Programme fédéral spatial 2006-2015: perspectives réelles ou effet d'optique?

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Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

Les peintres créent un effet de perspective visuelle en représentant, par exemple, une voie ferrée, dont les rails qui s'éloignent se rapprochent de plus en plus et se transforment en un point à l'horizon imaginé. Les spécialistes de la cosmonautique russe de Roskosmos (Agence spatiale russe) ont préféré rapprocher la perspective lointaine du moment présent, en élaborant un programme de développement de leur secteur jusqu'en 2040. Selon la déclaration en août dernier d'Anatoli Perminov, directeur de l'agence, ces plans à long terme prévoient uniquement l'exploration de la Lune et de Mars. Le programme élaboré doit être examiné au Conseil de sécurité russe au début de l'année prochaine. Bref, les projets sont pris au sérieux.

Les conclusions qui seront faites par le Conseil de sécurité sont difficiles à prévoir. Il ne reste qu'à faire des considérations d'ordre général.

Premièrement. Comme le prouve l'ensemble de l'expérience passée de l'humanité, la construction de n'importe quel ouvrage doit commencer par les fondations, et non pas par le toit, sinon, conformément à la loi de l'attraction universelle, le toit se transformera bientôt en plancher, écrasant au passage les architectes et détruisant l'édifice.

En prévoyant ce qui sera accompli dans trente ans grâce à l'immense potentiel de l'Etat, il convient de comprendre que les fondations, y compris le plancher, existent déjà. Cependant, le vague subsiste concernant les principaux objectifs du Programme fédéral spatial pour 2006-2015. La création d'un système de transport spatial promis depuis longtemps fait du sur-place. Plus précisément, il est tout à fait impossible de savoir qui réalisera ce programme, ni quand et comment. De nombreuses informations dans les médias mentionnent des partenaires étrangers potentiels, mais on ignore toujours plus ou moins lequel d'entre eux assumera cette tâche.

La question concernant le futur vaisseau spatial qui aurait dû remplacer depuis dix ans déjà le légendaire Soyouz reste également floue. Il est notoire que la corporation spatiale Energuia a déjà six projets de vaisseau habité, dont deux seront soumis, sans indication de délais concrets, à Roskosmos qui organisera un nouveau concours pour sa conception et sa construction. Espérons que la création du vaisseau ne se limitera pas cette fois au concours et qu'elle passera à l'étape des réalités pratiques. Quoi qu'il en soit ce nouveau vaisseau ne fait l'objet, pour l'instant, que de plans.

En ce qui concerne les fondations et les murs du nouvel édifice spatial, dont l'imagination des architectes se représente les contours en rose, il est impossible de ne pas citer la récente déclaration du premier vice-premier ministre russe Sergueï Ivanov à propos de ses fondations et autres supports. A vrai dire, la précision avec laquelle la déclaration du premier vice-premier ministre exprime l'essence de ce que voient et comprennent de nombreuses personnes peut rendre mal à l'aise.

"Les acquis scientifiques et techniques créés dans les années 80 du siècle dernier se sont déjà épuisés... L'industrie nationale a quasiment perdu sa capacité à mettre au point et fabriquer une bonne partie des appareils et des agrégats...", a expliqué Sergueï Ivanov fin novembre lors d'une réunion de la Commission militaro-industrielle. Il a également déploré le fait que plusieurs systèmes de satellites de ravitaillement ne soient équipés qu'à 20-25%. J'espère qu'après cet exposé de la situation actuelle, Roskosmos se demandera s'il est raisonnable de rêver de l'avenir lointain sans se soucier du présent et qu'il en sera question au cours de la réunion du Conseil de sécurité russe qui se tiendra au début de l'année prochaine.

Deuxièmement. Il est parfaitement évident que les projets grandioses prévus pour les trente prochaines années et qui concernent, d'après les informations, les vols vers la Lune et Mars sont impossibles à réaliser sans l'appui d'autres pays, ce qui a été confirmé par Sergueï Ivanov. En fait, les plans de Roskosmos mentionnent l'Inde, la Chine, l'Union européenne et les Etats-Unis en tant que partenaires et sponsors potentiels pour les voyages spatiaux lointains. Beaucoup signifie en fait personne.

En outre, comme l'estime à juste raison Igor Mitrofanov, un des éminents chercheurs de l'Institut d'études spatiales, la coopération internationale dans l'exploration et la mise en valeur de la Lune entraînera une âpre concurrence entre les collectifs scientifiques des pays participant au projet. "Les différentes équipes se feront concurrence en avançant leurs propres propositions sur les appareils qui fonctionneront à la surface de la Lune, ce qui sera étudié en premier lieu".

Autrement dit, en plus des problèmes purement techniques, il faudra dépenser la majeure partie de son temps et de ses efforts pour régler des formalités et des difficultés juridiques. Il faudra davantage les régler à un large niveau international, en ayant souvent affaire à plusieurs partenaires étrangers, qu'avec les pays participant à la coopération lunaire ou autre.

La Russie, est-elle prête à un tel assaut juridique, lorsque tout dépend, en fin de compte, d'une transparence dans les rapports et d'une rigoureuse discipline dans l'accomplissement des engagements pris?

Espérons qu'il en sera ainsi. Mais l'histoire du croiseur Admiral Gorchkov revient inévitablement à la mémoire: la Russie essaie, pour l'instant, sans succès, de le vendre à l'Inde aux termes du contrat conclu dès 2004. Au grand étonnement des Indiens, la partie russe veut maintenant revoir ses conditions, car elle s'était trompée en déterminant les délais de modernisation du navire et son coût. Par exemple, 700 km de câbles initialement posés se sont transformés, après une étude plus détaillée, en 2.500 km (!)...

On peut en fait s'arrêter là et attendre, car de nouveaux faits et, par conséquent, de nouvelles idées apparaîtront l'année prochaine.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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