Moscou-New Delhi: un pas de plus vers le chasseur de 5e génération

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Par Iouri Zaïtsev, conseiller de l'Académie russe d'ingénierie, pour RIA Novosti

Par Iouri Zaïtsev, conseiller de l'Académie russe d'ingénierie, pour RIA Novosti

Le chasseur MiG-29M, avec ses moteurs à poussée vectorielle, a été mi-novembre l'une des vedettes du salon aéronautique de Dubaï, et pourtant il appartient à une génération d'avions militaires déjà dépassée. La Russie et l'Inde préparent en effet la conception conjointe d'un avion de cinquième génération. Un nouveau round des négociations russo-indiennes à ce sujet a justement commencé le 15 novembre à New Delhi. La partie russe était représentée, entre autres, par le constructeur aéronautique Sukhoi, et la partie indienne, par de hauts responsables du ministère de la Défense.

Le président russe Vladimir Poutine avait lui-même annoncé en direct, lors de son intervention télévisée du 18 octobre dernier, que la Russie développerait des chasseurs de cinquième génération avant 2015. Auparavant, le premier vice-premier ministre russe Sergueï Ivanov, alors encore ministre de la Défense, avait affirmé que le chasseur de cinquième génération volerait avant 2009 et que sa production en série pourrait commencer début 2010. Mais la plupart des experts étaient loin de partager son optimisme. Ils considéraient que l'avion pourrait voir le jour au mieux en 2012-2014. La déclaration du président russe est venue confirmer leur point de vue.

Rappelons que les Etats-Unis ont effectué le 7 septembre 1997 le premier vol du prototype de chasseur de cinquième génération F-22. Deux semaines plus tard, un Su-37 s'élevait à son tour dans le ciel. Il a été à l'époque présenté comme un prototype de chasseur de cinquième génération et porte aujourd'hui le nom de Su-47 Berkut.

Ainsi, plusieurs avions de cinquième génération volent déjà. Parmi eux, l'américain F-22 Raptor et de l'euro-américain F-35 Joint Strike Fighter. Ce dernier est même considéré par les auteurs du projet comme appartenant à la génération "5+", soulignant ainsi sa supériorité face au chasseur F-22.

Le Berkut n'a pas connu le même destin. Il s'est avéré impossible de fabriquer en série tous les éléments nécessaires à sa construction. Le prototype, conçu par les ingénieurs du bureau d'études Sukhoi et dont la construction avait été financée par les fonds propres de l'entreprise, demeure, de nos jours encore, un avion expérimental. Son schéma a cependant été très utile pour tester grandeur nature différentes solutions techniques mises en oeuvre aujourd'hui dans le cadre du projet PAK FA (Future Tactical Aviation Aircraft Complex).

La conception du F-35 a coûté plus de 20 milliards de dollars. Et les experts estiment que la Russie ne sera pas en mesure de construire un nouvel avion militaire sans l'aide d'un puissant partenaire étranger. Les études sur la motorisation, étape la plus coûteuse du projet, nécessitent à elles seules 600 à 800 millions de dollars. Quant à la construction des moteurs, elle demande 1,5 milliard de dollars d'investissements.

La Chine et l'Inde figuraient en bonne place parmi les partenaires susceptibles d'investir autant. Mais la première a opté pour la construction de son propre chasseur et la seconde se montre davantage intéressée par les technologies d'études que par la construction d'un avion sur plan.

Les négociations sur le partenariat russo-indien pour la construction d'un nouveau chasseur ont commencé en 2003. L'Inde insistait pour participer à la conception de l'appareil "à partir de zéro". Pour la Russie, cette solution impliquait le lancement d'un nouveau projet parallèle particulièrement coûteux. De son côté, l'Inde a pris le temps de la réflexion avant de prendre une décision définitive sur ce projet. Ceci s'explique en premier lieu par l'expérience indienne en matière de coopération avec la Russie dans le domaine militaire et technique, qui a connu d'importants succès, mais aussi de sérieux échecs et même des conflits.

Dernier exemple en date: la modernisation du porte-avions Admiral Gorchkov. Le contrat prévoyait que le navire serait remis à la partie indienne en 2008. Or il s'avère aujourd'hui qu'il ne pourra pas entamer les essais en marche avant 2010, voire 2012.

La bureaucratie russe a également mis en péril la réalisation du projet russo-indien d'avion de transport militaire. Voilà deux ans que les documents préliminaires circulent dans le labyrinthe des différentes administrations. L'Inde a déjà annoncé qu'elle pourrait se retirer du projet et démarrer des études en commun avec le Brésil ou avec des entreprises européennes.

Tatiana Chaoumian, directrice du Centre d'études indiennes de l'Institut d'études orientales de l'Académie russe des sciences, estime que Moscou a perdu beaucoup de crédit face à New Delhi essentiellement à cause de son manque d'organisation. Le non-respect des délais de livraison et autres engagements contractuels ont amené l'Inde à prendre des garanties supplémentaires lors de la signature de nouveaux contrats. Ainsi, la commande de Su-35 russes ne sera pas automatique, la Russie devra se battre pour remporter ce marché face aux Américains et aux Français. Les autorités indiennes ont en effet décidé de passer par un appel d'offres pour se doter de nouveaux chasseurs (le contrat pèsera plus de 9 milliards de dollars). Rappelons tout de même que les ingénieurs indiens connaissent parfaitement la technologie de production des avions de chasse russes actuels, et pourraient donc se former facilement à l'assemblage du nouvel avion, ce qui est prévu par l'appel d'offres.

Les dirigeants indiens ont, à une époque, tenté de coopérer avec les Etats-Unis en vue de se procurer le F-35. Mais les conditions étaient trop dures pour l'Inde: même avec leurs alliés les plus proches, les Américains ne partagent pas facilement leurs technologies.

Finalement, après avoir longuement hésité, l'Inde a autorisé son entreprise HAL à répondre favorablement à l'offre de la partie russe de mener conjointement avec Sukhoi les études, les essais et même la construction d'un chasseur de 5e génération.

L'accord intergouvernemental a été signé en octobre 2007 à Moscou. Il prévoit un financement paritaire ainsi qu'une contribution égale de chacune des parties à la construction de l'avion. De l'avis du ministre indien de la Défense A.K. Anthony, cet accord ouvre une nouvelle page dans l'histoire de la coopération militaire et technique russo-indienne. Il s'agira, a-t-il souligné, d'un des plus importants projets conjoints entre Moscou et New Delhi dans le secteur de la défense.

L'une des principales exigences avancées pour ce nouveau chasseur est de bénéficier d'une très grande manoeuvrabilité: il doit rester stable et manoeuvrable même lorsque l'angle d'attaque est de 90° ou plus. Initialement, les Etats-Unis voulaient également un appareil répondant à cette exigence. Mais ils se sont rapidement aperçu qu'il serait très difficile de concilier à la fois vitesse supersonique, furtivité et manoeuvrabilité élevée. Il a donc été convenu d'abandonner cette dernière.

Dans le cas de l'avion russo-indien, il est probable que ses concepteurs parviennent à lui assurer une manoeuvrabilité exceptionnelle. Il semble bien que les qualités du F-22 américain en la matière ne fassent qu'approcher, par exemple, celles du Su-27 actuel. Les moteurs AL-37FU qui équipent le Su-27 ont des tuyères rondes mobiles, ce qui permet d'orienter le vecteur de poussée, garantissant, sans trop de problèmes, une vitesse de croisière supersonique. Les brusques changements de direction à des vitesses angulaires élevées et sur de faibles rayons de trajectoire sont donc possibles sur tous les plans, ce qui accroît sensiblement l'efficacité de l'avion en situation de combat.

Le chasseur de 5e génération doit aussi avoir une avionique et des armements qui lui permettent de détecter l'ennemi de très loin et de viser n'importe quelle cible. Il doit aussi disposer de systèmes d'information et de brouillage automatisés. Enfin, il doit être capable d'échanger des informations avec des sources extérieures sur des canaux secrets, avoir une autonomie de combat élevée et un système de commandes entièrement automatisé pour la résolution des tâches tactiques. Sur tous ces points, l'aide des spécialistes indiens en électronique sera particulièrement utile.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur. -0- tk/vs

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