Kosovo: Moscou et Washington face aux différents scénarios

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Par Alexandre Karavaïev, RIA Novosti
Par Alexandre Karavaïev, RIA Novosti

Le 19 décembre prochain, le Conseil de sécurité de l'ONU examinera de nouveau, et peut-être pour la dernière fois, le problème du Kosovo. Essayons de considérer ce problème non pas en tant que tel, mais dans une autre optique, en se demandant comment les principaux acteurs (la Russie et les Etats-Unis) s'en servent dans leur politique.

La situation de la Russie est actuellement très embarrassante. Aucune des variantes de règlement de ce problème qui ont été présentées au Conseil de sécurité de l'ONU, à l'exception de son simple gel, ne peut être acceptée par Moscou. Il reste à faire en sorte que le règlement ne dure pas indéfiniment. En cas de reconnaissance irréversible de l'indépendance du Kosovo par plusieurs grandes puissances, il faudra appliquer une politique assurant qu'un minimum d'Etats suivent leur exemple.

En fait, en cas de reconnaissance massive de l'indépendance du Kosovo, la réputation de la Russie subira un préjudice évident, ajouté à des risques géopolitiques qui sont pour l'instant incertains.

De quoi est-il question? On a beaucoup affirmé qu'un règlement du problème en faveur du Kosovo conduirait à un déplacement de toute la base du droit international. Un précédent est en train de se mettre en place en matière de reconnaissance des revendications des séparatistes d'aujourd'hui et de demain. Suivant le scénario du Kosovo, ils rechercheront inévitablement les moyens de "légaliser" leur activité en vue de renforcer leurs positions. A ce sujet, une division des groupements internationaux est prévisible, elle se produit déjà à l'intérieur de l'Union européenne: l'Allemagne craint que ces problèmes ne resurgissent au sein de la maison européenne, Chypre qui est divisée depuis près d'un quart de siècle hésite déjà tandis qu'un état d'esprit analogue est observé en Espagne.

Admettons que la position occupée par les Etats-Unis et une partie de l'Union européenne sous forme d'ultimatum soit couronnée de succès, que le Kosovo acquière les attributs formels d'un Etat, mais que les menaces et les conséquences sur lesquelles la Russie avait attiré l'attention n'interviennent pas. La paix n'est nullement perturbée et aucune parade des souverainetés n'intervient. Faudra-t-il en déduire que la Russie s'est trompée?

En faisant abstraction des autres Etats balkaniques qui peuvent être "contaminés" par le précédent du Kosovo, les conséquences les plus évidentes auront lieu au sein de la CEI (Communauté des Etats indépendants). Mais les menaces, plus précisément les avertissements, selon lesquels la Russie pourrait reconnaître unilatéralement l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud sont peu réalistes. La Russie n'a aucune intention de radicaliser ainsi sa politique. Les observateurs, surtout ceux des pays du Caucase du Sud, exagèrent souvent les possibilités et les désirs du Kremlin sur ce plan, bien que l'Occident reprenne précisément cette idée d'aventurisme de la Russie.

Il en résulte que les pays, avec les Etats-Unis à leur tête, qui soutiennent les droits des Kosovars s'avèreront être les grands gagnants. Quant à la Russie, elle aura lutté contre des moulins à vent, confirmant en quelque sorte les propos tenus par Condoleezza Rice: "Si vous ne prenez pas en compte la réalité, vous semez la discorde et une instabilité considérable". Après cela, il sera facile d'ignorer la Russie avec ses appels alarmistes, et ce sera un coup dur pour toute la politique étrangère de Moscou.

Mais s'il s'avère que le Kremlin avait raison et que les problèmes posés par les séparatistes d'Eurasie évoluent en entraînant les conséquences qu'il avait prévues, cela placera la Russie dans une situation encore plus difficile. Deux graves conflits éclateront en même temps à ses frontières. Soukhoumi (capitale de l'Abkhazie) et Tskhinvali (capitale de l'Ossétie du Sud) sont prêts à réclamer un statut semblable à celui du Kosovo et ce, même sans la reconnaissance de la Russie. Dans ce cas, le conflit avec la Géorgie reprendra naturellement de plus belle. L'attention internationale se concentrera sur les conflits géorgiens. La Russie y a-t-elle aspiré, en particulier compte tenu des futurs Jeux olympiques à proximité de la zone de tension? Il convient de rappeler que la position officielle de Moscou à l'égard des conflits géorgiens a toujours reposé sur la poursuite des pourparlers et la reconnaissance de l'intégrité de la Géorgie.

Bref, n'importe quelle solution à la crise du Kosovo mettra la Russie dans une situation difficile. Pourquoi la diplomatie russe s'est-elle retrouvée dans une situation aussi désagréable? La réponse est assez banale: la Russie n'a pas fait chavirer le canot, elle ne s'est pas prononcée pour un changement radical de la situation en Europe et dans le monde. La position de la dissuasion est toujours moins favorable. La Russie s'en tient aux "vieilles règles" et aux engagements pris par l'OSCE en 1975, selon lesquels tout changement des frontières en Europe est inadmissible.

Malgré tous les défauts et faiblesses de la politique de la Russie, la faute revient, dans ce cas, aux Etats-Unis et à leur politique d'inertie. S'étant lancé dans cette aventure, Washington ne peut plus s'arrêter, même s'il le souhaitait, et même en comprenant l'absurdité de l'escalade à venir. L'Irak en est un exemple typique. Dans le cas du Kosovo, puisque Washington a déterminé une fois pour toutes le "coupable" des guerres postyougoslaves (Milosevic et la Serbie), les Américains ne peuvent plus s'arrêter. Une fois trouvée sa cible, la machine géopolitique américaine ne s'arrête plus: d'abord, les bombardements de 1999, à présent, une pression déraisonnable sur la Serbie. Slobodan Milosevic est mort depuis longtemps dans sa cellule, mais les tribunaux militaires perdurent encore, l'inertie de la politique visant à "venir à bout de l'adversaire" continue, de même que la campagne irakienne. A propos, la Russie n'est plus l'URSS, mais elle figure toujours parmi les adversaires les plus dangereux.

Il faut également rappeler un argument qui explique la position des Etats-Unis à l'égard de la province du Kosovo: la Maison Blanche est probablement persuadée que le Kosovo est un bon moyen de manifester son aide et son soutien au monde musulman, en l'occurrence, dans la guerre contre les Serbes qui ont commis une faute irréparable envers les musulmans. Il s'agit d'un message directement envoyé à l'islam: les Etats-Unis sont à vos côtés, si votre cause est juste. Cette position vise à justifier les actions des Américains dans d'autres conflits où les positions de l'islam politique et des Etats-Unis sont diamétralement opposées et hostiles.

Alexandre Karavaïev est analyste au Centre d'étude des pays de la CEI (Université de Moscou).

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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