Porte-avions: la marine russe entre ambition et réalité

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Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti
Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

On peut dire sans crainte d'exagérer que cette année est celle de l'aviation russe de combat. Aussi bien en juillet au Bourget, en France, qu'en août à Joukovski, aux environs de Moscou, de nombreux spectateurs ont observé, le coeur serré, le pilotage fantastique des MiG et des Su dotés de moteurs à poussée vectorielle orientable. Effectivement, il y a de quoi être fier. Mais il s'agissait d'avions à stationnement terrestre. Cependant, de nos jours, l'efficacité des forces aériennes est déterminée, pour beaucoup, par l'aviation embarquée à bord des porte-avions.

Il existe une nouvelle version de MiG: le MiG-29KUB (sigle russe pour "avion d'entraînement et de combat de l'aéronavale"). Mais, aux termes d'un contrat, cet avion est destiné aux futurs porte-avions indiens de type Air Defense Ship.

Il est impossible d'affirmer que la Russie ne comprend pas le rôle des porte-avions et de la flotte dans son ensemble dans les actions militaires contemporaines. Dans le monde actuel si imprévisible, l'apparition devant le littoral d'un "point chaud" d'un puissant navire cumulant trois types de forces armées est capable de dissuader un agresseur potentiel.

Par conséquent, il n'est pas étonnant que l'amiral Vladimir Massorine, commandant en chef de la Flotte nationale, ait annoncé au milieu de cette année les plans de réforme de la Marine de guerre russe prévoyant la création d'une puissante flotte océanique disposant du deuxième groupement d'aviation embarquée au monde. Plus précisément, il est prévu de créer au cours des 20 prochaines années six groupes de porte-aéronefs de frappe, ce qui portera la Russie à la deuxième place après les Etats-Unis pour la puissance de toute la flotte de surface.

Notons que le porte-avions, navire redoutable, exige un appui considérable. La pratique mondiale, dans laquelle les Etats-Unis jouent un rôle de premier ordre, implique que les actions des porte-avions s'effectuent au sein d'un groupe de porte-aéronefs de frappe. Ce groupe comprend, en plus du géant polyvalent, 6 bâtiments d'escorte, dont un ou deux croiseurs lanceurs de missiles guidés, un destroyer porteur de missiles guidés et deux à trois destroyers ou frégates de défense anti-sous-marine. Certes, il n'est pas indispensable de suivre les critères des Etats-Unis, mais, pour l'instant, rien n'indique que la qualité et le nombre de leurs groupes de porte-aéronefs de frappe ne correspondent pas aux objectifs fixés ou qu'ils ont besoin de changements substantiels.

Bref, la Russie doit créer six groupes de porte-aéronefs de frappe en 20 ans...

Un point organisationnel et philosophique mérite attention. Selon une information publiée au début de 2004, c'est-à-dire tout récemment, le ministère russe de la Défense avait élaboré un plan de développement de la Marine de guerre pour une période allant jusqu'à 2040-2050. Les thèses principales de ce plan ne prévoyaient pas la défense des intérêts du pays dans les océans et accordaient la priorité aux bâtiments de petites tailles agissant dans les limites d'une zone de 500 km des eaux territoriales du pays (au sens large).

"Nous abandonnons les navires de grandes tailles hérités de l'époque soviétique et nous passons aux navires polyvalents", avait déclaré l'amiral Vladimir Kouroïedov, alors commandant en chef de la Marine de guerre. "La Russie aura ses propres frégates et corvettes n'ayant pas d'analogues dans le monde", avait-il ajouté. Le commandant en chef estimait que la question des porte-avions était à remettre à la prochaine décennie et qu'il était par conséquent prématuré de parler de cette composante de la flotte. Seul le porte-avions russe Admiral Kouznetsov (porte-aéronefs lourd, selon la terminologie russe) devait rester en activité, et ne serait ni vendu, ni retiré du service, avait assuré Vladimir Kouroïedov.

Le triste sort du Kouznetsov sera mentionné un peu plus loin. Il convient d'indiquer tout d'abord que ces programmes déterminant le sort de la flotte russe élaborés à deux ans d'intervalle s'excluent l'un l'autre du point de vue conceptuel. Ils n'ont en commun que les expressions grandiloquentes du type "n'ayant pas d'analogues" ou "deuxième par son importance".

La Russie a-t-elle des raisons de prévoir la construction d'une telle quantité de porte-avions au cours des 20 prochaines années?

Pour cela, les chantiers navals russes doivent mettre à l'eau un porte-avions tous les trois ans et quatre mois. Citons à titre de comparaison: entre 1981 et 2003, c'est-à-dire en 22 ans, les Américains ont créé six porte-avions. Mais le dernier d'entre eux, l'USS Ronald Reagan, bien que construit à une vitesse fantastique, environ 30 mois, et mis à l'eau à la mi-2003, n'a été remis à la flotte qu'en janvier de l'année dernière. Les essais à la mer et autres ont pris environ trois ans.

Autrement dit, le Pentagone a eu besoin d'un quart de siècle pour mettre en place ce que la Russie a l'intention de construire en 20 ans. Mais les Américains ne manquaient de rien: en plus d'un potentiel jamais atteint en matière de construction de navires de guerre, ils avaient de l'argent, des armements, des effectifs navigants et des groupes d'aviation, sans parler de l'appui logistique nécessaire.

Il en est autrement en Russie. Et c'est l'argent qui constitue le problème principal. L'expérience prouve que le coût de la construction d'un porte-avions moderne à propulsion nucléaire (autrement, ce système d'armes global perd son sens) est d'environ 4 milliards de dollars, et les frais mensuels pour son entretien (sans compter les salaires du personnel) atteignent plus de 10 millions de dollars.

S'appuyant sur les informations floues dont on dispose sur le budget militaire russe, on constate que, pour un financement actuel du ministère de la Défense à environ 35 milliards de dollars par an actuellement et une commande militaire dépassant les 12 milliards de dollars, la Russie devra dépenser plus d'un milliard de dollars par an rien que pour la construction. Les autres armées manqueront donc probablement d'un milliard de dollars.

Et cela en se fondant sur des conditions idéales irréalistes, où les cadences des travaux sont respectées à la minute près et en l'absence d'inflation. Mais le budget militaire n'est pas extensible et ne peut pas grossir à la vitesse d'une vedette lance-torpilles.

Ensuite, il faudra construire les navires suivants, tout en continuant à entretenir et exploiter ceux qui sont déjà construits. Et s'il faut les construire tous en même temps, les calculs seront encore bien plus imposants.

Un navire construit doit être doté, en premier lieu, d'avions. La Russie devra concurrencer des navires qui portent environ 90 avions. Le chasseur russe embarqué Su-33 a été construit sur la base d'une modification du chasseur Su-27, dont la conception avait été lancée à la fin des années 60 pour les troupes de DCA. Début 2002, seuls 24 avions de ce type avaient été construits. On ne dispose d'aucun renseignement concret sur l'accroissement de la production ou la conception de nouveaux modèles d'avions embarqués.

Le premier vol à partir du pont de l'Admiral Kouznetsov a eu lieu en 1995. Mis à l'eau en 1989, ce navire a subi de multiples réparations. En 2003, il a failli couler lors d'essais en mer. Après plusieurs pannes du moteur et incendies, l'état du navire est critique.

Pour compléter le tableau, on peut citer un communiqué du Centre d'analyse des stratégies et des technologies, selon lequel la Russie ne comptait en 2004 que 12 pilotes de l'aviation embarquée. Il convient de citer, à titre de comparaison, que le groupe aérien du "concurrent" compte 3.000 pilotes d'élite triés sur le volet.

De plus, même si tous les navires sont construits, armés et équipés, la Russie ne possède pas de bases équipées pour approvisionner et réparer ne serait-ce qu'un seul groupe de porte-aéronefs. Sur les 4 flottes russes, seules la Flotte du Nord et celle du Pacifique conviennent pour les porte-avions.

Qui plus est, aucun nouveau dépôt, aucune base flottante et aucun quai fixe n'ont été mis en service depuis 1993 dans la Flotte du Nord à défaut de financement suffisant. En comparaison avec les chantiers navals géants qui construisent de nouveaux navires, les usines de réparation sont dans un état déplorable. Cependant, parmi tous les problèmes actuels concernant le maintien de la capacité défensive et opérationnelle de la Flotte du Nord, la réparation des navires est le problème le plus douloureux, d'ailleurs, elle concerne la Marine de guerre dans son ensemble. La réparation des navires est actuellement financée seulement à hauteur de 6% de ce qu'il faudrait pour une exploitation normale de la flotte. Plus de 200 navires de combat, sous-marins et bâtiments auxiliaires ont besoin de réparations rien que dans la Flotte du Nord, alors que moins de 10% d'entre eux ont été réparés ces dernières années.

L'Inde s'apprête quant à elle à mettre à l'eau vers 2012, sans aucune idée de compétition, son premier porte-avions d'un déplacement de 40.000 tonnes, et prévoit de le doter d'avions... russes.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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