceptible de tomber après le départ de Musharraf ?!

Le radar de Gabala suit le lancement des missiles et le segment actif de leur vol. Mais il ne "voit pas" la totalité ou presque du segment intermédiaire de la trajectoire de vol des ogives, son champ de vision étant orienté au sud et non au nord. Alors que les intercepteurs américains GBI sont conçus pour intercepter des cibles exclusivement au-delà de l'atmosphère terrestre.

Moscou est parfaitement conscient de tout cela. C'est pourquoi je ne vois là aucun problème particulier, contrairement à certains fonctionnaires ou experts. Dès que le radar du système Voronej aura été construit dans les environs d'Armavir, la location du radar de Gabala cessera d'être une nécessité.

Le radar Voronej fait partie du système global de pré alerte en cas de tirs de missiles qui, depuis décembre 2006, fonctionne en régime opérationnel expérimental à proximité de Lekhtoussi, dans la région de Leningrad. Le radar Voronej est un radar de nouvelle génération, dont presque toutes les caractéristiques surpassent celles des stations analogues étrangères. Sa construction est de type modulaire avec un haut degré de finition, ce qui permet de le monter très rapidement sur les axes potentiellement les plus menacés par les missiles. Le système Voronej est appelé à remplacer les radars anciens de type Dniepr ou Darial. En plus de la station de pré alerte actuellement en construction dans le secteur d'Armavir, trois autres radars Voronej seront prochainement déployés à l'est et au nord de la Russie. Le coût de ces nouveaux radars est de l'ordre de 2 milliards de roubles chacun (20 milliards pour la construction du radar de Gabala relevant du système Darial).

Ajoutons, à ce sujet, que la présence de Washington en Azerbaïdjan ne se limite pas au seul radar de Gabala. Il y a déjà plusieurs années, les Américains ont déployé aux environs de Khyzy et d'Astara deux radars aériens mobiles TRML-3D destinés à surveiller le territoire iranien, à l'"éclairer" sur 300 km en régime de défense antiaérienne et antimissile.

Il me semble que, lors des prochaines consultations tripartites, il sera important d'examiner, en plus de la question de l'utilisation conjointe du radar de Gabala, des problèmes tels que la menace nucléaire iranienne, les projets à longue vue du terrorisme international et de l'extrémisme religieux.

(Raouf Radjabov, rédacteur en chef de l'Agence d'analyse et d'information 3rd View, Azerbaïdjan)

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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