L'erreur des frères Kaczynski

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Par Elena Chesternina, RIA Novosti
Par Elena Chesternina, RIA Novosti

Plus de duo fraternel au pouvoir en Pologne. Le parti Droit et Justice (PiS) du premier ministre Jaroslaw Kaczynski a perdu les élections législatives de dimanche dernier pour passer dans l'opposition. Tout porte à croire que la direction du gouvernement sera confiée au vieil adversaire des deux frères, le leader de Plateforme civique (PO) Donald Tusk, battu par le second jumeau Lech Kaczynski à l'élection présidentielle d'il y a deux ans.

En 2005, quand tous les sondages tablaient sur la victoire de Donald Tusk, sa défaite au second tour de l'élection présidentielle a créé une surprise. Les analystes expliquaient son échec par des raisons assez prosaïques: les Polonais n'osaient pas reconnaître, même dans les sondages, qu'ils allaient soutenir un nationaliste qui comptait parmi ses ennemis la moitié du monde, de l'Union européenne à la Russie. D'où l'extrême prudence dans les pronostics précédant les élections législatives de dimanche dernier.

A nouveau, d'ailleurs, les prévisions ne se sont pas confirmées. A la veille du scrutin, les experts tablaient sur un écart de 5% entre le PO et le PiS, mais le fossé a atteint 10%. L'Alliance de centre-gauche (LiD) de l'ex-président polonais Aleksander Kwasniewski (qui pourrait coaliser avec Donald Tusk et entrer dans le gouvernement) est arrivée en troisième position, suivi du Parti paysan polonais (PSL), qui n'exclut pas non plus de venir renforcer la future coalition au pouvoir.

Les raisons qui expliquent la défaite cinglante de Jaroslaw Kaczynski sont nombreuses. Une de ces raisons réside dans le taux de participation inouï qui a failli atteindre 55%, le plus élevé depuis 1989. Il semble que les Polonais, surtout la jeune génération, en ait assez de la rhétorique nationaliste du premier ministre sortant qui, au rythme où allaient les choses, aurait pu conduire le pays à l'isolement politique total.

Quand M. Kaczynski critiquait la Russie, les électeurs semblaient n'avoir rien contre. Après tout, il faut bien le dire, Moscou ne compte pas beaucoup de sympathisants en Pologne. Toutefois, même dans la "question russe", le premier ministre poussait le bouchon un peu loin. Il suffit de rappeler la fermeture de l'exposition russe à Auschwitz ou les critiques formulées contre Aleksander Kwasniewski qui s'est rendu à Moscou à l'occasion du 60e anniversaire de la victoire sur le nazisme, ou encore les appels invitant les autorités russes à se repentir de tout, de "l'occupation" soviétique au partage de la Rzeczpospolita.

Mais les frères Kaczynski ne se limitaient pas à la recherche de la "justice historique" (dans leur version) et n'en finissaient pas de jeter des bâtons dans les roues des pourparlers entre l'Union européenne et la Russie. Révoltée par l'embargo russe sur sa viande, la Pologne a été le seul pays à bloquer l'ouverture des négociations sur un accord stratégique avec Moscou. Au sujet du déploiement du bouclier antimissile américain, elle a refusé tout compromis. A quelques jours des élections, Jaroslaw Kaczynski était sincère au point de déclarer ouvertement que le bouclier antimissile américain visait à protéger la Pologne contre des missiles russes, et non iraniens. En laissant comprendre, sans ambiguïté, qu'il considérait la Russie comme le premier ennemi de Varsovie.

Mais la rhétorique antirusse n'est pas la plus grande erreur des frères Kaczynski. En cherchant à bâtir, selon leurs propres termes, "une quatrième Rzeczpospolita", ils comptaient parmi leurs ennemis l'Europe entière. A l'Ouest, ils menaçaient sans arrêt de bloquer les principaux accords au sein de l'Union européenne. Lors d'un sommet des Vingt-Sept, pendant la présidence allemande, la chancelière Angela Merkel a passé une nuit blanche à tenter de convaincre la Pologne de signer le projet de Constitution européenne. La semaine dernière, le sommet de Lisbonne a également failli échouer, pour la même raison: la Pologne, en exigeant des conditions privilégiées, a une nouvelle fois déclaré qu'elle ne signerait pas.

Jaroslaw Kaczynski ne cachait pas son hostilité envers l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Varsovie a même refusé d'inviter des observateurs de l'OSCE pour superviser les élections sous prétexte qu'un scrutin devait avoir lieu le même jour qu'en Suisse. Il laissait ainsi entendre que la démocratie suisse aurait besoin d'une meilleure protection que la démocratie polonaise. Finalement, le litige a été réglé: le jour des élections, on trouvait à Varsovie non seulement des représentants de l'OSCE, mais aussi le président de la Commission électorale centrale russe, Vladimir Tchourov, quoiqu'il ne fît pas partie de la mission d'observation officielle.

Tout porte à croire que Donald Tusk, que les frères Kaczynski ont plus d'une fois accusé de financer son parti avec des fonds allemands, fera preuve de davantage de modestie aux sommets européens. Et il n'obligera certainement pas les autres vingt-six dirigeants européens à tenir leurs assises jusque tard dans la nuit. En outre, il est peu probable que M. Tusk puisse se permettre des démarches aussi violentes à l'égard de la Russie. Mais n'oublions pas que, jusqu'à l'élection présidentielle de 2010, Moscou aura affaire à l'autre frère jumeau, Lech Kaczynski, qui conservera la présidence. Et on ne sait pas qui l'emportera dans la politique étrangère: le président ou le chef du cabinet? Une chose est sûre: Donald Tusk essaiera de mettre fin à la politique proaméricaine de Varsovie. Premièrement, il a déjà déclaré que le contingent polonais quitterait l'Irak au début de 2008. Deuxièmement, la position de Varsovie ne tardera pas à s'assouplir dans les négociations au sujet du bouclier antimissile américain. Naturellement, le nouveau chef du cabinet ne pourra pas renoncer complètement à cette idée, mais il a promis de tenir compte avant tout des intérêts polonais. Dans cette situation tendue, M. Tusk doit être prêt à davantage de compromis avec Moscou. A condition que les Russes y soient disposés, eux aussi...

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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