Pétrole: le cap des 100 dollars est-il seulement psychologique?

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Par Oleg Mitiaïev, RIA Novosti
Par Oleg Mitiaïev, RIA Novosti

Vendredi 23 novembre, le cours du pétrole (WTI, West Texas Intermediate) sur le marché mondial a oscillé entre 96 et 97 dollars le baril. Après avoir atteint le 21 novembre 99,29 dollars, le seuil psychologique des 100 dollars le baril d'or noir, jadis inconcevable, semblait devoir être atteint dans la semaine. Mais les spéculateurs de contrats pétroliers à terme ont encore suffisamment de ressource pour dépasser prochainement cette barre significative.

Ils seront aidés en cela par le dollar qui ne cesse de baisser, car, comme chacun le sait, les contrats pétroliers sont facturés en dollars. Le 23 novembre, le dollar a établi un nouveau minimum absolu face à la monnaie européenne: un euro valait 1,4967 dollar. Selon les analystes spécialisés dans le marché des changes, ce phénomène est loin de toucher à sa fin. Certains d'entre eux affirment que vers la fin du premier trimestre 2008, le billet vert chutera jusqu'à 1,57 dollar pour un euro.

Par conséquent, la hausse incessante du cours du pétrole correspond, pour beaucoup, à un accroissement nominal des prix, et non pas uniquement à une tendance réelle. Rien que cette année, la monnaie américaine a cédé 13% face à l'euro, et depuis 2002 (lorsque les prix du pétrole ont commencé à sortir de leur ancien diapason de 15 à 20 dollars le baril), le dollar a baissé de 40%. Bref, rien que la dévaluation du dollar enregistrée ces dernières années a fait monter les prix du pétrole de 10 à 12%.

Bien entendu, la hausse vertigineuse du prix du pétrole enregistrée ces cinq dernières années est la conséquence principale de la croissance stable de l'économie mondiale et, par conséquent, de l'accroissement de la demande de ressources énergétiques. Il faut noter que les pays producteurs de pétrole avec leur tête l'OPEP, cartel pétrolier international qui contrôle 40% de l'extraction mondiale, font tout leur possible afin de ne pas encombrer les marchés mondiaux d'excédents de brut. La production mondiale augmente de façon stable, mais à des cadences très modérées de 1,5 à 2% par an. Il est significatif que la Russie qui occupe la deuxième place au monde pour l'extraction et l'exportation de pétrole après l'Arabie Saoudite, leader de l'OPEP, mais qui, à la différence de celle-ci, n'est pas liée par des promesses données au cartel, ait également réduit considérablement les taux d'accroissement de sa production pétrolière: jusqu'à 2,2-2,4% par an, contre 6 à 11% au cours des cinq années précédentes.

L'extrême tension observée sur les marchés pétroliers mondiaux s'explique par le fait que, malgré une offre suffisante, 15% de l'extraction (et environ 30% des réserves) sont à mettre à l'actif de pays aux régimes politiques instables ou imprévisibles du point de vue des consommateurs: l'Iran, l'Irak, le Nigéria et le Venezuela. C'est le risque d'une cessation subite des livraisons en provenance de ces régions qui fait grimper les prix.

D'ailleurs, les pays producteurs de pétrole, y compris la Russie, y gagnent. Les cours élevés du brut permettent, depuis plusieurs années, de maintenir le budget de l'Etat russe dans une position excédentaire et d'augmenter les dépenses publiques. L'arrivée de pétrodollars dans le pays a considérablement accru la demande des consommateurs, ce qui a assuré des taux de croissance économique élevés et stables (5 à 7% par an) ces sept dernières années. Toujours grâce au prix du pétrole, la Russie a occupé la troisième place, après la Chine et le Japon, pour le volume des réserves de change (455 milliards de dollars).

En outre, la Russie emploie un procédé spécifique, selon lequel les taxes à l'exportation et l'impôt sur l'extraction des minéraux utiles sont directement rattachés aux prix du pétrole. Si le prix du pétrole exporté dépasse 27 dollars le baril, environ 90% des recettes provenant de la hausse des cours sont versées au Fonds de stabilisation spécialement créé pour cela. D'ailleurs, en 2004, ce fonds a été institué en tant que réserve pour les "mauvais jours", en prévision d'une baisse des prix du pétrole. Mais, puisqu'ils ont continué à monter, à partir de 2005, l'argent du Fonds de stabilisation a été partiellement dépensé pour le remboursement anticipé de la dette extérieure et le financement du Fonds des retraites. Malgré ces dépenses, la hausse de 60% des prix du pétrole en 2007 a porté le montant du Fonds de stabilisation à 147 milliards de dollars, ce qui a permis dès cette année d'y prélever 12 milliards de dollars pour financer les institutions russes de développement. (10 milliards de dollars leur avaient déjà été affectés dans le cadre du budget).

Cependant, l'afflux de pétrodollars ne conduit pas seulement à l'accroissement des revenus et du PIB. Le pétrole cher va également de pair avec une vie chère dans les pays producteurs de pétrole. Les pétrodollars qui ont afflué en Russie avec les investissements entraînent l'accroissement permanent de la masse monétaire. Il n'est donc pas étonnant que le gouvernement russe et la Banque centrale n'aient pas réussi en 2007 à maintenir l'inflation dans les limites de 8,5%, comme ils l'avaient promis avant le début de cette année. (D'après les estimations les plus modestes, en 2007, la hausse des prix sera d'environ 11%).

Qui plus est, l'afflux de monnaie américaine ajouté à la chute du dollar sur les marchés mondiaux a entraîné le renforcement substantiel du cours du rouble qui a atteint un niveau inédit depuis 1999 (au 24 novembre, 24,32 roubles pour un dollar). En fin de compte, cela s'est répercuté négativement sur la compétitivité des produits nationaux et a réduit les taux de croissance de l'économie russe ces trois derniers mois. Si, à la mi-2007, de nombreux économistes prévoyaient avec assurance pour cette année un accroissement du PIB de 8%, à présent, ils s'accordent plutôt sur un chiffre de 7%.

Les pétroliers russes continuent à se plaindre (bien que l'augmentation des salaires des cadres supérieurs dépasse dans ce secteur tous les plafonds imaginables). Si, à la fin des années 1990, lorsque les prix du pétrole étaient de 9 à 12 dollars le baril, ils jugeaient impossible d'effectuer des investissements grandioses à cause des recettes insignifiantes, à présent, ils indiquent que l'Etat leur enlève 70% de leurs revenus. C'est pourquoi, selon eux, il ne reste rien pour la prospection et l'exploitation de nouveaux gisements, sans parler de la construction de nouveaux pipelines. Il est vrai, les taxes à l'exportation élevées ont joué un rôle positif. Les grandes compagnies pétrolières russes ont compris qu'il était plus avantageux de procéder au raffinage du pétrole que de l'exporter à l'étranger. La Russie assure actuellement le raffinage de 46% du pétrole qu'elle extrait. En ce qui concerne des compagnies comme Lukoil et GazpromNeft, le rapport raffinage-extraction constitue 61% et 57% respectivement.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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